“Même si le Vlaams Belang a gauchisé son projet économique, son core business n’a pas changé”

En Belgique, on a réprimé le précédent parti extrémiste flamand Vlaams Blok. Il a resurgi sous le nom de Vlaams Belang et est donné grand gagnant des sondages (possiblement des urnes) en Flandre aujourd’hui. © Belgaimage
Maxime Defays Journaliste

Le Vlaams Belang a triplé dimanche son score aux élections par rapport à 2014 avec notamment un programme socio-économique jugé très à gauche, bien que les priorités du parti flamand d’extrême droite n’aient pas vraiment changé. Analyse avec Benjamin Biard, docteur en sciences politiques et chercheur au CRISP.

Le Vlaams Belang a dans cette campagne mis l’accent sur une approche socio-économique très à gauche. Pourquoi ?

Il faut tout d’abord savoir que deux tendances majeures coexistent au sein du Vlaams Belang aujourd’hui : une traditionnelle, incarnée par Filip Dewinter, et une plus récente qui est incarnée par le président actuel du parti, Tom Van Grieken. Elles se distinguent en ce sens que la première a davantage la volonté de rester un parti d’opposition, centré sur quelques priorités et recourant à un style provocateur et radical. La seconde, qui domine aujourd’hui au sein du parti, affiche sa volonté d’exercer le pouvoir et, pour ce faire, développe un programme intégrant une large palette de thématiques et mobilise un style plus modéré. Le changement qu’a connu le parti ces dernières années est principalement à comprendre à travers l’évolution de ces tendances. En se présentant comme un parti capable d’exercer le pouvoir, le Vlaams Belang développe donc aussi les questions socio-économiques dans son programme, en les orientant plutôt à gauche, par exemple en matière de pensions (ramener l’âge légal du départ à la retraite à 65 ans ou fixer la durée de carrière complète à 40 ans au lieu de 45 ans, NDLR), ou encore d’allocations sociales. Le parti souhaite aussi réduire la TVA sur l’électricité de 21 à 6%.

Ce mouvement vers la gauche au regard des questions socio-économiques s’observe au sein du Belang mais également dans le chef d’autres formations politiques comme le Front national en France, devenu Rassemblement national. Mais ce mouvement à gauche n’est pas généralisé non plus. Ces partis sont toujours classés à la droite ou à l’extrême droite de l’échiquier politique, notamment au regard de leurs thématiques principales comme celles de l’immigration, pour lesquelles ils continuent d’adopter des positions restrictives, ou encore celles de la sécurité intérieure, avec une volonté de durcir le droit pénal. Sans oublier la question du nationalisme flamand, évidemment.

En se basant sur ces éléments-là, on ne peut pas dire que le Belang soit vraiment passé à gauche. Mais le parti veut multiplier les thématiques sur lesquelles il se positionne, notamment en vue de se présenter comme parti capable d’exercer des responsabilités, ce qui change assez radicalement avec la position qu’adoptait Filip Dewinter, qui lui préférait se centrer sur quelques thématiques comme l’immigration dans une position de parti d’opposition.

Mais un élément important réside dans le fait que cette politique sociale serait de toute manière réservée purement aux nationaux. Et là est la différence avec les partis de la gauche traditionnelle. C’est une forme “d’ethno-socialisme”, pour reprendre les mots du politologue français Dominique Reynié. Le Belang suit en tout cas sa stratégie populiste qui consiste à opposer entre guillemets “le peuple qui se lève tôt” – ce sont les mots du Belang – aux élites et son programme socio-économique s’inscrit dès lors fort logiquement dans ce cadre.

Peut-on voir dans le chef du Belang une stratégie “à la FN” lorsque le tandem Le Pen-Philippot a davantage “gauchisé” son programme socio-économique avant les présidentielles de 2012 en France ?

Tout à fait. N’oublions cependant pas qu’il existe deux tendances assez nettes. Celle de Van Grieken, avec ce nouveau style renouvelé, plus modéré, cette nouvelle stratégie de conquête du pouvoir et cette multiplication des axes programmatiques et thématiques. Mais il existe toujours la tendance plus traditionnelle, celle portée par Dewinter.

Il y a un rappel intéressant à faire dans cette comparaison entre VB et Rassemblement national : ils se sont développés de manière totalement différentes. Le FN s’est développé au regard de la thématique migratoire et de lutte contre le communisme, alors que le Vlaams Blok s’est développé sur tout autre chose. En 1977 suite à l’accession de la Volksunie au gouvernement et après la signature du Pacte d’Egmont, il y a une scission menant à la création du VB en 1978-1979 afin de défendre de façon radicale le nationalisme et l’indépendance de la Flandre. On a des racines plutôt fascistes nationalistes d’un côté et des racines plutôt nationalistes de l’autre. Et le VB commence à se radicaliser dans les années 1980 sur le modèle de Jean-Marie Le Pen. Il y avait donc déjà ce mimétisme à cette époque entre les deux partis. Aujourd’hui, on peut voir également que le VB a “suivi” le virage socio-économique du FN opéré en 2011 et qui lui a valu des succès électoraux. Encore une fois, Van Grieken s’inspire du modèle frontiste en multipliant les thématiques et en affirmant sa volonté d’exercer le pouvoir et en souhaitant rendre son discours un peu plus “lisse, modéré, policé” et moins provocateur.

Peut-on considérer que ces partis radicaux de droite comme le Belang ont réellement cette fibre sociale dans leur ADN ?

Le core business du Belang a toujours été et reste encore aujourd’hui les questions nationalistes (son premier objectif est toujours l’indépendance de la Flandre), migratoires, la sécurité intérieure et la lutte contre la corruption.

D’un point de vue politique, et en partant du principe qu’une majorité se dessinerait, quels partis flamands voudraient s’associer avec le VB, quand on sait que leur programme économique est loin d’être proche de celui des partis traditionnels ou encore de celui de la N-VA…

La N-VA n’a en tout cas jamais revendiqué le cordon sanitaire, et était même prête à discuter avec le Belang après leur très bon score aux communales de 2018 à Ninove. Finalement, cela n’a pas été le cas. Mais il n’y aurait de toutes façons pas de majorité ni en Flandre ni au fédéral si les deux partis s’alliaient.

La priorité des deux partis n’est certainement pas, de toutes manières, socio-économique. C’est une 3,4 voire 5e priorité pour eux. Ils pourraient s’accorder sur un ensemble d’autres points sans difficulté.

A priori, les discussions pourraient être assez âpres dans une telle hypothèse, mais en tout cas je pense qu’il y aurait possibilité de se rejoindre sur tout un ensemble de questions. Le VB veut la suppression de la loi Lejeune (loi qui encadre la libération conditionnelle, NDLR), alors que la N-VA souhaite en durcir le mode d’application. Pareil sur les questions migratoires et communautaires. Effectivement, il y aurait peut-être des difficultés à accorder leurs violons sur le volet socio-économique.

Comment le Belang compte-t-il financer son programme ? Parle-t-on d’une taxe des riches comme le fait le PTB ?

Quand on leur pose la question, ils disent toujours que le programme sera finançable par l’indépendance de la Flandre et en restreignant les biens sociaux aux “purs nationaux”. En ce sens, ils ne voient pas de difficulté à financer leur programme puisqu’ils seront moins généreux vis-à-vis de l’étranger et plus généraux vis-à-vis des nationaux.

De manière générale, ce n’est pas tant un programme socio-économique à gauche que le Vlaams Belang veut adopter, c’est principalement, dans cette optique populiste, de pouvoir rassembler des personnes qu’ils disent “oubliées”, comme les retraités (d’où les propositions visant à réduire l’âge de départ à la retraite ou la diminution du temps de carrière), comme les chômeurs (même si on voit que le Belang veut limiter dans le temps l’octroi des allocations de chômage, qui n’est pas vraiment une mesure de gauche) ou encore les personnes handicapées.

Quant au succès du Belang, encore une fois, le programme socio-économique ne doit pas être pris de manière isolée, mais dans la perspective de rapport entre les nationaux et les étrangers, entre les nationaux flamands et les Wallons et les francophones.

Comparer le programme socio-économique du Belang et celui de PTB est-il un non-sens ?

Oui, cela n’a pas vraiment de sens. Ce sont des partis très différents. Là où on pourrait les comparer, c’est simplement par le recours à un “style populiste”. Les deux axent leur stratégie en défendant le peuple par opposition aux élites politiques avec cette volonté de rendre ce pouvoir et cette souveraineté au peuple.

Ceci étant dit, chacun définit le peuple de manière différente. En Flandre, pour le Belang, c’est le peuple de nationaux, de Flamands. Pour le PTB et le Pvda, c’est le peuple de travailleurs. Ces élites sont aussi différentes : il y en a des communes, par exemple les “technocrates de Bruxelles” mais aussi d’autres types d’élites. Mais pour le Belang, un autre “ennemi”, ce sont les étrangers ou les minorités ethniques.

Sur le plan socio-économique, certes l’un et l’autre veulent diminuer l’âge légal du départ à la retraite. Mais cela ne suffit pas pour les comparer et les rapprocher sur le plan socio-économique. Il y a des différences énormes qui subsistent entre eux.

Que retrouve-t-on dans le programme socio-économique du Vlaams Belang ?

  • Le Vlaams Belang souhaite ramener l’âge légal du départ à la pension à 65 ans (contre 67 ans à partir de 2030) et fixer la carrière complète à 40 au lieu de 45 ans. En outre, il veut augmenter les pensions à hauteur de 1.500 euros minimum.
  • La TVA sur l’électricité doit passer de 21 à 6%.
  • Le parti de Tom Van Grieken souhaite également une politique plus ambitieuse pour les personnes handicapées.
  • Le VB ne veut pas faire payer la note du climat aux classes populaires et refuse donc l’instauration d’une taxe kilométrique ou de zones de basses émissions mais préconise la mise en application d’une vignette pour les véhicules étrangers.
  • Investissements massifs dans le rail.
  • Le VB veut la fin des transferts “massifs de milliards” vers la Wallonie via la Sécurité sociale.

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