Philippe Ledent

Notre économie est-elle encore “prospère”?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La poussée d’inflationque nous connaissons est, comme je l’écrivais récemment, en partie l’expression des déséquilibres économiques laissés par la crise du covid.

Il fallait en effet s’attendre à ce que la réouverture des économies entraîne un surcroît de demande alors que l’offre est en partie encore contrainte, notamment en Asie en raison du variant Delta. S’agissant de l’énergie (et du gaz en particulier), il faudrait y ajouter d’autres causes, telles que les problèmes géopolitiques avec la Russie ou le marché européen du carbone qui se réveille enfin. Au final, l’inflation atteint des niveaux que l’on n’avait plus connus au cours des 10 dernières années.

Pour autant, une poussée inflationniste n’est pas un phénomène nouveau, et certainement pas lorsqu’elle est liée à une poussée de fièvre des prix de l’énergie. Ce nouvel épisode semble néanmoins susciter de fortes réactions. Les causes et les conséquences font les gros titres et chaque parti politique se doit de présenter ses solutions. Bref, il y a une urgence et il faut la traiter.

Quel est le meilleur remède face à un choc inflationniste? Une baisse de la TVA? Un chèque énergie? L’extension du tarif social? Peut-être. Mais lorsque la poussière du choc sera retombée, il faudra quand même s’interroger sur les raisons pour lesquelles le budget d’un nombre de plus en plus important de ménages n’arrive apparemment pas à absorber ce genre de choc. Peut-on vraiment encore qualifier notre économie de “prospère” s’il est nécessaire de déployer des mesures d’urgence en raison d’un choc, probablement temporaire, sur les prix de l’énergie?

Comprenez bien que mon propos n’est pas de dire qu’il ne faille pas prendre de mesures d’urgence. Par contre, ce genre d’épisodes démontre notre faiblesse collective actuelle et appelle à nous interroger sur les réformes en profondeur qu’il est nécessaire de mener pour remettre notre économie sur les rails de la prospérité. L’évolution économique est faite de cycles et de chocs. Lorsqu’un choc extrême survient, il est indispensable d’intervenir. C’est ce qui a été fait face au covid, provoquant une hausse de 75 milliards d’euros de la dette publique. C’était le prix à payer pour éviter un écroulement des structures économiques et sociales du pays. Néanmoins, s’il devient indispensable de corriger le moindre coup de mou de l’économie ou l’impact du moindre choc négatif, fût-il temporaire, cela devient intenable pour les finances publiques et ce serait l’expression d’une faiblesse structurelle de l’économie.

L’urgence du choc d’inflation nous remet donc indirectement au coeur du débat de fond de la politique économique. Comment assurer la prospérité des citoyens, comme faire en sorte qu’ils soient capables de faire face, de manière autonome, aux aléas inévitables du développement économique. Pour certains, le problème n’est pas la prospérité elle-même, mais la façon de la répartir. Pour d’autres, il sera nécessaire d’améliorer la compétitivité, le fonctionnement du marché du travail ou encore notre capacité à innover, pour rétablir une prospérité perdue. Bref, comment opérer pour que le gâteau économique grandisse ou comment faire pour mieux le répartir?

Le fait que le choc d’inflation actuel provoque une telle panique économique et politique est en tout cas le révélateur que le mix actuel entre recherche d’une plus grande prospérité et meilleure redistribution de celle-ci fonctionne mal.

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