Scrutins, rixes et balles magiques

L’Histoire a déjà montré qu’une pandémie pouvait changer bien des choses en politique.
Lorsque la peste décima un tiers des Européens au 14e siècle, les propriétaires terriens se retrouvèrent avec une pénurie de main-d’oeuvre pour travailler leurs terres, ce qui a permis aux paysans d’exiger de meilleures conditions de travail. Lorsque la grippe tua 20 millions d’Indiens en 1918-1919 (et 30 millions de personnes supplémentaires dans le reste du monde), l’extension de la misère donna un coup d’accélérateur à la campagne de Mahatma Gandhi pour mettre fin au régime colonial britannique. La pandémie peut faire basculer la politique. Ainsi, une étude de 133 pays menée entre 2001 et 2018 a dévoilé que l’instabilité politique avait tendance à atteindre un pic deux ans après le début d’une épidémie type. Si tel était le cas, 2022 sera une année mouvementée.
Dans le monde, les troubles civils ont en effet augmenté de 10% en 2020, la première année de la pandémie, bien que près de la totalité des pays aient imposé des restrictions sur les rassemblements publics. Certains citoyens reprochent à leurs gouvernements de ne pas avoir réussi à endiguer le virus. D’autres se plaignent des confinements imposés de manière trop dure et qui ont ruiné l’économie. Certains s’imaginent que les vaccins que les gouvernements leur demandent de prendre sont dangereux.
Circonstance aggravante
Les nombreuses manifestations qui se sont déclenchées en 2021 avaient de multiples raisons, mais le covid a souvent représenté la circonstance aggravante. Des manifestants en Afrique du Sud se sont ainsi non seulement insurgés contre l’emprisonnement d’un ex-président, mais également contre le chômage lié à la pandémie. Des manifestants au Belarus et en Thaïlande ont non seulement demandé plus de démocratie, mais également de meilleurs soins de santé.
En 2022, le risque de troubles menace principalement les pays à revenu intermédiaire. Les pays riches sont largement vaccinés. Les très pauvres connaissent tellement de problèmes que le coronavirus ne fait que s’ajouter à une longue et triste liste. En revanche, les citoyens des pays à moyen revenu veulent des services publics décents et sont frustrés. Ils savent que les plus nantis ont été vaccinés en premier, y compris les membres de l’élite locale qui se sont précipités à l’étranger pour recevoir leurs doses. Ils sont impatients, et à juste titre, de constater que le vaccin reste hors de portée de millions de personnes.
Des élections pourraient faire exploser ces frustrations. Au Brésil, un président populiste, Jair Bolsonaro, a mal réagi à la crise du covid, en sous-estimant sa gravité, en s’opposant
aux masques, en entravant le déploiement du vaccin et en laissant mourir des milliers de personnes. Son impopularité pourrait lui coûter les élections au mois d’octobre. Le pays est polarisé: en effet, il a affirmé à ses partisans que le vote serait truqué et il insiste sur le fait que seul Dieu pourrait le faire partir. Une insurrection à la Trump, voire pire, ne peut être exclue.
Les élections au Kenya au mois d’août seront tout aussi tendues. La pandémie a supprimé de nombreux emplois liés au tourisme. La police a tué des personnes qui n’ont pas respecté le couvre-feu. La colère gronde et un candidat, William Ruto, attise le feu de la colère. Bien qu’il soit riche, il se présente comme l’ennemi des dynasties politiques, comme les familles Kenyatta ou Odinga. William Ruto a été accusé de crimes contre l’humanité dans le cadre des violences électorales de 2007-2008 (les accusations ont ensuite été abandonnées après que des témoins sont revenus sur leur témoignage). D’autres révoltes sont à craindre.
Feu aux poudres
Une dynastie populiste pourrait se former aux Philippines, dirigées par le président Rodrigo Duterte, qui a intimidé la presse et a encouragé l’assassinat extrajudiciaire de dizaines de milliers de criminels soupçonnés de trafic de drogue. Il ne peut pas se présenter pour un second mandat au mois de mai et a promis de se retirer de la politique. Mais il n’a pas toujours respecté ses promesses par le passé. Il pourrait ainsi briguer le poste de vice-président et sa fille pourrait se présenter à la présidence.
En Inde, plusieurs scrutins régionaux pourraient mettre le feu aux poudres. Pour détourner l’attention des millions de morts dus au covid et à sa propre subversion des institutions, en 2022, le parti au pouvoir, Bharatiya Janata, attisera la haine à l’encontre des musulmans, qu’ils accusent d’avoir mené un « djihad de l’amour » pour séduire et convertir des femmes hindoues. La police empêchera tout rassemblement de l’opposition, invoquant les règles anti-covid, mais autorisera les rassemblements et même la violence des partisans du BJP.
Certains pays auront du mal à organiser des élections, tout simplement. Le Liban a prévu un scrutin au mois de mai, mais l’effondrement économique et le chaos général pourraient mener à un report. La Guinée et le Mali, qui ont récemment connu des coups d’Etat, sont instamment sommés d’organiser des élections libres et transparentes, mais ils ne le feront pas.
Pour revigorer la croissance, préserver la santé des habitants et éviter les troubles en 2022, les gouvernements seraient bien avisés d’accélérer la campagne vaccinale. Les anti- vaccins résisteront, mais la France et d’autres pays ont prouvé qu’en insistant sur la nécessité de montrer un passeport vaccinal pour manger au restaurant, les gens changeaient rapidement d’avis. Il n’y a pas de solutions miracles en politique, mais les vaccins contre le coronavirus y ressemblent à s’y méprendre.
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