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“Quelle est encore l’importance du Royaume-Uni pour l’Union européenne?”
En plein Brexit, plusieurs pays rêvent de la continuité de l’Union européenne sans le Royaume-Uni. Outre le débat sur (l’accord sur) le Brexit, la question se pose aussi de savoir quelle est la valeur de nos voisins britanniques. Quelle est l’ampleur de la perte pour l’Union européenne ? Une analyse du professeur Herman Matthijs.
Tout d’abord, la Belgique perçoit plus de 30 milliards d’euros de ses échanges commerciaux outre-Manche. En particulier, le port de Zeebrugge et le commerce flamand, qui représente 83% des exportations belges, dépendent fortement de leurs voisins. Nous avons donc tout intérêt à ce que l’importance de ces échanges avec la Grande-Bretagne se poursuive.
Si les Britanniques quittent le navire européen, ils ne tarderont pas à conclure des accords de libre-échange avec les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et, par extension, l’ensemble du Commonwealth. La question se pose donc de savoir s’ils ne seront pas mieux lotis puisqu’ils auront, par le biais d’un accord, encore un accès privilégié au marché intérieur, outre les associations de libre-échange spécifiques avec des pays en dehors de l’Union.
Selon les paramètres traditionnels, le Royaume-Uni reste important. Le pays s’étend sur une très grande superficie et rayonne dans le monde entier. De plus, le territoire n’a jamais été membre à part entière de l’Union. Gibraltar et les îles Falkland entre autres n’y ont jamais adhéré. Le pays compte 66 millions d’habitants sur les 513 millions de l’Union européenne, ce qui représentera une diminution démographique de 12,8%. Avec 2.393 milliards d’euros, le produit intérieur brut (PIB) du pays est le deuxième plus important de l’Union européenne après l’Allemagne. Ce montant correspond à 15,1% du PIB de l’UE, qui s’élève à 15.848 milliards d’euros. Sur la scène mondiale, le PIB britannique obtient la sixième place, après les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et l’Inde.
En 2019, la contribution britannique au budget européen s’élève à 17,5 milliards d’euros, compte tenu de la ristourne de 5 milliards d’euros. Ce montant équivaut à 11,9% du total des recettes provenant des ressources propres du budget européen. Même avec le “rabais”, le Royaume-Uni contribue toujours de manière significative au Trésor public européen. Du côté des dépenses du budget européen, l’Union a payé environ 8,3 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. Le budget européen, sans les Britanniques, devra donc combler un déficit de 8 à 9 milliards d’euros. Étant donné la situation désastreuse de nombreux budgets nationaux, cette somme fera l’objet d’une vaste bataille politique.
Même sans utiliser l’euro, la Banque d’Angleterre détient 14,33% du capital de la Banque centrale européenne (BCE). Mais seuls 58 millions sur 1,5 milliard d’euros ont été libérés. Un remboursement s’impose. Avoir sa propre monnaie facilitera le départ des Britanniques de l’Union européenne.
Le climat fiscalement avantageux, le sentiment insulaire, les traditions, l’histoire et le caractère universel de la langue anglaise ont fait de ce pays un centre fiscal symbolisé par la City. Il n’est pas inconcevable que beaucoup d’épargnes soient transférées du continent européen vers l’autre côté de la Manche dans les années à venir.
Les intérêts des Britanniques sont également présents dans d’autres institutions européennes, comme la Banque européenne d’investissement (participation au capital à hauteur de 39,2 milliards ou 16,1% du total), le Fonds européen de développement (4,4 milliards ou 14,6% du total) et l’Agence spatiale européenne (ESA) avec une contribution de 370 millions d’euros en 2019.
Le Royaume-Uni demeure l’un des six administrateurs permanents de “la banque des banques” : la Banque des règlements internationaux (BRI) à Bâle. Le pays pourra donc continuer d’y jouer son rôle, sans tenir compte du reste de l’UE.
La livre sterling reste l’une des cinq monnaies du panier du Fonds monétaire international (FMI), aux côtés du dollar, du renminbi, du yen et de l’euro. Elle est donc toujours considérée comme l’une des devises les plus fortes du monde. En outre, le Royaume-Uni dispose d’un siège d’administrateur permanent dans la gestion quotidienne du FMI et d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Enfin, le Royaume-Uni est la principale puissance militaire d’Europe occidentale. Un projet militaire européen sans les Britanniques ne mènerait nulle part. En 2019, ses dépenses pour la défense s’élèvent à plus de 65 milliards de dollars. C’est beaucoup plus que l’Allemagne (49 milliards) et la France (47 milliards). C’est la première fois que l’Allemagne affiche un budget militaire supérieur à celui de la France. Beaucoup de pays européens se retireront si l’Allemagne veut devenir le premier pays européen dans le domaine militaire. La Grande-Bretagne est également l’une des deux puissances nucléaires européennes. Et quelle est la valeur d’Europol et des réseaux de renseignement européens sans coopération avec les services britanniques ?
C’est un fait que les Britanniques rencontreront des problèmes avec le Brexit. Toutefois, il est également dans l’intérêt du continent européen de parvenir à un accord décent. Au-delà de ces considérations, le Royaume-Uni reste important. Nous avons tout à gagner dans le maintien de relations privilégiées avec ce pays. Peut-être que Nemo Link, le câble à haute tension sous-marin qui relie la Belgique au Royaume-Uni, nous protégera des journées froides et sombres.
Traduction : virginie·dupont·sprl
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