Rudy Aernoudt

N’avons-nous donc tiré aucune leçon de la crise?

On peut s’étonner de voir combien les acteurs les plus notoires du marché peuvent rester aveuglés par un bel emballage.

Dans le monde de la finance, il y a toujours des gens qui trouvent le bon filon en exploitant un vide dans le marché. Le dernier exemple en date est Greensill Capital. Comment cette société fonctionne-t-elle (ou du moins fonctionnait-elle)? Avec l’affacturage inversé, soit un procédé classique qui consiste à d’abord accorder à un client un délai de payement et à transmettre ensuite la facture due à une société d’affacturage qui avance les fonds, déduction faite des intérêts et des frais administratifs.

Après les crédits de trésorerie, cette technique d’affacturage est la plus utilisée pour couvrir des besoins financiers à court terme et connaît un succès grandissant. Imaginez, par exemple, qu’une PME dont la solvabilité a été gravement affectée par le Covid livre à une grande entreprise parfaitement solvable. Le payement est prévu à 60 jours. Mais vu l’urgence de la situation pour la PME, le client demande à sa banque de régler la facture immédiatement, à charge pour lui de verser à son tour la somme à la banque à la date d’échéance. L’institution financière, évidemment, accepte puisque le risque est pratiquement nul pour elle.

On peut s’étonner de voir combien les acteurs les plus notoires du marché peuvent rester aveuglés par un bel emballage.

Dans l’affaire Greensill, l’astuce, c’est que cette société aujourd’hui en faillite agissait comme une banque fantôme, payant elle-même les factures des fournisseurs. Fin 2019, elle avait ainsi accordé un montant titanesque de 143 milliards de dollars (soit environ un tiers du PIB de la Belgique) de financement à des multinationales. Des créances en attente qui étaient conditionnées, assurées et lancées sur les marchés financiers dotées d’un bon rating et auxquelles les investisseurs avaient souscrit avec empressement.

Des produits qui font penser à ces collateralised debt obligations (CDO), rassemblant divers prêts hypothécaires et qui, une fois emballés avec un joli petit noeud et en y apposant une valeur, à savoir un rating, connurent le succès que l’on sait avant de se révéler l’une des principales causes de la crise financière de 2008.

D’ailleurs, comme avec ces CDO, le joli noeud est ici tombé une fois de plus. L’assureur australien The Bond & Credit Co. (BCC) ayant retiré sa couverture de 4,6 milliards de dollars, cela a engendré un effet domino. Credit Suisse a fermé sa ligne de crédit de 10 milliards de dollars. Et SoftBank est lui aussi touché, ayant injecté 1,5 milliard dans la société. Les autorités allemandes de surveillance financière, quant à elles, ont déposé une plainte au pénal contre la direction de Greensill, l’accusant d’avoir manipulé son bilan.

Comme à l’aube de la crise financière de 2008, cette fois encore la question se pose de savoir qui ce mécanisme va entraîner dans sa chute. Une fois de plus, des institutions financières risquent de se retrouver en difficulté. Et qu’adviendra-t-il des entreprises qui ont utilisé les services de Greensill pour accéder à des capitaux? Parmi les clients notables, citons Sanjeev Gupta, un industriel d’origine indienne qui a acquis une production d’acier en Grande-Bretagne, mais aussi en Belgique. C’est lui qui a tiré la sonnette d’alarme auprès des autorités allemandes. Il est non seulement un client important de Greensill, mais aussi un actionnaire.

Non, nous n’avons décidément tiré aucune leçon de la crise financière. Les formes de financement créatives ne sont pas mauvaises en soi mais on peut s’étonner de voir combien les acteurs les plus notoires du marché peuvent rester aveuglés par un bel emballage. Manifestement, le système capitaliste trébuche souvent sur la même pierre…

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