Paul Vacca

Pourquoi les bandes-annonces racontent-elles tout?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Il fut une époque où l’on “allait au cinéma”. Aujourd’hui, il nous faut une assurance avant de nous déplacer. Et c’est la bande-annonce qui nous la délivre.

Longtemps on a accusé les bandes-annonces de tromper le spectateur. En ne livrant, par exemple, que les meilleurs gags (et parfois les seuls) d’une comédie ou les passages les plus spectaculaires d’un film d’action, quitte à donner une image franchement déformée de ce qu’est réellement le film. C’est de bonne guerre pourtant. La bande- annonce est un support promotionnel. Son objectif est évidemment de faire en sorte que l’on se déplace dans une salle de cinéma. Reproche-t-on au commerçant de n’exposer en vitrine que ses plus beaux produits pour nous inciter à pousser la porte? Et séduire, comme on le sait, ne consiste pas à tout montrer en laissant la place à l’imaginaire.

Pourtant, depuis quelques années, on constate une évolution en sens inverse: les bandes-annonces s’emploient, semble-t-il, à ne plus rien nous cacher. Au point d’en devenir indigestes (dépassant parfois les 2’30”, ce qui interminable, que ce soit en salle ou sur son smartphone, surtout si l’on y est exposé de nombreuses fois) en nous racontant le film en long et en large. Auparavant, les bandes-annonces se contentaient de livrer l’enjeu du film (“C’est l’histoire d’un homme qui…”) tout en lançant quelques pistes en vrac comme des appâts et en tâchant d’en révéler le moins possible sur le déroulement. Dorénavant, les trailers, comme on les appelle désormais, s’évertuent à dévoiler toute l’intrigue. Pas seulement l’enjeu mais aussi ses développements successifs. Comme si ses concepteurs avaient voulu faire rentrer au chausse-pied toute l’intrigue dans 2’30”.

La démarche peut sembler a priori contre- productive. Or, il existe une logique à cela: c’est tout simplement de notre faute. Oui, nous, spectateurs potentiels, ne supportons plus d’être surpris. Nous voulons savoir exactement ce que nous allons voir avant de nous déplacer. D’ailleurs, les concepteurs de bandes-annonces l’attestent : plus le public en connaît sur le film, plus il y a de chance qu’il se déplace. Et il vaut mieux en livrer trop que pas assez, quitte à laisser échapper quelques spoilers comme ce fut le cas pour certains films. Loi du désir contre loi du marché.

C’est que les temps ont changé. Il fut une époque où l’on “allait au cinéma”: on se retrouvait devant un multiplexe et on décidait au dernier moment quel film on allait voir. Puis sont arrivés successivement la vidéo (VHS, puis DVD), le câble et le streaming, élargissant toujours plus l’offre. Aujourd’hui, ayant tout le choix de “contenus” à portée de clic à la maison, “on va voir tel ou tel film”. Il nous faut une assurance avant de nous déplacer. Et c’est le trailer qui nous la délivre.

On pourrait se réjouir de cet effort de transparence et d’informations sur le film, si ce n’est que le formatage narratif en 2’30” ne laissant pas de place à l’imaginaire, ne peut servir que les films qui répondent déjà à cette logique préformatée (par exemple, les franchises de super-héros). En revanche, les oeuvres qui veulent surprendre avec des propositions narratives plus originales se trouvent, elles, particulièrement mal servies par le carcan narratif du trailer. On pense, par exemple, à l’Année du requin de Ludovic et Zoran Boukherma sorti cet été, réduit par le trailer à une pure “comédie à la française” alors qu’il s’agit d’une proposition bien plus originale, inventive et enthousiasmante se jouant des genres.

Si auparavant les bandes-annonces pouvaient nous tromper par défaut, aujourd’hui elles auraient tendance à nous berner par excès. Avec la crainte qu’en réduisant l’imaginaire dans les bandes-annonces, on ne finisse aussi par le réduire à l’écran. Trailers de tous les films, délivrez-vous!

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