“Nos politiciens ne parviennent plus à nous vendre des mesures impopulaires”

Sas Willem © FRANKY VERDICKT
Myrte De Decker Journaliste TrendsStyle.be

Qu’il s’agisse des flux financiers entre les différentes régions du pays, de la participation des citoyens ou des réformes de l’État, pour le chercheur Willem Sas, “nos politiciens ne parviennent plus à nous vendre des mesures impopulaires.

“Le fait que le gouvernement allemand fasse contribuer, chaque famille, à hauteur d’environ 500 euros, pour faire face à la crise énergétique est, à mon avis, une mesure lapidaire”, déclare Willem Sas. “Peut-être que maintenant les citoyens européens vont se rendre compte qu’il ne s’agit pas uniquement d’une guerre russo-ukrainienne, mais d’une guerre économique qui nous concerne tous.”

Parmi les habitués du Cirio, café emblématique de la capitale, l’économiste se sent à l’aise. Pendant des années, Willem Sas occupait un appartement juste au-dessus. Et bien qu’il ait désormais déménagé à Molenbeek, et qu’il se rende régulièrement à Glasgow, où il est professeur d’économie publique à l’université de Stirling, le personnel le reconnaît à chaque fois.

Chez nous, Willem Sas est associé à la KU Leuven. Il a collaboré à des recherches sur les flux financiers entre les régions, la réforme de l’État et la montée de l’extrémisme en politique.

Contrairement à l’Allemagne, la Belgique a accordé une réduction de la TVA sur des chèques électricité et mazout. Est-ce une bonne mesure ?

WILLEM SAS. “Les économistes s’accordent à dire que ce ne sont pas de bonnes mesures pour lutter contre cette crise énergétique. Dans notre société, les personnes les plus faibles financièrement ne ressentent pas assez les effets d’une telle mesure en termes de pouvoir d’achat. Demandez à n’importe quelle mère célibataire qui vit dans une maison mal isolée. Elle n’a pas d’économie. Si vous voulez introduire de telles mesures, elles doivent être beaucoup plus ciblées.

“Et cela ne change rien au fait que, pendant des décennies, nous avons payé trop peu pour notre énergie. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose que nous payions enfin le juste prix. Cela nous oblige à réfléchir à notre consommation.”

Est-ce que payer dix fois plus est un prix correct pour l’énergie?

“Nous sommes dans une situation exceptionnelle. Le prix de l’énergie avant la crise aurait facilement pu être trois fois plus élevé. La situation, telle qu’elle était avant que la Russie ne ferme le robinet du gaz, est un exemple classique de ce que nous appelons la défaillance du marché. L’énergie était trop bon marché, car le prix du réchauffement climatique n’était pas inclus dans son prix de revient. Le gouvernement doit alors intervenir, via des taxes, pour augmenter ce prix.”

L’Europe peut-elle obliger les États membres à suivre l’exemple allemand ?

“Je ne pense pas. Ces mesures sont prises au sein du Conseil européen. Ce Conseil a décidé que notre consommation de gaz devait être réduite de 15 % cet hiver. Mais plusieurs États membres ont déjà négocié individuellement des exceptions à cette règle, ce qui a valu de nombreuses critiques à l’accord. Il est essentiel que nous soyons donc tous sur la même longueur d’onde.”

Le Premier ministre Alexander De Croo a prévenu qu’il y aurait cinq à dix hivers difficiles. Avons-nous atteint un point critique ?

“Le Premier ministre a également déclaré qu’en tant que pays, nous pouvons faire face à cela et nous devons nous soutenir mutuellement dans les moments difficiles. Il aurait pu tout aussi bien parler de l’Union européenne au lieu de notre pays.

“Je suis convaincu que cet hiver sera difficile. Mais il n’y a aucune raison de paniquer, seulement de s’inquiéter. Nous devons nous assurer que nous sommes prêts et que nous avons un plan pour traverser cette période. La chose la plus stupide qu’un politicien puisse faire maintenant serait de dire que tout ira bien et que les gens ne doivent pas s’inquiéter. Car si, en décembre, il devait alors annoncer que les lumières doivent être éteintes et que nous ne pouvons plus allumer le chauffage, ce serait désastreux pour la confiance politique.”

Quelle sera l’ampleur qu’aura cette crise énergétique sur notre perte de bien-être ?

“Si nous nous organisons bien, si nous consommons le moins possible de gaz et d’énergie, et si nous facilitons la livraison de cette énergie vers les différents pays d’Europe de l’Est, où la pénurie est la plus forte, nous pouvons nous en sortir avec une récession limitée. Bien entendu, ces efforts doivent être répartis équitablement entre les États membres, la population et les entreprises.

“Avant tout, nous devons faire comprendre que ces efforts en valent la peine. Oui, on nous demande d’utiliser moins de gaz. Oui, une pompe à chaleur est un gros investissement. Mais nous serons enfin libérés du gaz. L’énergie éolienne du Danemark pourra être acheminée plus facilement vers l’Europe, les panneaux solaires s’amélioreront et la nouvelle génération de réacteurs nucléaires pourra également contribuer à tout cela.”

Cette récession apporte donc de nombreuses nouvelles opportunités ?

“Oui, c’est ainsi qu’il faut voir les choses. Nous regardons cette crise de manière beaucoup trop pessimiste, en pensant que Poutine se frotte les mains joyeusement. Je vais vous dire : pour Poutine, la partie est terminée. La Russie en pâtira. Nous en sortirons grandis. Si on fait cela bien. J’ai encore confiance en la politique. Je suis convaincu qu’il y a suffisamment de personnes qui osent croire en une bonne politique. Le fait que la confiance que l’on place dans les hommes politiques soit en baisse n’est pas nouveau. Cette confiance est en baisse depuis les années 1980 et 1990. Et ce manque de confiance est bel et bien un problème. Nous pouvons résoudre la crise énergétique si nous nous y prenons bien. Mais sans soutien public, nous sommes coincés.

Comment expliquer cette érosion de la base de soutien ?

“Le problème de nos politiciens est qu’ils n’osent pas ou ne peuvent pas nous vendre des mesures impopulaires mais qui sont pourtant indispensables. Quand De Croo dit que nous allons au-devant de cinq à dix hivers difficiles, c’est pour moi un signe de courage politique. Vous devez avoir le courage d’admettre que ce sera difficile, mais que l’effort en vaudra la peine à long terme.

“Les politiciens n’arrivent tout simplement pas à convaincre la population des solutions qu’ils doivent mettre en oeuvre. Ils se rabattent trop vite sur le slogan du parti ou se replient sur ce que leur dit le dernier sondage. Pourquoi n’essaient-ils pas d’expliquer une solution nuancée à l’ensemble de la population ? Ou la rendre un peu plus sexy ?

“C’est la seule façon de lutter contre l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils peuvent dire n’importe quoi, mais si les autres partis répètent leur message simpliste, cela ne fonctionne pas. Toutes les études montrent que les copies des extrêmes incitent les gens à voter encore plus pour l’original.”

Ce gouvernement a-t-il fait quelque chose de bien ?

“Il y a enfin des initiatives autour d’une réforme fiscale et d’une réforme de l’Etat. On fait appel à des experts et on organise une enquête auprès des citoyens. Mais immédiatement après les critiques fusent, parfois même de la part des présidents de partis, contre leur propre gouvernement, rien de moins. Pourtant, il s’agit de propositions équilibrées et bien fondées qui vont vers de bonnes solutions. Mais à la fin, lorsque le projet de loi leur sera présenté, c’est le Vlaams Belang qui obtiendra les votes. Ma question aux politiciens est la suivante, et elle est sincère: voulez-vous être réélus ou non ? Si c’est le cas, alors soyez enfin plus intelligents et ne suivez pas les extrêmes. Ce n’est clairement pas une stratégie gagnante. Le centre est en déclin dans ce pays depuis dix ans. Arrêtez ça.”

Vous avez participé à l’enquête citoyenne pour commémorer le fédéralisme. Il n’a pas été si bien reçu.

“Je suis déçu de la manière dont les médias ont présenté cette enquête. Elle venait à peine d’être lancée, et elle n’a été que critiquée. C’est vrai, la communication était mauvaise : elle n’était pas adaptée au contenu de l’exercice. Et comme il fallait aller très vite, la période d’essai a été supprimée. Mais je crois toujours à l’idée derrière tout ça. Les citoyens ont le droit d’exprimer leurs opinions ou de partager leurs idées sur le pays.

Le terme “enquête” était mal choisi. Il s’agissait d’un forum de citoyens. Personne n’a dû remplir toute la liste. Les personnes interrogées ont pu choisir le sujet qui leur tenait le plus à coeur. Malheureusement, ce message n’a jamais été pris en compte. L’opposition, et notamment la N-VA, était donc immédiatement prête à rejeter l’initiative.”

Les résultats sont-ils utiles ?

“Environ 17.000 citoyens ont rempli des parties du questionnaire. Ils ont émis des idées et des préoccupations très originales, que nous intégrerons dans nos propositions au gouvernement. Bien que j’aie l’impression que le cabinet de la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden préférerait classer l’enquête le plus rapidement possible. Mais ce serait un signe de courage politique que de prendre en compte les résultats.”

Pensez-vous que la réforme de la fiscalité et de l’État s’en sortira mieux que le récent accord sur les pensions, qui a été accueilli par des huées ?

“Les présidents de partis font déjà une croix sur la réforme de l’État. Et la réforme fiscale se soldera également par une déception. Au final, seules quelques décisions seront à nouveau prises en marge. Cependant, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut se débarrasser de la réduction d’impôt et introduire un fédéralisme à la Suisse, c’est-à-dire plus transparent. Avec un peu de courage politique et la capacité d’expliquer à la population qu’une solution viable a été trouvée, je pense que ce politicien serait alors unique sur le terrain de jeu politique.”

Avons-nous besoin de plus de nouveaux visages en politique qui puissent apporter un changement de style ?

“Je pense que les jeunes font exactement les mêmes erreurs une fois qu’ils sont en politique, parce que la dynamique les pousse dans une certaine direction. Les politiciens plus âgés, ayant un certain poids, doivent changer le système, comme le financement des partis. Au début de son mandat, le gouvernement actuel a dû immédiatement faire face à la crise sanitaire. Son appel aux Belges à combattre le virus en tant que société était très bien. Vous ne pouvez le faire que s’il y a suffisamment de poids lourds dans le gouvernement. Ils ne se sont pas encore montrés à la hauteur du reste de leur déclaration de politique générale, mais ils ont encore un peu de temps pour cela. (rires)”

Ce ne sera pas facile avec la hausse de l’inflation et de la dette nationale.

“On entend toujours dire que la Belgique a une dette publique bien pire que le reste de l’Europe. C’est principalement parce que nous ne voulons pas revoir certaines dépenses structurelles, notamment en matière de pensions et de soins de santé. Dans de nombreux cas, nous ne faisons pas pire que les autres pays.

Ne devrions-nous pas envisager la politique de manière un peu plus positive ?

“Un peu plus de messages positifs ferait du bien à notre société. Cette crise énergétique est le moment idéal pour montrer que personne n’est mis à l’écart, à condition de mettre en oeuvre les bonnes mesures et de compenser équitablement celles-ci. La Belgique n’est vraiment pas au bord du gouffre”.

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