Les cryptomonnaies s’invitent dans le conflit en Ukraine

Fatigué après avoir organisé l’évacuation de Kiev d’une partie de son équipe, Mike Chobanian, patron de la plateforme d’échanges de cryptomonnaies Kuna, observe sans broncher les conséquences économiques de l’offensive russe sur son entreprise, l’une des plus importantes d’un secteur florissant en Ukraine.

L’invasion russe a poussé les Ukrainiens vers les cryptomonnaies avant de gripper l’industrie, même si des levées de fonds aux résultats incertains sont encore organisées, tandis que le risque d’une utilisation par la Russie pour contourner les sanctions persiste.

Vendredi, le gouvernement ukrainien a “imposé des sanctions contre le rouble, donc nous avons dû fermer” les échanges dans la monnaie russe, explique Mike Chobanian à l’AFP.

“C’est une grosse partie de notre revenu, mais on s’en moque, c’est la guerre”, tranche le patron de 37 ans, interrogé par vidéo depuis l’endroit où il s’est réfugié après avoir quitté la capitale, où des combats ont été signalés.

Depuis des semaines, M. Chobanian voyait les achats se multiplier sur sa plateforme en Ukraine: inquiets de la montée des tensions, les locaux achetaient des stablecoins, ces devises électroniques adossées au dollar, souvent critiquées par les régulateurs occidentaux pour leur opacité.

“Avec le bitcoin, c’est une forme de pari, on ne sait pas si les prix vont descendre ou monter, là on cherche à conserver ce qu’on a. Les gens voient le dollar comme un refuge, mais le liquide ne sert à rien: on ne peut pas l’utiliser partout et il suffit d’une arme à feu pour le voler”, détaille-t-il pour expliquer l’attrait des stablecoins.

Depuis l’invasion, les achats sont de plus en plus difficiles. En revanche, plusieurs utilisateurs de cryptomonnaies ont lancé des récoltes de fonds qu’ils disent dédiés à l’armée ou aux secours ukrainiens.

Plus de 4 millions de dollars en cryptomonnaies sont arrivés sur un unique portefeuille de levée de fonds pour l’organisation Come Back Alive en deux jours, a révélé vendredi le cabinet d’études des transactions en cryptomonnaies Elliptic.

Contourner les sanctions

“Il n’y a aucune limite, on peut lever des fonds à travers le monde, sans dépendre du système bancaire”, défend Mike Chobanian, reconnaissant toutefois qu’il ne sait pas où les diverses levées de fonds terminent: “c’est la guerre, c’est le chaos”.

Pour lui qui s’estime “trahi” par les gouvernements occidentaux, ce système d’entraide reste “une meilleure option”.

Un enthousiasme que ne partage pas complètement le gouvernement ukrainien: sur le site de communication UkraineNOW, le ministère de la Défense appelle aux donations via transferts bancaires, mais précise que “la législation ne permet pas de recevoir des paiements sous d’autres formes (monnaie numérique, bitcoin, Paypal, etc.)”.

Et le même réseau décentralisé qui rend les cryptomonnaies attractives pour les leveurs de fonds ukrainiens pourrait bien profiter à la Russie.

Parmi les sanctions envisagées contre Moscou, l’exclusion du système Swift, qui permet les règlements interbancaires entre établissements financiers du monde entier, est envisagée.

Dans ce cas, les cryptomonnaies pourraient-elles permettre à la Russie de contourner les sanctions?

“La Corée du Nord a mené des attaques informatiques avec l’intention de voler des cryptomonnaies sur des plateformes, et ils ont réussi à apporter des milliards de dollars de fonds au pays, faisant fi des sanctions”, rappelle Caroline Malcolm, du cabinet d’analyse Chainalysis dans une note.

L’Iran a également utilisé la technologie pour se soustraire aux sanctions, ajoute-t-elle. Mais “comme pour le système monétaire traditionnel, il est possible de mettre en place” des mesures de prévention, notamment en analysant les données des blockchains, ces registres où sont inscrites toutes les transactions en cryptomonnaie.

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