Les prix des denrées alimentaires vont augmenter d’au moins 33%

La flambée des prix des carburants se répercute sur les prix des denrées alimentaires. Les engrais se font rares, car leur production nécessite énormément de gaz naturel. Cela impacte les récoltes et fait déjà grimper les prix dans l’alimentation. Le printemps sera un test crucial.

En 2008 (crise bancaire mondiale) et 2011 (le printemps arabe), la flambée du prix des denrées alimentaires a précédé les crises mondiales. Selon différents experts du secteur, 2022 sera également une année économiquement mouvementée. Les prix des denrées alimentaires sont à nouveau en forte hausse. L’indice alimentaire de la FAO, l’organisation agricole des Nations Unies, mesure les fluctuations des prix des produits agricoles de base, tels que le blé, le soja et le lait en poudre. Début janvier, il était 23% plus cher qu’au début de l’année 2021.

Mais le véritable choc pourrait n’avoir lieu qu’au printemps. En effet, les augmentations de prix, qui ont déjà lieu, ne tiennent guère compte de la forte hausse du prix des engrais : leurs prix ont triplé en un an. Et cette hausse a beaucoup à voir avec la hausse phénoménale du prix des carburants. Un tiers des engrais artificiels est composé d’ammoniac, or cet ammoniac est produit par réaction entre l’azote de l’air et l’hydrogène provenant du gaz naturel. Et le gaz représente les trois quarts des coûts de production de l’ammoniac. Il s’agit d’une matière première essentielle, sans laquelle la population mondiale n’aurait pas atteint 7,8 milliards d’individus.

Sans ammoniac, l’approvisionnement en nourriture n’est plus garanti. Or en septembre de l’année dernière, BASF à Anvers a limité sa production d’ammoniac. Sa production n’était plus rentable compte tenu du prix élevé du gaz naturel. Entre-temps, la situation s’est quelque peu améliorée. “Nous n’avons réduit que temporairement la production d’ammoniac en raison du prix élevé du gaz”, explique Fanny Heyndrickx, porte-parole. “Aujourd’hui, la production tourne à nouveau à plein régime”. Le finlandais Yara, qui produisait encore 382 000 tonnes d’ammoniac en 2020 via une filiale près de Bergen, a également réduit temporairement cette activité.

Risque de rendement inférieur

“Les entreprises belges d’engrais fertilisants pour l’agriculture ont maintenu leurs niveaux de production en important de l’ammoniac”, déclare Peter Jaeken, secrétaire général de la fédération du secteur Belfertil. “De nombreuses facteurs dépendront, dans les mois à venir, des conditions météorologiques, de l’impact du covid-19 sur le secteur des transports et du comportement d’utilisation et d’achat des agriculteurs.”

Néanmoins, le monde agricole n’est nullement rassuré. A partir de mars, le premier pic de fertilisation des sols commencera, avec les cultures de printemps. “Nous estimons que la consommation d’engrais artificiels pourrait baisser de 10 à 15%”, déclare Niek Depoorter, directeur de l’agriculture et de l’horticulture chez Arvesta. Cette filiale du Boerenbond holding MRBB (Maatschappij voor Roerend Bezit van de Boerenbond, la fédération des agriculteurs) est le leader du marché belge des fournitures agricoles. “Cela peut être un problème, car pour certaines cultures, le fait de n’appliquer que très peu ou pas du tout d’engrais entraîne une baisse drastique du rendement par hectare. L’agriculteur doit donc utiliser des engrais, malgré les prix élevés. Si la pénurie sur le marché fait que de nombreux agriculteurs ne peuvent pas être approvisionnés, nous serons dans une situation très délicate.”

L’augmentation du coût des engrais se traduit donc par une baisse du rendement des cultures. Dans l’hémisphère sud, où c’est actuellement l’été, il y a déjà des indications de récoltes plus pauvres. Niek Depoorter nuance les scénarios des catastrophes possibles. “Ce sont généralement des régions où la logistique et les liquidités sont plus faibles. Dans notre secteur agricole professionnel belge, je ne pense pas qu’il y ait un grand risque de récolte moindre. Mais le prix des récoltes va devenir beaucoup plus élevé. Par exemple, pour le blé, l’augmentation du prix des engrais représente à elle seule une augmentation d’un cinquième du prix de revient total. Et ce, sans compter les autres coûts qui augmentent, tels que l’énergie et la main-d’oeuvre.

Pour l’économiste agricole et environnemental, Jeroen Buysse (UGent), “il n’est pas certain que les agriculteurs puissent répercuter l’augmentation de ces coûts de production sur le consommateur final. Par exemple, nous constatons aujourd’hui que les prix du lait et du beurre sont historiquement élevés, tandis que les prix du porc sont trop bas. Pourtant, les coûts de production de ces deux produits ont fortement augmenté”. Karl Maes, un agriculteur de Lendelede en Flandre occidentale et directeur de l’organisation sans but lucratif De Mestverwerkers, est moins confiant. “2022 sera une année cruciale pour l’approvisionnement alimentaire. Les prix des denrées alimentaires ont déjà augmenté de 10 à 20 %. Ce chiffre n’inclut pas encore l’augmentation du prix des engrais. Cela signifiera certainement une hausse de 10 à 15% supplémentaire”.

Forte demande du fumier d’animaux

Le fumier est donc soudainement fort demandé. C’est également ce que confirme Friedrich Willms, directeur général d’une plateforme de vente aux enchères de fumier dans la ville allemande de Vechta. Cette initiative a été lancée il y a un an dans l’État de Basse-Saxe. Les agriculteurs ayant des excédents de fumier peuvent les vendre sur la plateforme d’enchères aux agriculteurs qui en manquent. “Je ne crois pas au scénario catastrophe de denrées alimentaires inabordables. Mais nous devons être très vigilants”, prévient M. Willms. “Le boeuf et le blé deviennent de plus en plus chers. A partir de mars, l’augmentation s’accélèrera car il n’y a pas assez de fumier. Et je ne parle même pas des mauvaises récoltes possibles. En effet, les plantes, qui reçoivent trop peu d’engrais, se développent moins bien et sont également plus vulnérables à toutes sortes de maladies. Cela peut peser très lourdement sur le prix du pain. Un blé sous-fertilisé n’a pas la qualité suffisante pour entrer dans la production de pain.”

Mercredi dernier, 30 000 tonnes de fumier ont été proposées via cette plateforme d’enchères. Le nombre de visiteurs a doublé ces dernières semaines. “Nous ne faisons que du commerce de fumier animal”, précise M. Willms. “L’intérêt pour cette question est croissant. Les agriculteurs qui proposent du fumier de poulet – le type de fumier le plus fertilisant – sont aujourd’hui rémunérés. En 2017, par exemple, ils devaient encore payer pour se débarrasser de leur fumier de poulet. Il y a même des agriculteurs qui ont déjà acheté aujourd’hui un stock complet de fumier pour la saison 2023”.

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