Des fintechs pour répondre aux défis climatiques?

La fintech belge Bonsai soutient un programme de reforestation à Madagascar subsidié par des commerçants partenaires, relié à votre compte bancaire. © Getty Images

A l’heure où les enjeux écologiques et énergétiques deviennent de plus en plus pressants, le secteur financier, comme pas mal d’autres, est sous pression des consommateurs et de la réglementation. Une partie des réponses pourrait venir des fintechs, qui y trouveraient un boulevard d’opportunités.

Moyen de paiement innovant avec son téléphone. Gestion intelligente de ses comptes bancaires. Application pour boursicoteurs ou fanas de cryptomonnaies. Dans l’esprit de la plupart des gens, les fintechs sont des plateformes de gestion purement financière, voire transactionnelle. Et peu savent que l’écosystème des start-up à l’assaut de la finance est bien plus large et peut même jouer un rôle en matière de durabilité et d’inclusion. Mieux: une vraie tendance serait même en train d’émerger, à en croire divers spécialistes.

Plusieurs start-up se positionnent déjà comme fournisseuses de données ESG”

Caroline Vanlangendonck (Deloitte)

“L’innovation dans le domaine des technologies financières est sur le point d’offrir une nouvelle avancée sociétale en aidant les gestionnaires de fonds et les investisseurs à déverrouiller les complexités des obligations d’investissement ESG (ceux qui garantissent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance)”, écrivait cet été Anton Kaidorin, consultant dans le domaines des services financiers, dans une tribune sur le site Nasdaq.com. Celui-ci poursuit: “Tout comme l’argent mobile, puis l’argent électronique et les services bancaires ouverts ont transformé l’activité économique dans les économies en développement en donnant des moyens d’action aux nouvelles micro-entreprises à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le déploiement d’une gestion et d’une analyse des données plus sophistiquées est maintenant prêt à offrir les avantages et les opportunités que l’investissement durable promet depuis longtemps”.

Tendance naissante

Fintech Belgium, l’association belge des fintechs, lui a embrayé le pas à la rentrée en rappelant que les thématiques ESG constituaient aujourd’hui une des tendances du secteur. “Alors qu’il y a une réelle volonté de la population et des entreprises d’être durables et inclusives, de plus en plus de services innovants sont créés avec l’ESG au coeur de leur service”, soulignent les responsables de Fintech Belgium. Ce que Kasper Peters, partner responsable pour le secteur des assurances et des banques chez Deloitte, confirme également: “C’est une vraie tendance naissante dans la finance, et en particulier la fintech. Partout en Europe, on se penche sur ces besoins de durabilité et de responsabilité sociale. Une série de start-up se positionnent déjà sur le créneau, mais on peut s’attendre à ce qu’un nouveau business émerge dans ce domaine partout en Europe!”

On peut se réjouir qu’en Belgique, quelques fintechs se développent déjà sur ce segment.”

Xavier Corman (Fintech Belgium)

Cette évolution s’explique en premier lieu par la mise en place, dans le cadre du Green Deal européen, d’une réglementation orientée ESG qui aura inévitablement un impact sur le secteur financier: SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui oblige les conseillers financiers à évaluer et à communiquer des informations sur la durabilité de leurs offres, directive européenne MiFID II leur imposant de récolter les préférences de leurs clients en matière de durabilité, CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) prévoyant que les grandes entreprises devront publier des informations sur la manière dont elles opèrent et gèrent les défis sociaux et environnementaux, etc.

“Outre cette réglementation qui vient d’en haut, il existe également une pression du marché, des clients et utilisateurs qui veulent plus d’ESG et de produits durables, observe Xavier Corman, administrateur chez Fintech Belgium. Le marché veut que les acteurs, tout comme les produits qu’ils proposent, respectent des critères de durabilité. Et cela ne fait qu’augmenter.” La combinaison de ces réglementations (en vigueur ou qui le seront prochainement) et du souhait du marché ouvre inévitablement la porte à une série d’innovations ou de nouveaux services.

“Plusieurs start-up se positionnent comme fournisseuses de données dans ce domaine ESG, observe Caroline Vanlangendonck, manager sustainable finance, chez Deloitte. Elles ne livrent pas forcément un service au client final mais aident les banques et les organes financiers à obtenir des données complexes auxquelles elles n’ont pas accès. Ou elles livrent des rapports très détaillés.” C’est, par exemple, le cas de Rockestate. Cette start-up bruxelloise s’est spécialisée dans l’évaluation à distance et en temps réel des biens immobiliers, lui permettant de proposer aux banques et aux compagnies d’assurance une meilleure compréhension des logements de leurs clients.

Des arbres toutes les 10 transactions

“Rembourser la planète”. Voilà le slogan de la fintech belge Bonsai qui propose de planter des arbres chaque fois que 10 transactions ont été effectuées via sa plateforme. Bonsai invite les clients à relier son appli à leur compte bancaire et à effectuer des paiements auprès de commerçants partenaires via un QR code. Ce sont les marchands qui paient les frais servant à financer la plantation d’arbres à Madagascar, par le truchement du programme Eden Reforestation. Le choix de Madagascar se justifie par l’impact écologique conséquent d’une telle mesure dans ce pays et par le travail proposé aux locaux, qui les aide à sortir de la précarité. Bonsai a développé des partenariats avec Google Pay et Apple Pay mais aussi des acteurs comme De Lijn. “Nous avons permis la plantation de 200.000 arbres, se réjouit Jelle Baats, CEO de Pay Bonsai. Mais notre ambition serait d’arriver à 20 millions d’arbres d’ici 2025.” Pour l’instant, la start-up ne dispose d’aucun revenu puisque les frais payés par les marchands servent exclusivement à rembourser les frais des intermédiaires ou sont consacrés à la reforestation. La jeune pousse fonctionne via une levée de fonds de 2,5 millions d’euros. Mais elle ambitionne de lancer dans les prochains jours une carte de fidélité totalement automatisée. Cette solution B to B doit lui permettre d’obtenir (enfin) des rentrées.

Océan d’opportunités

“L’adoption croissante des pratiques ESG offre un océan d’opportunités pour les fintechs dotées de compétences en matière de gestion des données et d’une expertise ESG spécifique que les banques et autres institutions financières pourront exploiter et avec lesquelles elles pourront établir des partenariats, prédit encore Anton Kaidorin dans sa tribune. De nombreuses fintechs soutiennent déjà les banques dans des domaines tels que l’établissement de profils ESG, l’analyse des risques climatiques (y compris les modèles climatiques, la reconnaissance d’images satellites, etc.). Les données restent aujourd’hui la pierre angulaire de toute initiative ESG. Les fintechs peuvent offrir beaucoup dans le monde de l’ESG, comme elles se sont montrées capables de le faire auparavant. Et elles auront un avenir passionnant si elles peuvent à nouveau prouver qu’elles ont les réponses pratiques et rentables dont les banques ont besoin.” De fait, ces services technologiques permettant aux acteurs financiers de mieux prendre en compte et respecter les critères ESG devraient réserver de beaux jours aux acteurs externes sans trop craindre d’être court-circuités ou absorbés en interne. “Ce n’est à ce stade pas core business pour les banques et les sociétés du monde de la finance, même si les normes ESG sont de plus en plus intrinsèquement liés à la finance, note Xavier Corman de Fintech Belgium. Il est plus simple et plus efficace de faire appel à des acteurs qui ne font que cela, qui ont toutes les compétences que d’internaliser. Cela permet à la fois de mutualiser les coûts et d’obtenir une meilleure technologie.”

Certes, aujourd’hui, on ne compte encore en Belgique qu’une poignée de start-up fintechs totalement orientées ESG et quelques dizaines dans le monde (une trentaine on été épinglées par Deloitte Belgique). Mais leur nombre devrait croître alors même que “nous assisterons bientôt (d’ici un à deux ans) à une ‘complexification’ critique des modèles de profilage ESG existants grâce à une analyse nettement plus approfondie des processus, des matériaux, de la main-d’oeuvre, des chaînes de valeur, etc.”, note Anton Kaidorin. Chez Fintech Belgium, on pense aussi que le créneau des fintechs liées aux défis ESG est porteur. “On peut se réjouir qu’en Belgique, quelques fintechs se développent déjà sur ce segment, commente Xavier Corman. Nous n’avons pas réussi à imposer de très gros acteurs belges dans le domaine du paiement en ligne, mais l’intelligence et le savoir-faire existent ici pour voir émerger ce type de sociétés.” Reste à voir si notre marché est propice à l’éclosion d’un Revolut de l’ESG?

Aider banquiers et assureurs à connaître les maisons des clients

Données lidars, images aériennes, informations cadastrales. Voici quelques-unes des sources qui alimentent Rockestate, fintech bruxelloise qui propose aux institutions financières des informations précises et à jour sur les biens immobiliers de leurs clients. Ces informations sont compilées et travaillées avec des algorithmes et de l’intelligence artificielle par Rockestate à destination d’entreprises comme ING ou Keytrade. “Cela aide, par exemple, les compagnies d’assurance à calculer les primes de risques pour les couvertures habitation, explique Pietjan Vandooren, cofondateur et CEO. Avec les banques, on va plus loin: on est capable de déterminer une valorisation du bien, ce qui leur permet de décider si elles accordent ou non un crédit.” Rockestate est aussi active sur le créneau des experts immobiliers, proposant des estimations à distance, suffisamment précises dans 80 à 90% des cas. Avec quel rôle dans le domaine de la durabilité? “Nous collectons des données qui nous permettent de connaître la surface du toit d’un bien, le nombre de mètres carrés de murs extérieurs, etc., poursuit le CEO de cette fintech, composée aujourd’hui de 16 personnes. On peut donc avoir une certaine idée du score énergétique plus ou moins élevé d’une maison. On développe aussi un produit qui sera lancé dans les prochaines semaines, qui va permettre à nos clients d’effectuer des simulations sur l’état actuel de leur maison d’un point de vue énergétique.”

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