L’investissement passif, d’apparence très simple, comporte en fait de nombreux risques – souvent méconnus. Autant pour les investisseurs, que pour le marché dans son ensemble. C’est ce que rappelle le CIO de Banque de Luxembourg Investments, Guy Wagner, dans une nouvelle note.
L’investissement passif, ou indiciel, est à la mode ces dernières années. Son principe est simple, et c’est cela justement qui séduit les investisseurs : investir dans des ETF qui répliquent le marché global. Le MSCI World, indice qui reprend plus de 1.300 entreprises d’une vingtaine d’économies développées, est souvent la référence préférée (parfois même unique) de ces investisseurs.
La stratégie a donc de nombreux adeptes, mais elle a aussi des critiques. Car si elle semble toute simple, bien diversifiée, elle n’est pas sans risque. Pour les investisseurs, mais aussi pour le marché dans son ensemble. Dans une note publiée ce mardi, le chief investment officer de la Banque de Luxembourg Investments, Guy Wagner, met ainsi en garde contre les risques cachés de l’investissement passif.
Risques cachés de l’investissement passif
C’est dans cette popularité justement que résident les risques, dans la masse d’investisseurs qui embrassent l’investissement passif. Guy Wagner donne un exemple : “Si une personne se lève lors d’un concert, elle voit mieux. Si tout le monde se lève, personne ne voit mieux. De même, lorsque tout le monde investit de manière passive, le résultat collectif peut se traduire par une efficacité réduite et des prix faussés. Ainsi, si les stratégies passives sont efficaces au niveau individuel, leur domination collective introduit des risques profonds, souvent cachés, qui menacent les fondements mêmes des marchés modernes.”
Voici donc les principaux risques.
Prix et valorisation
Comme il y a de moins en moins d’investisseurs actifs et de plus en plus d’investisseurs passifs, il y a moins de participants du marché qui se penchent sur une juste valeur du prix des actifs. Ces premiers analysent les entreprises et fixent ainsi les prix, en fonction des fondamentaux. Les seconds “se contentent d’accepter les prix en vigueur sur le marché”. Il y a aussi la pondération qui joue. Les entreprises à la plus grosse capitalisation ont une part plus grande dans un indice. Les fonds achètent donc avant tout ces entreprises, renforçant ainsi encore plus leur prix et leur capitalisation. Ces deux éléments peuvent mener à une éventuelle surévaluation.
Ces achats augmentent aussi la corrélation entre les différentes actions. Leurs cours suivent ainsi un mouvement similaire. Cela réduit la diversification.
Concentration
Il y a un autre faux semblant de diversification : la pondération des indices amène une grande concentration. Quelques entreprises sont surreprésentées par rapport aux autres. Ces noms peuvent donc fortement impacter la performance de l’indice… et du portefeuille de l’investisseur. La bourse américaine est par exemple surreprésentée dans le MSCI World. Et la tech américaine, dont surtout les Sept Magnifiques, est surreprésentée dans la bourse américaine.
Cela a un impact pour l’économie dans son ensemble aussi : “En canalisant les capitaux vers les grandes entreprises bien établies, l’investissement passif prive les petites entreprises innovantes de financement. Il en résulte une économie plus statique, moins réactive aux nouvelles idées et aux technologies disruptives”, note l’expert. Et ceci peut dissuader des entreprises non cotées de s’introduire en bourse.
Liquidité
Pour Guy Wagner, la liquidité apparente des fonds passifs est trompeuse. Il y aurait surtout moins de liquidité lors des phases de ventes, et il est donc plus difficile de vendre ses actifs lorsque les prix chutent. Mais pas que : comme ces fonds retiennent de plus en plus d’actions, les actions en tant que telles deviennent aussi moins liquides. Mais lorsque les fonds vendent des actions (par exemple après une mise à jour de l’indice), ils peuvent submerger le marché et faire chuter les prix.
Mais ce souci de liquidité va encore plus loin, selon l’expert : “La demande passive dépasse souvent l’offre d’actions disponibles. Pour maintenir leur exposition, les fonds peuvent avoir recours à des produits dérivés tels que les contrats à terme plutôt que d’acheter les actions sous-jacentes. Plusieurs investisseurs peuvent, en effet, revendiquer la propriété de la même exposition sous-jacente. Cette structure synthétique introduit un effet de levier et crée une dangereuse illusion de liquidité.”
Aspects économiques
Au-delà de ces aspects plus techniques et financiers, l’investissement passif peut aussi influencer l’économie dans son ensemble. La bourse sert par exemple de jauge économique, qui doit refléter l’activité et la croissance des entreprises et la santé de l’économie dans son ensemble. Et les hommes et femmes politiques l’observent en tant que telles et s’en inspirent pour prendre des mesures. Mais ceci ne fonctionne que lorsque l’analyse du marché se base sur les fondamentaux. Si les cours sont davantage influencés par les flux passifs, la jauge devient moins fiable.
Les sociétés qui gèrent les fonds passifs deviennent des actionnaires de plus en plus importants des entreprises reprises dans les fonds. Elles ont donc des droits de vote, qui peuvent influencer de nombreux choix de l’entreprise. “Cependant, leur capacité à surveiller les entreprises individuelles est limitée par l’ampleur même de leurs participations. Il en résulte une concentration du pouvoir et une dilution de la responsabilité, ainsi que des décisions de gouvernance qui peuvent privilégier les rendements à court terme au détriment de la création de valeur à long terme”, note l’expert.
Revirement ?
Voilà pour les risques. Mais comment la situation peut-elle se résoudre et revenir à la normale ? Guy Wagner voit quelques pistes, comme des valeurs qui deviennent totalement folles et provoquent un grand krach et un retour à l’investissement actif. Ou une plus grande volatilité qui pourrait aussi pousser les investisseurs vers d’autres approches. Ou encore un intérêt de plus en plus grand pour le private equity.
Bref, l’investissement passif est donc loin d’être aussi simple que certains le prêchent.