Paul De Grauwe au sujet de l’accord gouvernemental : ‘Peu de contenu, beaucoup de vent’

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Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Le gouvernement Michel prend-il un nouveau départ en septembre grâce à l’accord gouvernemental de l’été ? Paul De Grauwe n’est pas vraiment impressionné. “L’impôt sur la fortune rapportera beaucoup moins que 254 millions.”

Lors de la présentation, l’accord gouvernemental n’a pas seulement été accueilli par les applaudissements des membres du gouvernement. Des commentateurs ont également été agréablement surpris que le gouvernement Michel soit parvenu à un accord sur quelques dossiers délicats. Mais à mesure que l’été avançait, davantage de voix critiques se sont fait entendre. Ainsi celle de Paul De Grauwe. Le professeur à la London School of Economics ne comprend pas pourquoi le gouvernement adopte un ton aussi triomphant.

Quel est votre avis général concernant l’accord gouvernemental ?

Paul De Grauwe: Comment vais-je dire cela ? Je l’ai trouvé plutôt mini-mini. Il ne s’y trouve finalement pas grand-chose.

Le gouvernement Michel a pourtant pu présenter une série impressionnante de mesures ?

De Grauwe: (soupire) Mais pour beaucoup de mesures, il n’est pas du tout clair de la manière dont elles seront précisément mises en oeuvre. Prenez la diminution de l’impôt des sociétés. Nous y sommes bien sûr tous favorables, mais je ne sais pas encore à quoi elle ressemblera. Une telle diminution semble spectaculaire, mais nous ne devons pas trop en attendre au final. Si des exceptions et des avantages fiscaux doivent être supprimés pour rendre cette diminution budgétairement neutre, la pression fiscale ne diminuera déjà plus beaucoup. Peut-être les plus grandes sociétés vont-elles payer davantage et les plus petites moins, ce serait une bonne chose. Et dans le meilleur des cas, les sociétés paieront au total davantage d’impôt parce que quelques loopholes (échappatoires) seront supprimés, que les sociétés utilisaient pour éviter l’impôt. Mais cela se produira-t-il ? Le gouvernement a seulement fait une déclaration d’intention. C’est un peu comme les positions papers que le gouvernement britannique produit actuellement concernant le Brexit : peu de contenu, beaucoup de vent.

Les investissements publics ne s’élèvent même pas à 2% de notre PIB. C’est une catastrophe pour notre économie

Il est question d’un impôt minimum de quelque 7,5% pour les grandes entreprises.

De Grauwe: C’est en effet une bonne idée. Beaucoup de multinationales paient moins d’impôt. Pour elles, cela sera vraiment une différence.

Concernant l’impôt sur les comptes titres, on en connaît déjà davantage. Cet impôt sur la fortune génèrera 254 millions d’euros.

De Grauwe: Il est bien sûr grotesque de faire comme si vous saviez combien un tel impôt rapportera. Le gouvernement prend le montant total qui se trouve sur les comptes titres, en soustrait un pourcentage et le tour est joué. Cela ne fonctionne pas de la sorte. Le rendement sera beaucoup plus faible, car certaines personnes déplaceront leurs avoirs ailleurs, où ils devront payer moins ou pas d’impôt. L’immobilier serait par exemple une issue potentielle.

Quelle serait votre proposition pour un meilleur impôt sur la fortune ?

De Grauwe: Additionnez déjà l’ensemble de la fortune et ne prélevez qu’un seul impôt sur celle-ci. Créez donc une large base imposable et optez pour un taux faible. Combien cela pourrait-il rapporter ? Je ne me fais aucune illusion à ce sujet, et c’est également vraiment difficile de le prévoir à l’avance. Ceux qui prétendent aujourd’hui qu’il y a beaucoup plus d’argent à retirer d’autres taxes sur la fortune, pourraient finalement tout aussi bien deviner les montants réels.

En marge de l’accord de l’été, le gouvernement a décidé de définitivement abandonner son objectif – présenter un budget en équilibre à la fin de cette législature. Cela doit vous réjouir.

De Grauwe: En effet. Ce n’est pas en soi une bonne idée de toujours tendre vers un équilibre budgétaire. À court terme, on doit d’abord tenir compte de la conjoncture. Si l’économie se porte bien, un gouvernement doit veiller à avoir sa comptabilité en ordre.

Certains économistes parlent déjà de haute conjoncture, aujourd’hui.

De Grauwe: Nous n’y sommes pas encore, mais nous en sommes proche. Il commence donc à être temps d’y travailler. Les autorités doivent veiller à ce que leurs dépenses courantes soient en équilibre. Les investissements peuvent toujours être financés par des obligations et des crédits, et donc pour ma part, un budget ne doit jamais être entièrement en équilibre.

Le gouvernement délaisse-t-il le déficit budgétaire pour investir davantage ?

De Grauwe: Absolument pas. Les investissements publics belges se situent à un niveau honteusement bas : même pas 2% de notre PIB. C’est une catastrophe pour notre économie. Les autorités doivent libérer beaucoup plus de moyens pour les travaux d’infrastructure, les investissements dans l’énergie verte et les transports publics.

L’Etat devra toujours rester présent dans la SNCB pour imposer des règles concernant la fixation des prix et d’autres aspects

Le ministre des Finances Johan Van Overtveldt a proposé la semaine dernière de privatiser la SNCB. Une bonne idée ?

De Grauwe: Non. J’habite en Angleterre où j’utilise régulièrement les transports publics. Les trains, là, ne roulent pas mieux qu’en Belgique, mais ils sont néanmoins beaucoup plus chers. Voulons-nous vraiment mettre les chemins de fer dans les mains de sociétés qui ne cherchent qu’à faire du profit ? En Angleterre, les billets de train sont deux fois plus chers pendant les heures de pointe qu’à d’autres moments. Ces sociétés gagnent beaucoup d’argent, mais la conséquence est que beaucoup de personnes prennent à nouveau la voiture pour se rendre au travail. Si ce gouvernement désire privatiser la SNCB, l’Etat devra toujours rester présent pour imposer des règles en matière de fixation des prix et dans d’autres domaines.

En théorie, est-il possible de privatiser un monopole ?

De Grauwe: Je connais peu d’exemples où cela s’est déroulé avec succès. Les meilleures privatisations ont lieu dans des secteurs où le marché impose la concurrence. Dans le secteur de la téléphonie, cela s’est bien passé. Auparavant, un monopole y régnait, maintenant, le marché fonctionne très bien.

Van Overtveldt désire vendre la SNCB, notamment pour diminuer la dette grâce au produit de la vente. Celle-ci se situe à 106% du PIB et devrait en fait arriver sous les 100%.

De Grauwe: Encore un nombre mythique. Je ne connais aucune théorie économique qui étaye cela. Il est bien sûr sage de garder la dette sous contrôle, mais ils sont aujourd’hui prêts à faire des choses stupides pour y parvenir. Je pense à la privatisation des banques qui sont dans les mains de l’Etat, comme Belfius, et à notre participation dans BNP Paribas Fortis. Cela ferait diminuer la dette brute, mais pour ce qui est de la dette nette, ce n’est absolument pas évident. Personne ne s’en préoccupe hélas. Si ces banques sont des sociétés saines qui nous génèrent même des dividendes, la vente sera au mieux une opération nulle. Dans le pire des cas, les autorités y perdront de l’argent. Mais pourquoi tout le monde ne regarde toujours que le passif des comptes publics ? Pourquoi n’avons-nous pas d’attention pour les actifs du bilan ? Une entreprise ne serait jamais évaluée de cette manière.

Peut-être ces banques seront-elles vendues parce que les hommes et les femmes politiques ne se voient pas eux-mêmes dans le rôle de banquier ?

De Grauwe: Là, je suis entièrement d’accord. Les autorités ne sont pas bonnes dans les activités bancaires. Par ailleurs, elles doivent réguler les institutions financières, il est donc question de conflit d’intérêts. Mais il n’est pas judicieux de vendre ces institutions purement et uniquement pour démanteler la dette. Pourquoi le gouvernement n’utiliserait-il pas ces revenus pour investir dans l’infrastructure? L’Europe ne peut pas s’y opposer. Cela serait un excellent stimulant pour l’économie.

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