Comment le numérique a bousculé les médias et la publicité

Régie du studio de Canal Z © Emy Elleboog
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Les entreprises de presse écrite continuent d’investir dans des secteurs complémentaires à leurs activités. Objectif: séduire les annonceurs mais aussi réaliser des économies.

“Si vous visitez l’ensemble des rédactions aujourd’hui, vous verrez qu’elles sont devenues de véritables studios”, affirme Pierre Leerschool, directeur général du média Sudinfo, illustrant combien les supports d’information ont évolué du papier vers les plateformes numériques.

Ce changement amorcé il y a quelques années est une réaction à l’érosion des ventes aux numéros et aux abonnements papiers. Le lecteur historique du journal est devenu un “consommateur de médias”, principalement via les écrans. “C’est la principale raison qui a poussé les groupes de presse à s’emparer du numérique”, précise Bart Kuypers de la plateforme spécialisée MediaSpecs. Dans la même logique, les magazines qui livraient autrefois une information hebdomadaire répondent désormais aux exigences du rythme quotidien via leurs plateformes en ligne.

Transmédia

Baisse du nombre de points de ventes, hausse constante du prix de la pâte à papier (sous la barre des 50 euros la tonne début des années 2000, plus de 150 euros l’an dernier) et surtout avènement du numérique et de l’informatique ont bousculé la stratégie de ces médias. “Considérer que les entreprises de presse écrite quotidienne ou magazine ne sont présentes que dans ce secteur relève d’une vision d’un autre âge”, expliquent les spécialistes des médias Frédéric Antoine (UCLouvain) et François Heinderyckx (ULB).

Il y a encore quelques années, chaque média segmentait ses activités: sauf exception, les journalistes de radio, de télévision ou de presse écrite exerçaient leur métier seulement dans leur spécialité. Aujourd’hui, le transmédia domine le paysage. Un exemple? Les podcasts disponibles sur les sites de presse écrite. Ou les articles disponibles sur le site de la RTBF, qui a aussi fait du podcast un de ses chevaux de bataille vie une plateforme spécifiquement dédiée.

Convergence

“On assiste aujourd’hui à ce qu’on appelle la porosité des médias, c’est-à-dire une sorte d’estompement des différences entre les titres”, souligne Philippe Marion, professeur à l’UCLouvain. Pour ce spécialiste des médias et de la publicité, le phénomène n’est toutefois pas nouveau, même s’il s’amplifie. Les groupes de presse quotidienne ont, par exemple, très tôt pris part au mouvement de création de radios privées dans les années 1980. En Belgique francophone, plusieurs “radios de presse” virent ainsi le jour dans le giron d’éditeurs de quotidiens (FM Le Soir, Radio Vers l’Avenir, etc.) qui s’associèrent ensuite à des opérateurs industriels spécialisés, afin d’occuper une partie du terrain et bénéficier de ses retombées publicitaires.

Et la télévision

L’audiovisuel est sans aucun doute le meilleur exemple de ces secteurs annexes dans lesquels les éditeurs ont développé leurs activités. Et deux opérations récentes illustrent bien ce phénomène. La première est le rachat de RTL Belgique par deux groupes de presse. D’un côté, Rossel (505 millions de chiffre d’affaires), éditeur du Soir et Sudpresse, mais aussi de plusieurs quotidiens en France. De l’autre, DPG Media (1,7 milliard de chiffre d’affaires) qui possède quelques grands titres de la presse belge (Het Laatste Nieuws, De Morgen, Humo, etc.), néerlandaise et danoise, mais aussi Medialaan, la société mère des chaînes VTM et des radios QMusic et Joe.

Quant au deuxième exemple, il est sans aucun doute une réponse au premier puisqu’il s’agit du rachat de la chaîne d’information continue LN24 par le groupe de presse IPM, éditeur de La Libre, La DH, Moustique et propriétaire des éditions de L’Avenir. Un groupe qui devait réagir en nouant de nouvelles alliances, prioritairement dans l’audiovisuel, pour rester dans la course.

Séduire les annonceurs

La vidéo, qu’elle soit consommée en ligne, en direct ou en replay, est en effet devenue une source de revenus importante pour les groupes de presse, notamment parce qu’elles attirent des annonceurs conscients du succès toujours plus grand de ce format auprès des lecteurs/téléspectateurs.

PIERRE LEERSCHOOL
© PG

Le numérique est aujourd’hui le principal moteur de notre chiffre d’affaires.”PIERRE LEERSCHOOL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE SUDINFO

“Il y a un retour de la vidéo, notamment à cause du succès des formats courts sur des réseaux sociaux comme TikTok”, observe Philippe Marion. Ce support présente deux avantages. Il permet de toucher une audience plus large que celle des lecteurs de base mais incite également ceux-ci à rester connectés plus longtemps sur les plateformes numériques, argument auquel les annonceurs sont sensibles.

“Le numérique est aujourd’hui le principal moteur de notre chiffre d’affaires”, confirme Pierre Leerschool, qui a d’ailleurs engagé des journalistes afin d’accroître cette offre. Exemple récent: l’émission La Meilleure Friterie, qui a été diffusée sur RTL-TVi mais a également connu une déclinaison sur le site d’information Sudinfo et ses versions locales.

Les agences de presse n’échappent pas à la tendance. Belga s’est ainsi dotée d’un pôle vidéo depuis cinq ans. Ces vidéos sont mises à disposition de la presse moyennant le payement d’un abonnement ou d’un forfait. En France, l’AFP a également fait de la vidéo sont principal axe de développement, ce qui lui a permis de générer de nouveaux revenus et de renouer avec la croissance. L’agence de presse a notamment conclu des contrats avec le média européen Euronews mais également avec la BBC et TF1.

Diversifier les activités

Dans les activités historiques des groupes de presse eux-mêmes, la diversification est de mise. Un classique: la réalisation de toutes-boîtes pour rentabiliser les imprimeries. Mais d’autres formules peuvent également être considérés comme des extensions des activités de base (joint-venture dans d’autres titres de presse) ou comme des axes de développement logiques (production de titres de presse magazine, régie publicitaire).

Ces intégrations ou associations permettent des économies d’échelle, les contenus préexistants pouvant être multipliés et étendus à moindre frais. “Cela illustre le phénomène de convergence des médias, à savoir une tendance au regroupement, qu’il soit économique, administratif ou institutionnel”, précise Philippe Marion qui souligne que la politique actuelle de Roularta (Trends-Tendances, Canal Z, Le Vif, etc. ) va dans un sens identique. “L’entreprise peut gérer à la fois l’achat des espaces médias, la conception des messages et l’ensemble de sa stratégie. C’est intéressant parce que centraliser permet de garder la maîtrise.”

D’autant que l’avènement du numérique n’a pas seulement bousculé le paysage médiatique mais également le marché de la publicité. Source de revenu essentiel pour les médias, celui-ci s’est largement globalisé et concentré et est actuellement dominé par une poignée de plateformes de très grande taille.

Cette évolution a des conséquences négatives sur la rentabilité des médias locaux puisque ces derniers voient une partie de leur marché historique leur échapper, même si l’on sait que les annonceurs investissent aujourd’hui plus volontiers sur les plateformes qui permettent de cibler les messages publicitaires en fonction de l’utilisateur et de récolter ses données, qu’elles soient globales ou locales.

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