Une fin de vie ordinaire

La Belge Caroline Lamarche livre avec « La fin des abeilles » une percée délicate dans les derniers jours d’une femme qui efface « à mesure les traces de son passage ».

Sobre, délicat, élégant. Des adjectifs qui collent bien au dernier texte de Caroline Lamarche, paru dans la collection « Blanche » de Gallimard, en mars dernier. La narratrice y raconte sa mère, sans rester indifférente à la bizarrerie de l’exercice: « Un viol plané, voilà ce que fait l’écriture lorsqu’elle s’empare de la vie d’autrui en se contentant d’un survol (l’écriture, ce gracieux planeur). » De survol, il ne saurait donc être question. Il faut aller au fond pour parler de cette femme vieillissante et qui se sait vieillissante: « Quand je vais la voir, que je traverse la galerie glaciale qui mène à la pièce où elle se tient, il m’arrive d’anticiper sa disparition, de sentir, déjà, la maison vide, et chaque fois je constate qu’elle s’en est allée sans déranger l’ordre parfait qui y règne, en effaçant à mesure les traces de son passage. » Car la mère en question brûle et jette lettres et souvenirs, même un herbier que sa petite-fille aurait sans doute aimé récupérer. Mais c’est plus fort qu’elle, c’est pour aider ; il ne faudrait surtout pas déranger.

A l’image des abeilles qui disparaissent, l’ancienne apicultrice pourrait aussi bientôt tirer sa révérence. Alors, la fille recense: « Je fais provision de détails, j’inscris dans ma rétine, par une contemplation qui s’attarde, les mouvements des arbres, des nuages, des corps. Et tout cela vibre et tremble (…) » Mais, malgré l’attention de la fille, il est impossible d’anticiper les événements à venir: « Rien ne me permet de préparer ensemble la manière dont, bientôt, ma mère et moi ne serons plus ensemble ». Toutefois, bien au-delà du désespérant constat, La fin des abeilles dessine une porte de sortie digne et douce, un album de mots à méditer.