La vente de Riaktr est-elle un succès?

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Start-up emblématique de l’écosystème numérique bruxellois, Riaktr a connu un parcours chahuté mêlant grosse croissance, présence à l’international, levée de fonds à 12 millions… mais aussi restructurations, pivot complexe et gros changements dans le management. Dernière étape en date? Sa vente à un acteur suédois coté.

“Super nouvelle”, “félicitations”, “bien mérité”. Sur les réseaux sociaux, les éloges se multiplient à l’annonce faite la semaine passée par la scale-up belge Riaktr, anciennement connue sous le nom de Real Impact Analytics. La firme spécialisée dans l’analyse de données pour les opérateurs télécoms a en effet annoncé son rachat par un acteur suédois coté en Bourse répondant au nom de Seamless. Cette cession n’est toutefois pas vraiment une surprise. Depuis au moins deux ans, la vente faisait partie de la stratégie de Riaktr qui avait d’ailleurs engagé un cabinet de conseil avant même la crise du coronavirus. Sébastien Leempoel, l’actuel CEO de Riaktr, ne s’en cache pas. “Cela a fait partie de ma stratégie dès que je suis arrivé comme CEO de Riaktr”, admet-il. C’est que la scale-up bruxelloise qui était passée d’un modèle de vente de services pour les “telcos” à un modèle de “produit” par la vente de logiciels d’analyse s’est rapidement heurtée à plusieurs réalités du marché.

40 personnes

composent actuellement l’équipe de Riaktr, contre une centaine précédemment.

Malgré des produits qui séduisent les clients, Riaktr évolue dans un secteur où les cycles de ventes sont particulièrement longs et coûteux puisqu’il faut compter deux ans avant de signer un contrat, souligne Sébastien Leempoel. “Et même en mettant beaucoup d’argent sur la table, on ne peut pas vraiment accélérer cette cadence, ajoute-t-il. Du coup, nous allions forcément observer une baisse de la grosse croissance enregistrée ces dernières années. Surtout que nous n’avons que deux produits à proposer pour l’instant, un chiffre restreint qui ne permet pas de rentabiliser facilement le temps et l’argent investis dans de si longs cycles de vente.” Voilà pourquoi la jeune pousse s’est mise à envisager des partenariats industriels avec des acteurs comme Seamless. Avec la suite que l’on connaît.

Cette acquisition devrait permettre à la scale-up d’entrer avec ses produits chez les clients du portefeuille de son acquéreur suédois et de miser sur les synergies. Tandis que l’opération permet à Seamless de mettre la main sur des clients en Afrique (80% du chiffre d’affaires de Riaktr) mais aussi “d’offrir des solutions de nouvelle génération qui permettront à nos clients d’améliorer leur position concurrentielle”, précise un communiqué de l’entreprise.

10,4 millions “seulement”

Les responsables de Riaktr refusent de dévoiler les détails du deal bien que des bruits de couloir repris par la presse la semaine passée évoquent un montant de “presque 20 millions d’euros”. Pourtant, on en serait loin: dans une communication officielle annonçant les négociations exclusives en mars passé, Seamless Distribution Systems (SDS) chiffrait la reprise à 10,4 millions d’euros “seulement”.Un montant qui a de quoi étonner puisqu’en 2016, Real Impact Analytics annonçait une levée de fonds à 12 millions d’euros, notamment auprès de Fortino, le fonds d’investissement fondé par Duco Sickinghe, l’ancien CEO de Telenet. Une opération au cours de laquelle la valorisation de la start-up n’avait pas été dévoilée. “Mais que l’on pouvait estimer à 30 ou 40 millions d’euros, analyse pour nous un spécialiste du numérique belge. Du coup, les investisseurs et les fondateurs pouvaient à l’époque espérer qu’une future vente se fasse quelques années après pour un montant compris entre 70 et 200 millions si le parcours de la firme s’était caractérisé par une forte croissance continue et si elle n’avait connu aucune embûche.” Des estimations purement théoriques, mais quand même…

Sébastien Leempoel, CEO
Sébastien Leempoel, CEO “Il a fallu deux à trois ans pour trouver le bon product market fit.”© PG

Or, depuis sa principale levée de fonds en 2016, le développement de Real Impact Analytics devenue Riaktr n’a pas été un long fleuve tranquille. En plus du départ de son emblématique CEO et cofondateur Sébastien Deletaille dans un climat de tension avec ses nouveaux actionnaires en 2018, la scale-up est passée par plusieurs phases de restructuration. Les équipes ont en effet été réduites, passant de plus de 100 personnes hier à 40 aujourd’hui. Riaktr a aussi réalisé un “pivot” de son modèle qui n’a pas été simple: son passage de société de consultance pour les télécoms à une société de logiciels vendus en saas (software as a service, à savoir un abonnement pour ses produits qui tournent en ligne) ne s’est pas opéré du jour au lendemain. Le CEO actuel l’admet:

“Le pivot a été fait pour de mauvaises raisons, analyse-t-il. Le but était à la fois d’assurer la ‘scalabilité‘ technique de Riaktr et d’être plus efficace financièrement. Mais ce n’était pas ce que les clients voulaient. Il a fallu deux à trois ans pour trouver le bon product market fit“. Cette période aura été marquée par un mouvement de balancier dans les revenus de la firme bruxelloise: les licences ont progressivement pris le pas sur les revenus liés au service, ce qui n’a pas permis à Riaktr de voir son chiffre d’affaires exploser, comme l’espèrent généralement les fondateurs de start-up.

Issue positive, malgré tout

N’empêche: la trajectoire est loin d’être mauvaise et reste est à mille lieues de celle de nombreuses start-up qui disparaissent et ne laissent (quasi) rien derrière elles. En 2019, Riaktr aurait atteint la rentabilité. Surtout, elle a réussi à faire grimper la proportion de licences saas au point qu’aujourd’hui, elles représentent “plus de 50%” de ses revenus, soit 2,6 millions d’euros récurrents sur un chiffre d’affaires de 4,9 millions. “On peut aussi souligner une issue positive là où beaucoup mettent la clé sous le paillasson, insiste un observateur avisé. Des ventes de start-up à 10 millions, cela ne reste assez rare dans l’écosystème belge.” Certains actionnaires comme Fortino y auront bien sûr laissé des plumes mais ils savent que l’investissement dans les start-up reste risqué et que moins de deux ou trois jeunes pousses sur dix deviennent de véritables cartons… D’ailleurs, ils récupéreront quand même une partie de leur mise.

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