« Les entrepreneurs belges manquent d’ambition ! »

Passionné d’analyse de données depuis toujours, sensible à l’esthétique grâce à son papa artiste, Dirk Stevens a su combiner ces deux traits de caractère dans Wondergraphs, l’entreprise qu’il a créée avec son jeune associé Kim Gressens et qui fait son entrée dans la Silicon Valley.

« J’ai travaillé 15 ans dans l’informatique et j’ai sans cesse été confronté aux mêmes problèmes de mauvaise exploitation, visualisation et interprétation des données », commence Dirk Stevens (40 ans). Ingénieur industriel de formation – un domaine qui ne l’a jamais vraiment séduit – il s’est très tôt réorienté vers l’informatique, développant des petits logiciels en marge de ses études. « J’étais de ce fait un mauvais étudiant, mais j’ai été le premier de mon auditoire à décrocher un boulot ! », se souvient-il. Entré chez Oracle comme consultant technique, il est ensuite envoyé par la firme aux Etats-Unis pour y faire du développement de produits.

« Mais je me suis rapidement senti limité par le poids de cette grosse structure. » D’où sa réorientation vers une petite société pharmaceutique américaine, pour laquelle il réalise d’intéressants projets de capture et d’analyse de données. « En quatre ans, nous sommes passés de 5 à 25 collaborateurs et avons atteint un chiffre d’affaires de 5 millions de dollars : c’était très excitant », affirme l’entrepreneur. De retour en Belgique, il effectue un MBA à la Vlerick Management School et se lance comme consultant dans son domaine de prédilection. « Mais je voulais faire quelque chose, lancer un véritable produit plutôt que de me limiter àêtre le énième consultant belge en informatique… » C’est alors qu’il décide, avec Kim Gressens (24 ans), un autre consultant avec qui il avait déjà eu l’occasion de travailler, de lancer Wondergraphs. Non sans quelques angoisses.

Du prototype au produit, la route est longue

Les deux associés démarrent assez naturellement avec la mise en oeuvre d’un prototype. Le concept ? Proposer via Internet un logiciel (software as a service) qui permette de générer simplement, au départ de bases de données existantes, des indicateurs à fort impact visuel. « J’ai toujours aimé le « beau » et j’ai donc accordéénormément d’importance à l’esthétique de nos indicateurs », confie Dirk Stevens. Le résultat est à la hauteur de ses espérances. « Je me suis aussi inspiré de modèles américains comme Buzzwords ou Sliderocket – spécialisée dans la conception de « belles » présentations Power Point – , dont j’avais rencontré les patrons lors de mon séjour aux Etats-Unis. »

Mais pour transformer le prototype en un produit commercialisable à grande échelle, le duo rame. « Nous avons réalisé tous les développements avec nos propres moyens financiers ; cela nous a pris une année », relève Dirk Stevens. Après coup, il considère que cette stratégie était peu efficace : « Aujourd’hui je conseillerais à ceux qui se lancent dans ce genre de projet de vendre aussi vite que possible, même s’ils n’ont qu’un prototype. Vous économiserez ainsi du temps et de l’argent, car un client vous donnera davantage de feed-backs utiles que votre seule intuition. »

Avec ou sans investisseur extérieur ?

Les créateurs de Wondergraphs ont toujours été partagés quant à la nécessité ou non de solliciter des capitaux externes. « En 2009, alors que nous peaufinions notre produit, nous avons participé au Seedcamp, un concours de business plans européen qui peut se solder – pour les meilleurs projets – par un investissement de la part de venture capitalists. Nous avons été finalistes, avec une autre entreprise belge d’ailleurs, mais n’avons finalement pas décroché de capitaux. C’était une grosse déception, même si l’expérience avait été géniale et la réaction, globalement positive. »

Lorsqu’un peu plus tard, toujours par l’intermédiaire du concours, Dirk Stevens et Kim Gressens sont invités pour un « VC tour » dans la Silicon Valley, des propositions concrètes leur parviennent. « Mais nous ne nous sentions pas encore prêts. Notre produit était à peine développé et nous n’avions pas encore de plan précis pour le déployer. » Maintenant que deux entreprises belges – AstraZeneca et UCB – ont déjàéprouvé le concept, et que les deux entrepreneurs ont compris que leur force résiderait davantage dans la vente par intermédiaire que directement au consommateur final, un coup d’accélérateur serait le bienvenu.

« D’ici six mois, il faudra que nous ayons soit signé un nouveau contrat, soit trouvé du financement, reconnaît Dirk Stevens, car nos réserves financières ne sont pas illimitées. J’ai de bonnes raisons de croire davantage en la première option. Mais d’un autre côté, nous avons également besoin d’amener du professionnalisme et de la séniorité dans Wondergraphs si nous voulons la développer à un niveau global. Et pour cela, un investisseur extérieur serait peut-être une bonne aubaine… »

Trouver des partenaires et conquérir le monde

La percée mondiale a depuis le départ été l’ambition de Dirk Stevens. « Un software est évidemment le produit idéal pour y parvenir. Et les Etats-Unis, la porte d’entrée quasi incontournable… » Après un essai manqué et au total trois ans de développement, les concepteurs de Wondergraphs se sont enfin estimés prêts à franchir l’Atlantique. « Avec le temps, notre pitch est devenu très au point. Lorsque nous avons présenté le projet début 2011 à l’IBBT – un institut indépendant qui stimule pour le compte du gouvernement flamand des projets innovants en informatique – devant un jury constitué notamment d’Américains, nous avons visiblement fait forte impression. L’IBBT a donc décidé de nous soutenir en nous donnant la possibilité d’établir sans frais Wondergraphs à Sunnyvale, dans la Silicon Valley. »

Un must pour espérer conquérir le continent américain. Et entre-temps, Wondergraphs a même décidé de se passer de son bureau belge. « La société est désormais établie à mon domicile. Nous n’avons pas vraiment besoin de bureaux : des espaces de co-working et Skype suffisent amplement ! » Depuis lors, Dirk Stevens passe pas mal de son temps outre-Atlantique, à la recherche de clients et partenaires potentiels. Il aurait même déjàété approché en vue d’une acquisition pure et simple. « Mais je préférerais développer le business d’abord », confie-t-il.

Idéalement, il aimerait conserver la dualité géographique : « A terme, je vois bien la vente et le marketing aux Etats-Unis et le développement en Belgique, car les talents ne manquent pas ici à ce niveau. » Mais il déplore que les entrepreneurs belges, en particulier dans l’Internet et la technologie, ne soient pas assez ambitieux. « Il faut oser, saisir les opportunités ! Certainement aux Etats-Unis, où tout va plus vite et où les gens ont davantage conscience de la valeur de l’argent et de ce qu’un contrat peut représenter pour un petit entrepreneur. »

Camille Van Vyve

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