“Les inégalités entre riches et pauvres ne font pas partie du mandat de la BCE”

Peter Praet © Belga

A quelques jours du coup d’envoi officiel du programme de rachats d’actifs par la Banque centrale européenne (BCE), notre compatriote revient sur les avantages et les inconvénients de ce fameux QE, bazooka destiné à relancer l’économie et contrer la déflation.

Rue de la Loi, numéro 223, à Bruxelles. C’est là, au cinquième d’un immeuble situé à deux pas du rond-point Schuman, dans une petite salle de réunion d’un bureau de représentation de la BCE, que Peter Praet, économiste en chef de l’institution de Francfort, nous a reçus pour un de ses rares entretiens avec la presse belge. En exclusivité pour les lecteurs de Trends-Tendances, il parle de l’avenir de la zone euro et revient sur la décision de la gardienne de l’euro de lancer un quantitative easing (QE) à l’européenne, en français un assouplissement monétaire.

TRENDS-TENDANCES:. Ce QE, était-ce la seule option valable pour lutter contre les menaces déflationnistes ?

PETER PRAET: Il faut non seulement replacer la décision dans le contexte des mesures non conventionnelles prises au cours des dernières années mais aussi au regard de la situation économique qui prévalait depuis le printemps 2014, en avril-mai. La croissance dans la zone euro commençait alors à ralentir. J’ai d’ailleurs dit publiquement la chose suivante : the economy is losing momentum at an early stage of a weak and fragile recovery (l’économie s’essouffle au commencement d’une reprise faible et fragile, Ndlr). C’est à ce moment-là que nous avons décidé de venir avec de nouvelles mesures, dont le premier TLTRO (targeted longer-term refinancing operations, Ndlr). Mais nous nous sommes rendu compte que le crédit via le canal des banques ne redémarrait pas vraiment. Or, quand les taux sont négatifs, que vous avez mis en oeuvre un certain nombre de mesures de politique monétaire sans l’effet escompté, il est alors logique d’acheter directement des obligations sur le marché. C’était en octobre dernier, nous avons alors commencé à songer à aller plus loin.

La mesure n’arrive-t-elle pas trop tard ?

Certains disent effectivement que nous arrivons un peu tard. D’autres pensent le contraire. Mais il faut bien comprendre une chose : la discussion autour du QE n’a pas été simple, en raison notamment de la dimension politique liée à la mutualisation des risques, le loss sharing. Certains membres du conseil se sont montrés réticents, considérant que le moment n’était pas venu d’utiliser cet instrument de politique monétaire non-conventionnelle. Cela a été très difficile pour eux d’accepter le QE. Nous avons essayé d’évacuer ce problème politique de loss sharing, qui assume les pertes en cas de défaut d’un pays, en nous concentrant uniquement sur les questions d’ordre monétaire, c’est-à-dire tout faire pour stimuler l’inflation et relancer l’économie. Ne polluons pas le débat monétaire par ces questions de loss sharing : finalement, c’est comme cela que nous avons pris la décision. Et les marchés ont bien réagi.

La politique monétaire accommodante creuse les inégalités entre riches et pauvres. Tenez-vous compte de cet aspect des choses dans vos décisions ?

Non. Pour la simple raison que cela ne fait pas partie du mandat de la BCE. Cela peut paraître bureaucratique comme réponse, mais c’est une réponse très importante.

A vous entendre, vous êtes partisan d’un impôt sur la fortune…

Non, je n’ai pas dit cela. Je dis simplement que je reconnais le problème. Mais taxer la fortune ou pas est un choix politique. Toute politique monétaire à un impact sur l’épargnant. Lorsque vous achetez des obligations d’Etat, ce que nous faisons avec le QE, ce n’est pas à l’avantage de ceux qui ont des dépôts d’épargne. D’un autre côté, si nous tombons en récession, ces inégalités vont empirer. Bref, il revient au monde politique de se pencher sur cette question des inégalités. C’est sa responsabilité. Ce n’est pas du ressort d’une banque centrale. Il appartient aux gouvernements de prendre les mesures pour corriger ces inégalités s’ils estiment nécessaire de le faire.

Retrouvez l’intégralité de cette interview exclusive dans le Trends-Tendances à paraître ce jeudi 26 février 2015.

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