Les flexi-jobs, cette fausse bonne idée…

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Le gouvernement songe à étendre les flexi-jobs à d’autres secteurs que l’horeca. Mais les premières perches lancées en ce sens ne semblent pas enthousiasmer grand-monde.

Ils sont 11.323 à avoir signé un contrat de flexi-jobs. Un beau résultat pour une formule qui n’existe que depuis le 1er décembre dernier. A tel point que cette formule, aujourd’hui réservée à l’horeca, pourrait être étendue à d’autres secteurs. “Moyennant une concertation avec le secteur, je suis favorable à l’extension du régime des flexi-jobs au secteur du commerce, confie ainsi le ministre des Classes moyennes, Willy Borsus (MR). Tout comme l’horeca, le commerce dispose d’horaires parfois spécifiques, de besoins saisonniers, de prestations le week-end et d’une grande intensité de main-d’oeuvre.”

Son collègue en charge de la lutte contre la fraude sociale, Philippe De Backer (Open Vld), songe, lui, à une utilisation des flexi-jobs dans la construction. Les flexi-jobs semblent également être un bon instrument pour faire sortir le statut des coaches sportifs et de jeunes de la zone grise, dit-il. Pour un certain montant par année, de telles activités qui sont importantes pour le tissu social devraient pouvoir être possibles de manière avantageuse et flexible, en complément de l’emploi principal.”

Les bouchers en veulent…

Avançons-nous dès lors vers une explosion de ces types d’emploi ? Pas trop vite. Le système sera évalué cet automne et ce n’est qu’ensuite qu’une éventuelle extension pourra être décidée. Et surtout, pour l’heure, les secteurs ne se bousculent pas pour réclamer “leurs” flexi-jobs. Seule la fédération des bouchers, charcutiers et traiteurs a formulé une demande. On les comprend : ils sont en concurrence directe avec l’horeca pour les services de catering et voudraient donc pouvoir bénéficier des mêmes conditions de rémunération du personnel.

Mais à part chez les traiteurs, les flexi-jobs ne suscitent guère d’enthousiasme. L’Union des classes moyennes se dit “très circonspecte” face aux possibilités d’extension. “Nous souhaitons organiser une meilleure flexibilité horaire du travail et, bien entendu, lutter contre la concurrence déloyale du travail au noir, mais cela ne doit pas spécialement passer par les flexi-jobs”, résume Matthieu Dewevre, du service d’études de l’UCM. Il préférerait voir les pouvoirs publics aménager par exemple le statut d’indépendant complémentaire plutôt que de créer de toutes pièces un nouveau statut. La piste de l’indépendant complémentaire pourrait aussi être approfondie pour répondre au développement de l’économie collaborative.

… mais pas les entreprises de construction

Dans la construction, le scepticisme tient également la corde. “Notre problème n’est pas de pouvoir compter sur du personnel en renfort quelques heures ou quelques jours, explique David Lanove, directeur des études de la Confédération Construction Wallonie. Notre problème est beaucoup plus structurel, à savoir la difficulté de trouver de la main-d’oeuvre qualifiée et la concurrence des travailleurs détachés de pays européens où le coût du travail est plus bas.” Tout au plus, les flexi-jobs pourraient-ils contribuer à “blanchir” les menus travaux effectués chez les particuliers et qui ne sont pas toujours déclarés. ” Multiplier les statuts sur mesure n’est pas une priorité chez nous, poursuit David Lanove. Nous proposons plutôt une réduction de cotisations, en plus de celle déjà décidée par le gouvernement, ciblée sur les secteurs soumises à la concurrence intra-européenne des travailleurs détachés.” Cent mille travailleurs détachés officieraient chaque année dans la construction en Belgique.

Le monde académique n’est guère plus tendre envers ces flexi-jobs. “Au-delà d’un blanchiment du travail au noir, je vois deux types d’effets pour ces flexi-jobs : le déplacement à terme d’emplois standards vers ce statut particulier, moins coûteux pour l’employeur, analyse Bruno Van der Linden, professeur d’économie à l’UCL. Jusqu’à un certain point, du moins, car l’entreprise aura toujours besoin d’un noyau stable. Et par ailleurs, il y aura une pression sur la productivité, voire les salaires, des travailleurs sous contrat standard : on leur fera sentir qu’une alternative moins chère existe.”

“Je comprends la volonté de lutter contre le travail au noir ou de chercher des formules adaptées à l’économie collaborative, ajoute Frédéric Naedenoen, maître de conférence à HEC Liège. Mais en l’occurrence, cela ne tient pas la route d’un point de vue macroéconomique. Des gens qui ont un emploi (au moins à 4/5e, Ndlr) vont prendre des jobs à des gens qui n’en ont pas mais dont l’engagement ne serait, lui, pas défiscalisé. Rien ne justifie le traitement salarial et fiscal différent pour deux personnes qui effectuent le même travail.”

C’est notamment sur cette base que les syndicats ont introduit un recours devant la Cour constitutionnelle contre ces flexi-jobs qui seraient “discriminatoires”. Le système est également en cours d’instruction au Conseil national du travail, où l’on s’interroge sur la prise en compte ou non d’avantages légaux (13e mois, pécule vacances, etc.) dans le tarif de 9,5 euros/h.

Et si les employeurs se groupaient ?

Mais alors que faire pour atteindre les objectifs de réduction du travail au noir et répondre aux besoins de flexibilité des entreprises (flexibilité, par ailleurs, souhaitée par les consommateurs qui veulent par exemple des commandes livrées rapidement ou des commerces ouverts le dimanche) ? Frédéric Naedenoen suggère de plancher sur le système des coopératives d’activité ou des groupements d’employeurs, très prisés en France. De telles structures permettent, dit-il, de concilier les besoins de flexibilité et de protection sociale. “La flexibilité est alors moins subie par les travailleurs, précise-t-il. Ils sont dans une situation qui permet de faire contre-poids et d’arriver à un compromis équilibré avec les attentes de l’employeur.”

Bruno Van der Linden invite, lui, à prendre le temps de poser les bons diagnostics avant d’agir. Il regrette le manque de recul et d’évaluation rigoureuse dans les politiques d’emploi. “De telles analyses sont pourtant indispensables pour dégager un consensus sur les mesures à prendre, explique-t-il. Sans ce consensus de départ, les décideurs n’osent pas s’attaquer aux problèmes de fond et ne présentent que des réformes à la marge, souvent bâties sur des discours idéologiques. On élabore des échappatoires au statu quo, comme ces statuts spécifiques qui conduisent à la segmentation du marché du travail et au rabotage des emplois standards.”

QU’EST-CE QU’UN FLEXI-JOB ?

Il s’agit d’un statut spécifique pour les travailleurs occasionnels dans l’horeca. Ils perçoivent une rémunération de minimum 9,5 euros de l’heure, sur laquelle le seul prélèvement est une cotisation forfaitaire de 25 % (payée par l’employeur). Le revenu n’est plus imposé ensuite.

Les flexi-jobs sont réservés aux personnes ayant déjà un contrat de travail à au moins 4/5e temps dans un autre secteur que l’horeca. On ne parle donc pas des emplois salariés dans un établissement mais des travailleurs appelés en renfort à certaines périodes (c’est le côté ‘flexi’) et qui n’étaient pas toujours déclarés. A l’image des titres-services, les flexi-jobs constituent donc avant tout un instrument de lutte contre le travail au noir.

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