Urgence absolue pour la formation continue des travailleurs

La numérisation de l'administration, une des enjeux majeurs.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les emplois changent, profondément. Le Conseil supérieur de l’emploi met en avant les risques importants pour la compétitivité des entreprises que représente le manque de participation aux formations continues. Et formule des recommandations.

La formation continue des travailleurs est un des principaux défis de notre société. Avec les besoins de la société numérique, mais aussi la globalisation ou le changement climatique, les compétences requises pour le travail sont en évolution rapide. Voilà pourquoi le Conseil supérieur de l’emploi s’est penché sur le sujet.

“Notre pays pourrait faire beaucoup mieux dans ce domaine” reconnaît la cheffe de cabinet du ministre fédéral de l’Emploi et de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS). Qui met en avant une forte disparité: les personnes les moins diplômées participent le moins à ces formations, et ces taux varient peu dans le temps. Or, certains métiers sont en souffrance chronique de pénuries et notre taux d’emploi doit augmenter. “Voilà pourquoi le droit individuel à la formation sera instauré : trois jours obligatoires dès 20200, quatre jours en 2023 et cinq jours ensuite. C’est essentiel pour augmenter ce taux de participation.”

Un manque de considération

Steven Vanackere, président du Conseil supérieur de l’emploi, insiste lui aussi sur l’importance de cette formation continue. Il a remis un rapport de son instance au ministre Dermagne ce jeudi 25 novembre. “Les carrières ne sont plus linéaires, constate-t-il. Désormais, on demande aux jeunes ce qu’ils veulent devenir… après leur job actuel.” Mais cette perception de la carrière des jeunes doit encore suivre, concrètement.

La moitié des travailleurs a au moins une opportunité de formation par an, ce qui place la Belgique dans la moyenne européenne, constate le Conseil supérieur. Mais le nombre d’heures de formation est sensiblement inférieur à ce que connaissent nos principaux partenaires. Si l’on considère que la durée des formations est un indice de l’ampleur des compétences qu’elles permettent d’acquérir, ce constat n’est pas favorable compte tenu des enjeux.

Par ailleurs, confirme-t-il, ce sont les personnes dont l’employabilité est plus fragile comme les personnes faiblement diplômées et les plus de 55 ans qui participent le moins à des formations. On n’observe pas d’amélioration notable sur ce point.

“En Belgique, 40 % des travailleurs auraient besoin de nouvelles compétences pour assurer leur maintien en emploi ou une reconversion professionnelle, souligne le président Conseil. Pourtant quatre adultes sur dix ne souhaitent pas participer à une formation continue. La moitié (54 %) seulement des travailleurs estime très important d’être formée dans le cadre de leur emploi actuel.” Plus interpellant encore, compte tenu des défis qui s’annoncent, les pourcentages de ceux qui jugent important (43%) ou très important (13%) de se former pour un autre emploi sont parmi les moins élevés au niveau européen.

Comment justifier cette attitude? Cela pourrait s’expliquer par la relative stabilité qui caractérise l’emploi dans notre pays, estime le Conseil. Les travailleurs perçoivent moins le besoin de se former pour un emploi différent de celui occupé. Autre raison, les bénéfices que retirent les travailleurs de la formation apparaissent relativement limités en termes de progression de carrière et de revenus. “Du moins est-ce la perception que les gens eux-mêmes ont de cela“, précise Steven Vanackere. Des barrières pratiques sont aussi évoquées comme frein à la participation à une formation. Les travailleurs mentionnent le manque de temps ou de flexibilité des horaires. Les raisons liées à la santé sont fréquemment évoquées par les travailleurs en fin de carrière, mais également par ceux qui sont faiblement diplômés.

Point positif, le Conseil constate que la très grande majorité (84%) des entreprises contribue à la formation de ses travailleurs, c’est davantage que la moyenne de l’UE et pas loin des meilleurs. Certes, la stratégie de formation diffère en fonction de la branche d’activité dans laquelle l’entreprise est active. Certaines sont en retrait, comme l’Horeca et le commerce de détail, d’autres à la pointe, comme les services financiers. “Au plus grande l’entreprise est, au plus les possibilités de formation sont importantes”, souligne encore le président du conseil supérieur de l’emploi.

Les entreprises innovatrices et productives sont celles aussi qui investissent le plus, souligne le Conseil. Même s’il ne se prononce pas sur le sens de cette causalité, il constate que les investissements en formation ont un impact positif sur la productivité et sur les salaires, mais que l’effet sur la productivité prévaut. “Bien sûr, la formation a un coût pour les entreprises, mais l’investissement dans la formation a un gain net pour les employeurs”, souligne Steven Vanackere.

Attention, signal d’alarme

Il y a un signal d’alarme en Belgique, insiste-t-il: c’est un problème, en Belgique, que l’on ne soit pas conscient de l’importance de cette formation continue, comparativement avec d’autres pays. Notamment, aussi, parce que le risque des pénuries d’emploi peut peser sur la compétitivité. Et parce que les choix de formation dans l’enseignement supérieur ne correspondent pas toujours au marché du travail. “La proportion d’étudiants en informatique est insuffisant par rapport aux besoins”, illustre-t-il. Le Conseil appelle à une guidance plus importante sur les besoins et opportunités dans le domaine de l’emploi.

“Le vieillissement de la population et des travailleurs nous confronte à un défi d’une extrême importance, notamment dans les soins de santé, explique Steven Vanackere. Quand on parle de la numérisation, si je vous explique 14% des emplois sont en voie de disparition et que 29% des emplois vont être modifiés, vous comprendrez que notre marché de travail va être bouleversé.”

Le Conseil note avec satisfaction que la formation des travailleurs est plus que jamais un axe essentiel de la politique de l’emploi. Il ne se prononce pas sur la complexité institutionnelle du pays : “c’est logique”. “Je constate simplement que l’offre n’est pas transparente, qu’une rationalisation est importante”, précise-t-il.

Le Conseil salue la réalisation de projets complémentaires tels que le compte individuel de formation en concertation entre le gouvernement fédéral et les entités fédérées. “C’est une simplification formidable.” De nombreuses initiatives régionales ayant trait à la formation continue – telles que les initiatives en matière de formation et de carrière en Flandre, le renforcement des infrastructures de formation de pointe en Wallonie, la stratégie de relance du marché de l’emploi à Bruxelles – figurent dans le plan belge pour la reprise et la résilience approuvé par la Commission européenne et pour lequel des financements seront délivrés. La Belgique entend par ailleurs prendre sa part dans la réalisation de l’objectif de l’UE pour qu’en 2030, 6 européens sur 10 âgés de 25 à 64 ans bénéficient d’une formation continue. “Nous étions à 39% en 2016, passer à 60% en 2030, ce n’est pas rien”, dit Vanackere. Le Conseil s’en réjouit car ce sera une contribution essentielle au relèvement à 80 % du taux d’emploi auquel s’est engagé le gouvernement.

Conformément à sa mission, le Conseil s’est fondé sur ces analyses pour formuler une série de recommandations concrètes qui s’adressent prioritairement aux autorités publiques fédérales, régionales et communautaires, mais aussi aux partenaires sociaux, aux prestataires de formations et n’oublient pas les acteurs directs que sont les travailleurs et les entreprises. Elles s’articulent autour de 4 axes Il s’agit d’améliorer la coordination et rationaliser le système de formation continue, de mieux aligner l’offre de formation sur les besoins du marché du travail, d’encourager la participation, en particulier pour les groupes sous-représentés ou encore de renforcer l’outil statistique pour évaluer la politique de formation.

“Il y a beaucoup d’argent consacré aux formations, ce n’est pas le problème, conclut Steven Vanackere. Mais il conviendrait de mieux gérer ces moyens.”

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