Marc Buelens

‘Lentement, la réalité du Brexit se fait sentir, sauf dans la rhétorique de Downing Street’

Marc Buelens Professeur

Du chef coq au serveur, du plongeur au sommelier, à Londres, la norme est déjà l’étranger, avec une préférence pour les Français, estime Marc Buelens, professeur émérite à la Vlerick Business School.

J’habite à Londres dans un quartier résidentiel. Dans un rayon d’un mile autour de mon flat – je m’adapte aux habitudes locales en matière de mesures – on trouve au moins vingt coffee shops. Ils recherchent presque tous des artistes du café, des barista’s capables de vous offrir le parfait cappuccino, flat white ou double expresso. Un exemple: “We are looking for an experienced Barista (avec majuscule !) who are (apparemment, plusieurs peuvent entrer en service) willing to work hard and believe every cup must be perfect.”

Barista, un métier en pénurie. Londres commence à paniquer. Pas uniquement chez les Starbucks et les Pret A Manger de ce monde, les petits cafés ne trouvent également plus d’artistes du café. Les femmes et hommes politiques londoniens plaident pour le baristavisa – pour moi d’ores et déjà le mot de l’année – afin d’autoriser ces experts du café après le Brexit. Selon un porte-parole de Pret A Manger, pour les 190 sites, seul un candidat sur cinquante est britannique. 65% du personnel est issu de l’Union européenne. Lentement, la réalité du Brexit transparaît, excepté dans la rhétorique de Downing Street. À moins que, après les élections bien sûr, Theresa May ne se mette soudain à dire: “Mes effets fanfarons, c’était juste pour rire. J’ai quelque peu fait peur aux électeurs, et maintenant que je suis fermement installée au pouvoir, je peux commencer à faire des concessions.”

Trois groupes s’arrachent d’ores et déjà les cheveux. En premier lieu l’horeca, et pas seulement les bars à café. Je vous invite à entrer dans un restaurant, vous remarquerez que vous pouvez manger magnifiquement à Londres, grâce aux étrangers. Du chef coq jusqu’au serveur, du plongeur au sommelier, l’heure est déjà à l’étranger, avec une préférence pour les Français.

Un deuxième problème tourmente l’horeca: le système fiscal britannique est basé sur l’endroit où vous habitez. Je paie mes impôts communaux non pas sur base de mes revenus, mais sur base de la valeur du flat que je loue. La même chose vaut pour les sociétés. Les business rates sont maintenant adaptés – ce que nous connaissons sous le terme de ‘péréquation’ – et avec les prix astronomiques de l’immobilier, les business rates ont également crû de manière exponentielle. Vous pouvez déjà lire, dans la presse locale, les premières histoires d’exploitants qui mettent la clé sous le paillasson.

Il n’y a dès lors pas beaucoup de marge de manoeuvre pour des hausses salariales, notamment dans les bars à café. Mais celles-ci seront d’une importance vitale pour avoir des Britanniques non seulement devant, mais aussi derrière le comptoir. En cas de Brexit dur, la pénurie pourrait grimper jusqu’à un million de travailleurs dans dix ans. Il n’y aura alors plus beaucoup d’autres solutions que de boire son café à la maison. Si j’étais Nestlé, j’augmenterais dès à présent le nombre de points de vente de Nespresso à Londres.

Lentement, la réalité du Brexit se fait sentir, sauf dans la rhétorique de Downing Street

La deuxième catégorie d’histoires d’horreur concerne le service national des soins de santé. Un grand pourcentage du personnel infirmier et des médecins est non britannique. L’infirmière polonaise qui rentre chez elle le week-end par Ryanair est ici un concept. Dès à présent, on remarque le peu d’afflux nouveau. Les Polonais n’ont pas confiance dans l’affaire post-Brexit. Et les sceptiques retournent dans leur pays.

Le troisième groupe est le secteur de la construction. Tout comme chez nous, on observe que les ouvriers de la construction issus des pays de l’ancien bloc de l’est sont très tendance ici. La question est de savoir si le baristavisa sera également possible pour eux.

Ces histoires, vous ne les lisez que dans la moitié de la presse britannique. L’autre moitié critique violemment l’Europe, raconte des success-stories sur de nouveaux investissements étrangers et estime que May devrait encore y aller plus fort. Il semblerait que les conservateurs, après les élections, n’auront pas d’opposition notable. Excepté un nouveau genre d’opposition: une ville. Londres. Ici, tout le monde lit l’Evening Standard, un excellent journal du soir gratuit. May a viré l’ancien ministre des Finances, George Osborne. Ce dernier est aujourd’hui la voix des slogans anti-May. L’Evening Standard ne l’arrêtera pas, car il vient juste d’en être nommé rédacteur en chef, et nous pouvons déjà le constater, les attaques contre May deviennent de plus en plus venimeuses.

Nous vivons des temps passionnants. Une Première ministre sera élue avec une majorité écrasante. Elle obtiendra une opposition – pas au parlement, mais venant d’Écosse, d’Irlande du Nord, et peut-être même du Pays de Galles, mais assurément de Londres. Cette dernière région représente quelque 22% du produit intérieur brut britannique et, avec la pénurie de coffee shops, elle ressentira les conséquences du Brexit dans sa chair. Le peuple grognera, comme seul un peuple sans café le peut.

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