Une entreprise de destruction familiale
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Des parents de Patrick Roegiers, il ne reste rien. A la fin de leur vie, tous les deux ont fait en sorte qu’il n’y aurait pas d’héritage. De sa mère, le romancier n’a reçu au lendemain de sa mort qu’une boucle blonde conservée dans une enveloppe pendant toute sa vie, comme si celle qui n’avait jamais eu envers son fils le moindre signe d’affection se rachetait avec cette preuve de l’attachement à celui qu’elle a mis à la porte du foyer familial le jour de ses 20 ans, sous escorte de la police. ” C’est normalement un geste d’amour, estime Patrick Roegiers lorsque nous le rencontrons lors de son passage à Bruxelles. Mais pourquoi maintenant ? ” Question sans réponse, alors que cette femme dure et sèche semblait léguer par testament sa vie résumée en une phrase : ” Je n’ai rien eu, alors vous n’aurez rien “. Fille de l’immigration italienne dont elle racontera peu de choses, elle paraît sous la plume de son fils n’avoir jamais atteint l’ambition bourgeoise du bonheur dans son mariage, dans son couple petit-bourgeois, habitant le quartier de l’Université de Bruxelles. Comme son mari, elle finit seule, séparée de son époux, presque minable.
La mort est plus longue que la vie. L’ennui, c’est de mourir mal.
” Disparaître pour ne pas exister “, écrit-il dans La Vie de famille, comme pour résumer une existence qui n’en valait pas la peine, également pour son père. ” Mon père n’existe pas, il n’existe plus, il n’a jamais existé. C’est l’ambition qu’il a eue sa vie durant. Qu’il ne reste rien de lui. C’est mieux ainsi. ” Le fiston traite son paternel de ” lavette “, de ” lâche “. Lâche de ne s’être jamais opposé à la dictature maternelle qui régnait sur le foyer Roegiers.
En chansons
A passé 70 ans, Patrick Roegiers revient ainsi sur ses jeunes années, non pas pour pardonner – ” les enfants ne sont pas responsables de l’enfance perdue de leur parents ” -, mais pour comprendre. ” J’ai mis 50 ans à comprendre l’histoire de ma mère. ” Il cite Heiner Müller qui lui-même contredit Tolstoï : ” Tout comprendre, ce n’est rien pardonner “. Dans ses pages, il active sa mémoire, narre des scènes d’une extrême violence desquelles il dit supprimer la psychologie, ” parce que la psychologie, excuse et normalise “. ” Ils ont toujours fait semblant. Ces gens ont une sorte de bonne conscience sans se rendre compte de ce qu’ils occasionnent vraiment. ” S’il assume la part de fiction, il conteste toute fabrication des souvenirs. ” Je n’ai pas fait un document. Mais avec le roman, j’ai le droit d’avoir le langage que je souhaite, notamment dans ces scènes de cauchemars, dans ces monologues imaginaires de ma mère, mais aussi de mon père. Ce qu’il ne m’a jamais dit, je lui ai fait dire. ”
Plume vive, rythmée, saccadée, comme une chanson, Patrick Roegiers parsème ” cette entreprise de destruction familiale ” des artistes de variété qui l’ont marqué, Léo Ferré surtout, imaginant même un concert de l’artiste pour son anniversaire. En 2003, dans Le Mal du pays, encyclopédie personnelle et douce-amère de la Belgique, il énumérait au chevet de son père les caractères marquants d’un pays auquel il a préféré Paris. Le lien se fait immédiatement : ” En fait, j’ai été chassé de la cellule familiale comme de la cellule nationale “. Moins âcre qu’il pourrait présager, La Vie de famille, s’avère un acte de reconquête de sa propre histoire, comme si l’auteur voulait léguer autre chose que ce qui lui a été laissé. De l’expérience, il semble n’en ressortir nullement triste, mais profondément soulagé de pouvoir passer au livre suivant.
Patrick Roegiers, ” La Vie de famille “, éditions Grasset, 192 pages, 16,50 euros.
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