Paul Vacca

Un prix littéraire européen né à 3 466 m d’altitude…

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Le prix européen Grand Continent 2022 a été remporté par La Bajamar”, deuxième roman de l’Espagnole Aroa Moreno Durán.

Le 18 décembre 2022, à 3.466 m d’altitude, au coeur du massif du Mont-Blanc, un nouveau prix littéraire a été remis. Lancé par la revue européenne Grand Continent, le prix 3466 a pour ambition de “provoquer la rencontre d’un grand récit européen avec son public”. En finançant – grâce à une dotation valorisée à 100.000 euros – ses traductions dans les différents pays d’Europe et en accompagnant la promotion du livre dans les cinq aires linguistiques du prix (allemand, espagnol, français, italien et polonais). Et contribuer ainsi à ce que le livre élu rayonne de Palerme à Berlin, de Cracovie à Séville en passant par Bruxelles, Vienne, Paris depuis Courmayeur, commune alpine du Val d’Aoste où le prix a été remis.

Mais comment détecter le grand livre européen en devenir? Comment faire émerger les nouvelles grandes voix littéraires européennes, les Milan Kundera, Italo Calvino, Olga Tokarczuk, Günter Grass ou Annie Ernaux d’aujourd’hui? D’abord sortir ses antennes: capter les signaux faibles du livre fort. Un travail de sonde mené par les équipes de Grand Continent présentes dans les différents pays européens et qui repèrent les talents littéraires émergents.

Ensuite, proposer une sélection de cinq livres (un par langue) à un jury prestigieux. Composé de jurés non seulement à haute teneur littéraire mais capables aussi de penser collectivement en Européens et de créer des ponts entre les différentes langues: Nora Bossong, écrivaine allemande ; Patrick Boucheron, historien français ; Barbara Cassin, philosophe et helléniste française, membre de l’Académie française ; Galyna Dranenko, directrice du département universitaire de traduction ukrainienne ; Giuliano da Empoli, écrivain italo-suisse ; Alberto Manguel, écrivain, argentino-canadien ; Andrea Marcolongo, essayiste et helléniste italienne et Agata Tuszy?ska, écrivaine polonaise. Tous entretiennent un dialogue permanent avec les autres langages européens, incarnant par leur action la phrase d’Umberto Eco: “La langue de l’Europe, c’est la traduction”.

Le Prix Grand Continent 2022 a été remporté par La Bajamar, le deuxième roman d’ Aroa Moreno Durán, jeune auteure espagnole née à Madrid. On pourra, pour sourire, souligner l’ironie qu’il y a à couronner à haute altitude un roman dont le titre signifie “Marée basse” en français. Mais surtout, par ce choix, le jury a fait valoir ce qui à ses yeux constituait un grand récit littéraire européen.

D’abord, en distinguant la puissance évocatrice d’un ancrage culturel. La Bajamar met en scène, à travers trois générations de femmes, la question de la transmission de la mémoire et des cicatrices du passé. Comment vivre avec les ombres de Guernica ou des violences de l’ETA? Ensuite, en récompensant un livre qui capte le zeitgeist européen contemporain: cette idée d’une espérance qui semble se retirer ou s’éloigner comme la marée. Cette guerre civile, dite et non dite, qui hante la mémoire de ces femmes et qui constitue une menace toujours présente en Europe.

Et enfin, en plébiscitant, à rebours de la littérature mondialisée d’aujourd’hui, un livre qui entretient un rapport charnel à sa langue d’origine, le basque. Langue singulière et en partie intraduisible. Or, en assumant cette part a priori incommunicable, ce prix souligne cette alchimie particulière que partagent l’Europe et la littérature, et donc tout grand récit européen: la capacité à faire jaillir des différences profondes et intimes de chacun ce qui fait notre vaste horizon commun.

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