Philippe Ledent

L’économie américaine est-elle proche de la surchauffe?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Le contraste avec les peines actuelles de la zone euro, où le terme de stagflation n’est plus tabou, est assez saisissant.

Comme on le craignait depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la reprise économique de la zone euro semble temporairement mise entre parenthèses. Ceci étant, la situation semble tout autre aux Etats-Unis. Ceux-ci sont évidemment fortement impliqués dans le conflit via les sanctions à l’égard de la Russie et l’aide apportée à l’Ukraine. Mais sur le plan économique, l’impact du conflit reste plus modéré. Certes, les prévisions d’inflation sont légèrement revue à la hausse en raison de prix pétroliers plus élevés mais au niveau de la croissance économique, l’impact reste marginal. Et en tout cas bien moindre que dans la zone euro.

L’économie américaine apparaît donc résiliente pour l’instant et son principal problème n’est pas vraiment une baisse de la demande mais plutôt la capacité des entreprises (et de leur approvisionnement) à suivre celle-ci. Les indicateurs de confiance ne subissent pas le choc du conflit, et si la confiance des consommateurs s’est un peu repliée en mars, c’est probablement davantage en raison de l’inflation que de la tragédie ukrainienne. Il faut dire que le marché de l’emploi est particulièrement solide. L’économie américaine a encore créé 430.000 emplois en mars et les chiffres des mois précédents ont été revus à la hausse. Le chômage baisse à 3,6% (3,8% en février) et il y a actuellement 1,7 poste à pourvoir pour chaque demandeur d’emploi! Cerise sur le gâteau, les salaires progressent de 5,6% sur un an. Cela peut être un problème pour la marge des entreprises et un risque de nouvelles augmentations de prix à l’avenir. Mais à très court terme, cette hausse efface en partie l’effet de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages.

S’agissant de l’inflation, c’est vrai qu’elle atteint là-aussi des niveaux record puisqu’elle dépasse 8%. La situation n’en demeure pas moins très différente qu’en zone euro. D’une part, l’énergie n’est responsable que d’environ un quart de l’inflation (contre plus de la moitié en zone euro). Et s’agissant de l’énergie, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont producteurs de pétrole et de gaz. Dès lors, même si le consommateur paye son énergie plus cher (surtout en raison du prix du pétrole, d’ailleurs), une grande partie de cette facture retourne dans l’économie américaine via les producteurs. C’est une différence fondamentale avec l’Europe. Dans celle-ci, l’augmentation des prix de l’énergie se traduit par une augmentation du chèque payé par les consommateurs au reste du monde. Il s’agit donc bien d’un appauvrissement sur le plan macroéconomique.

Avec une croissance solide et une inflation galopante, le comportement plus restrictif de la banque centrale américaine est tout sauf une surprise. Les hausses de taux devraient se succéder cette année, ce que les marchés financiers ont déjà bien anticipé. En fait, les regards se tournent de plus en plus vers 2023: avec le plein emploi et des taux à la hausse, ne faut-il pas s’attendre à une fin de cycle en fin d’année prochaine, et donc à un ralentissement économique? C’est peut-être aller un peu vite en besogne: beaucoup de choses peuvent encore se passer. En particulier les problèmes d’approvisionnement, qui pourraient jouer un mauvais tour à l’économie américaine dans les prochains mois. Mais le contraste avec les peines actuelles de la zone euro, où le terme de stagflation n’est plus tabou, est assez saisissant.

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