” Une bonne situation n’est pas la panacée “

Kristof Vanfleteren et Davy Demuynck © jonas Lampens

La situation ne fait pas tout dans l’immobilier, assurent Davy Demuynck et Kristof Vanfleteren, les deux CEO de ION. Les Ouest-Flandriens jettent un regard décalé sur leur secteur d’activité. ” Même dans une petite ville comme Furnes, une typologie résidentielle innovante est possible “, assurent-ils.

La société de promotion immobilière ouest-flandrienne ION a connu un succès fulgurant. Créée par deux jeunes entrepreneurs en 2011, ION compte déjà 91 employés. La société totalise pas moins d’une soixantaine de projets en cours, d’une valeur de 1,4 milliard d’euros. Elle a déjà déménagé trois fois en neuf ans. Mais malgré son expansion hors Flandre-Occidentale, ION reste fidèle à Waregem où est installé son QG.

L’entreprise a été fondée par Davy Demuynck et Kristof Vanfleteren avec l’appui financier de Paul Thiers (ex-Unilin, Pentahold) et Jan Ruysschaert (CEO du spécialiste en produits orthopédiques Vigo Group), sorti du capital en 2016. Les deux fondateurs, qui entendent poursuivre leur croissance fulgurante, ont levé 123 millions d’euros via un fonds de développement auprès d’entrepreneurs, d’investisseurs familiaux et institutionnels.

TRENDS-TENDANCES. Dans le communiqué de presse présentant le fonds de développement, vous expliquez que les fonds levés serviront prioritairement à renforcer la position d’ION à Bruxelles, dans le Brabant wallon et flamand, à Anvers et dans le Limbourg. La Flandre-Occidentale ne figure pas sur la liste…

DAVY DEMUYNCK. Nous sommes solidement implantés en Flandre-Occidentale où nous développons une trentaine de projets. A Anvers, nous ne sommes encore qu’un acteur de seconde zone. Or, si on compare le potentiel du marché anversois à celui de la Flandre-Occidentale (non compte tenu de la côte, un marché à la dynamique particulière), Anvers offre sans conteste un potentiel de croissance plus important, ne fût-ce qu’en termes de démographie. Le but est de pérenniser notre croissance dans les prochaines années. Nous ne nous désintéressons pas de la Flandre-Occidentale, certainement pas, mais nous avons l’intention de renforcer nos activités dans les autres provinces.

On a souvent recours aux éléments préfabriqués. Une façon de travailler plus rapide et meilleur marché, sans pour autant rogner sur la qualité. ” David Demuynck

KRISTOF VANFLETEREN. Le communiqué témoigne de notre intérêt pour les projets dans les autres provinces. Nous sommes un acteur de premier plan connu en Flandre-Occidentale. Nous y serons toujours aussi actifs mais l’importance de cette province dans notre portefeuille global sera réduite. En Flandre-Occidentale, nous nous concentrerons principalement sur les grandes villes et communes.

A Bruges et Ostende, deux des plus grandes villes de Flandre-Occidentale, les dernières élections communales ont entraîné des glissements de pouvoir. Y a-t-il du changement dans l’air ?

D.D. Nous développons des projets dans les deux villes, business as usual pour nous. Nous entretenons d’aussi bons rapports avec la nouvelle équipe qu’avec la précédente. La couleur politique de l’administration n’est pas déterminante en matière de développement urbain. Qui plus est, les projets de qualité sont toujours bien accueillis. Nous privilégions l’architecture et la durabilité, deux aspects importants qui permettent de se démarquer auprès des administrations communales.

K.V. Les deux villes offrent de nombreux attraits. Ostende projette de nombreux développements d’envergure. C’est pourquoi nous cherchons donc à nous distinguer, là tout particulièrement. Nous sommes sur le point de démarrer un projet d’habitations unifamiliales dans la cité balnéaire car on construit quantité d’appartements à Ostende mais la demande d’habitations avec terrain à prix abordable reste forte, une demande que nous voulons satisfaire.

Le logement à prix abordable est en quelque sorte le graal du secteur immobilier. Avez-vous trouvé la formule magique ?

D.D. La recette n’est pas très compliquée. Le coût final d’un logement est fonction du prix du terrain et du coût de la construction. Pour réduire le plus possible le prix du terrain, le choix de la situation est fondamental. Quant au prix de la construction, il y a deux façons de le limiter. Primo en construisant plus compact. Rien que de petits appartements ? Non, il faut faire preuve de créativité. Le projet Townhouse, à Courtrai, est un bel exemple. Nous construisons des logements empilés le long de la Lys. L’espace est aménagé efficacement et durablement dans le cadre de la typologie d’un logement classique. La deuxième piste pour limiter le coût de la construction consiste à choisir des matériaux moins onéreux mais tout aussi efficaces. Autrement dit, des matériaux de qualité mais non luxueux. Nous privilégions la brique. Il existe aujourd’hui de très belles briques de qualité dans toutes les catégories de prix. Les habitations sociales d’il y a 30 ans avaient l’air bon marché. Aujourd’hui, une habitation sociale est aussi belle et qualitative qu’une habitation traditionnelle.

Tout est mis en oeuvre pour accroître l’efficacité des chantiers également. On a souvent recours aux éléments préfabriqués, comme des salles de bains entièrement installées en usine et hissées d’étage en étage à l’aide d’une grue pour être placées dans la nouvelle construction. Une façon de travailler plus rapide et meilleur marché, sans pour autant rogner sur la qualité. Le niveau d’efficacité peut être considérablement amélioré dans le secteur de la construction, selon une étude de McKinsey qui cartographie l’impact de la technologie sur les différents secteurs économiques. Le secteur immobilier et de la construction vient en deuxième position au hit-parade des secteurs les moins performants. La bonne nouvelle, c’est que la marge d’amélioration est considérable. La proptech est promise à un bel avenir. Nous y adhérons complètement et avons d’ailleurs l’intention d’investir dans un fonds proptech.

K.V. Les autorités ont, elles aussi, une responsabilité dans la problématique liée aux prix abordables. Comme l’a dit Davy, construire plus compact est une façon de rendre les prix abordables. Nous sommes en mesure de réaliser des logements de qualité sur des superficies relativement réduites. En aménageant l’espace de façon plus efficace et en proposant des espaces et des services communs. Nous nous heurtons très souvent à la réglementation d’urbanisme relative aux superficies minimales. Les critères de parking posent également problème. Certaines villes et communes imposent toujours deux places de parking par appartement, ce qui augmente considérablement le coût d’un projet alors que rares sont les acheteurs intéressés par deux emplacements.

Vous construisez le Suikerpark à Furnes, un projet de plus d’un millier de résidents, avec des habitations communautaires et une tour résidentielle. N’est-ce pas trop ambitieux pour une si petite ville ?

D.D. Un vaste projet, effectivement. Nous allons construire un tout nouveau quartier sur l’ancien site de 49 hectares de la sucrerie. L’intercommunale ouest-flandrienne WVI a lancé un concours pour la réaffectation du site et nous l’avons gagné. Pourquoi ? Parce que nous avons présenté un projet innovant basé sur la mixité des fonctions et des typologies résidentielles dans une zone de circulation à vitesse limitée. La dimension du projet est unique : le Suikerpark accueillera plus d’un millier de résidents, soit environ 10% de la population actuelle de Furnes. Il faudra une dizaine d’années, selon nos estimations, pour mener ce projet à bien. Il sera réalisé en plusieurs phases et le succès des différents modes de logement sera testé au terme de chaque phase. Nous sommes convaincus que ces nouveaux modes de logement et typologies remporteront le succès escompté, même dans une petite ville comme Furnes. Mieux encore : nous croyons que la mixité, y compris la mixité des fonctions, est essentielle pour en faire un quartier vivant. Grandeur d’échelle et densité sont indispensables pour y arriver. Difficile d’innover et de créer une expérience unique dans un lotissement d’une vingtaine d’unités sur un petit bout de terrain.

Certaines villes et communes imposent toujours deux places de parking par appartement, ce qui augmente considérablement le coût d’un projet. ” Kristof Vanfleteren

Quels sont, selon vous, les critères essentiels dans le choix de la situation et des projets ?

K.V. Pour nous, une bonne situation n’est pas la panacée. C’est un des paramètres à prendre en compte et à combiner le mieux possible. Outre la situation, il y a aussi le type de produit, le timing et le prix. Il est possible de réaliser des projets formidables en de nombreux endroits à condition de faire concorder ces quatre paramètres. Forts de ce constat, nous oeuvrons parfois là où d’autres promoteurs reculent et arrivons ainsi à proposer des prix abordables. D’où notre croissance fulgurante. Un projet à Anderlecht racheté à un autre promoteur est un bel exemple. Il n’arrivait pas à vendre sur plan mais a malgré tout commencé la construction. La vente continuait à stagner. Nous avons repris le projet et l’avons transformé en un produit de placement plus abordable dans le cadre duquel nous avons conclu un accord avec un bureau de location sociale. Tous les appartements ont trouvé preneur en six mois. La situation n’était pas mauvaise mais l’offre de départ était beaucoup trop chère pour cette situation.

Etes-vous optimistes quant au marché immobilier à la côte ?

D.D. Absolument. Nous comptons poursuivre notre activité immobilière à la côte belge. Même si le marché montre des signes de faiblesse, le risque est très limité en ce qui nous concerne. Il représente environ 5% de notre chiffre d’affaires. Une situation plutôt confortable, ce qui n’est pas le cas des promoteurs actifs exclusivement à la côte. Mais je reste confiant, l’immobilier côtier sera toujours aussi prisé. Les Belges adorent aller à la mer. Pourquoi cela changerait-il ? Il n’y a pas beaucoup de possibilités de construire du neuf, par contre. L’immobilier est essentiellement vétuste. Certains des vieux blocs d’appartements sont usés jusqu’à la corde.

Le marché de l’immobilier résidentiel est-il immunisé contre la crise du coronavirus ?

D.D. Aucun secteur n’est immunisé. Au départ, cette ” grippette ” nous faisait tous rire. On rit nettement moins aujourd’hui. L’incertitude aura sûrement des retombées sur notre secteur. Les achats immobiliers seront probablement différés. La fourniture des matériaux de construction sera ralentie. Les chantiers seront à l’arrêt par manque de main-d’oeuvre. Les ouvriers étrangers engagés sur nos chantiers sont rentrés chez eux. L’impact sur notre secteur est indéniable.

K.V. Ce sont là des effets à court et moyen terme. A plus long terme, reste à voir comment les investisseurs réagiront à la crise. Les réactions en Bourse sont sans précédent et font penser au krach de la crise financière de 2008. A l’époque, les investisseurs ont cherché refuge dans des placements plus tangibles comme l’immobilier. Si l’histoire venait à se répéter, la crise pourrait aussi avoir un effet positif sur notre secteur.

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