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Pour une éthique écocentrique au 21e siècle

La mort de Dieu au 19e siècle était la mort d’une idée. Avec les problèmes écologiques qui sont devenus globaux, la fin de la nature au 20e siècle semble être une question à prendre plus au pied de la lettre.

La mort de Dieu au 19e siècle était la mort d’une idée. Avec les problèmes écologiques qui sont devenus globaux, la fin de la nature au 20e siècle semble être une question à prendre plus au pied de la lettre. Avant de nous lamenter, prenons du recul : d’une part, bien que maltraitée par l’homme, la nature est loin d’avoir dit son dernier mot. D’autre part, comme le remarque l’un des principaux penseurs de l’éthique environnementale John Baird Callicott, ce qui arrive à sa fin, ce n’est pas la nature elle-même mais sa conception moderne.

En effet, le trait fondamental de la conception moderne de la nature est une dichotomie entre l’homme et la nature. C’est elle qui a permis à l’homme de se donner pour mission de dominer la terre et ses habitants. En effet, selon cette conception, la terre est perçue comme un mécanisme d’horlogerie intelligible grâce aux progrès de la science tandis que ses habitants, à l’exception de l’homme, ne sont que des automates ou des mécanismes en miniature. Selon le philosophe suisse Gérald Hess, cette “nature-machine” est considérée comme un matériau brut, valable comme stock de marchandises à usage humain. Cette conception de la nature-machine est de plus en plus contestée, et ce pour deux raisons au moins.

D’une part, les réussites spectaculaires du 20e siècle dans la conquête de l’homme sur la nature paraissent de plus en plus douteuses. Ainsi, des épidémies importantes et fréquentes nous font percevoir les limites d’une conception mécaniste de la nature : par exemple, remplacer les espèces locales par des espèces importées ne se fait plus sans crainte de conséquences négatives.

D’autre part, la science ne peut plus rester mécaniste suite aux découvertes révolutionnaires effectuées depuis le début du 20e siècle (relativité, physique quantique, etc.).

Nature organique vs nature mécanique

Une idée postmoderne de la nature, qui renoue avec des conceptions dites “primitives”, est en train de prendre forme et de gagner du terrain. Selon cette théorie qui inclut les êtres humains au lieu de les exclure, la nature est organique : systémique et dynamique, la “nature animée” (selon les termes de Hess) se développe comme un organisme de façon autonome.

Comme l’explique Hess, cette conception organique de la nature n’est pas seulement descriptive ; elle est aussi normative. En effet, elle induit une extension de “l’éthique”. Jusqu’ici limitée à l’homme (anthropocentrisme), l’éthique élargit son cercle pour inclure, selon les uns les grands singes (anthropocentrisme élargi), selon les autres les animaux et les plantes (pathocentrisme et biocentrisme), jusqu’aux écosystèmes et à la biosphère, perçus comme des super-organismes (écocentrisme). La bataille fait rage parmi les philosophes pour savoir où les nouvelles frontières, de l’éthique doivent s’arrêter, mais un fait semble peu discutable : la direction suivie pointe vers une éthique “écocentrique” selon laquelle la biosphère, comme les organismes qui la composent, peuvent avoir une valeur intrinsèque relative, qui dépasse leur valeur d’usage.

L’indispensable vigilance

Soit, mais en quoi cela concerne-t-il les entreprises ? Pour le comprendre, observons ce que cette conception organique de la nature et l’extension de l’éthique qui l’accompagne supposent : elles peuvent impliquer par exemple de nouveaux arbitrages entre la préservation d’espèces animales ou végétales et la création ou le maintien d’activités humaines génératrices d’emplois. Plus généralement, elles impliquent que l’homme et les entreprises, vu leur rôle croissant dans nos sociétés, ont le devoir de s’atteler à mettre au point une “écologie clinique”, capable d’évaluer et d’améliorer la “santé” des écosystèmes non seulement naturels mais également industriels qui composent cet immense organisme qu’est la nature. Dans ce cadre, le développement de technologies appropriées – non hostiles à la nature conçue comme organique – est en train de devenir une priorité pour de nombreux secteurs. Nous ne sommes probablement encore qu’au début des révolutions technologiques et organisationnelles que cette “nouvelle” conception de la nature impose lentement mais sûrement aux entreprises.

Dans le cadre induit par l’adoption de cette conception de la nature et de l’éthique qui l’accompagne, Hess montre que la vertu de prudence, chère aux Grecs antiques, ne suffit plus. Elle doit être accompagnée par la vertu de vigilance, qui prend mieux en compte les enjeux environnementaux parce qu’elle intègre plus le rapport à soi, aux autres et au temps, et qu’elle implique une connaissance de soi qui permet une “dépossession de soi” compatible avec le nouveau rapport homme-nature.

Faut-il en demander tant aux entreprises ? Probablement pas. Cela dit, devrons-nous nous étonner que disparaissent les entreprises qui n’auront pas été suffisamment vigilantes face à l’émergence incontournable de cette nouvelle conception de la nature ?

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