Le statut social si particulier de nos élus

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Un député reste intégralement payé même s’il est absent plusieurs mois pour maladie. Et sa pension est sans commune mesure avec celle du citoyen lambda. Mais il n’a pas droit au chômage s’il n’est pas réélu.

Ces derniers temps, on a découvert que les députés wallons géraient eux-mêmes, et avec quelques difficultés manifestes, leur propre caisse de pension ou que le bourgmestre de Forest n’avait pas droit à des indemnités pour un congé de maladie de longue durée. Ces informations confirment le caractère très particulier – tantôt très généreux, tantôt lapidaire – de la couverture sociale des mandataires publics.

“Quand on se plonge dans les débats du congrès national en 1830, on constate que la question était alors: faut-il rémunérer les parlementaires? rappelle le politologue Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp).

Certains craignaient qu’une rémunération n’avilisse en quelque sorte une fonction noble. C’est pour cela qu’on a repris la

formule non pas de salaire mais d’indemnité parlementaire. Et pendant longtemps, cela n’a pas pesé bien lourd.” Les fonctions politiques étaient assumées par des personnes qui disposaient d’une fortune personnelle ou exerçaient un autre métier en parallèle. C’est à la fin du 19e, avec l’arrivée des premiers élus socialistes, issus de la classe ouvrière, que l’on a mis en place une vraie rémunération pour les fonctions politiques.

Le statut social des élus va ensuite se construire progressivement. “A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, il n’y eut toutefois pas de volonté

de l’intégrer à la sécurité sociale

qui se mettait en place, constate Jean Faniel. Cela donne aujourd’hui un statut social un peu disparate et qui est vraiment propre aux mandataires publics.” Il s’est construit au gré des réponses à des situations particulières qui ont choqué l’opinion et des impératifs budgétaires, mais sans vision d’ensemble très cohérente.

Pas de chômage mais des indemnités de sortie

Attardons-nous sur les principaux volets de ce statut social “disparate”, en commençant par celui qui suscite régulièrement la polémique: les indemnités de sortie. Le parlementaire en fin de mandat et qui n’aurait pas retrouvé un autre boulot n’a pas droit aux allocations de chômage. Rassurez-vous, il n’est pas sans rien pour autant: il continuera à percevoir son indemnité pendant un maximum de 24 mois (la durée varie en fonction de la carrière parlementaire). Il s’agit de versements mensuels, ce n’est donc ni un parachute doré ni une indemnité de préavis. Ce droit aux indemnités de sortie est annulé en cas de démission mais, en revanche, il est maintenu même si l’intéressé a retrouvé un autre emploi. Il peut toutefois y renoncer en tout ou en partie. Les mandataires ont souvent eu une vie professionnelle avant la politique. Ils ont alors payé des cotisations sociales, ce qui a ouvert un droit aux allocations de chômage. C’est le cas de Manu Disabato (Ecolo), non réélu au Parlement wallon en 2014 et qui s’était alors retrouvé sans emploi. “J’avais droit au chômage car j’avais travaillé avant mon élection, confie celui qui a retrouvé son poste de député wallon en 2019. Je n’ai pas demandé ces allocations tout de suite car j’avais mes indemnités de sortie.” L’élu est partisan d’un alignement du statut du mandataire sur celui des agents de la fonction publique. Cela impliquerait des cotisations sociales supplémentaires mais aussi une meilleure protection sociale. “C’est une question démocratique, estime Manu Disabato. Si nous voulons plus de diversité dans les profils des parlementaires, il faut y réfléchir.”

Nous devons nous rapprocher du statut qui régit le CDI d’une employée.” – GLADYS KAZADI (LES ENGAGÉS)

“Donner accès à l’assurance chômage sur les mêmes bases qu’un salarié, ce ne serait pas sot, analyse Jean Faniel. Ce serait une manière d’éviter la sensation que les parlementaires ont des privilèges, qu’ils ne partagent pas tout à fait la même réalité que tout le monde. On aurait peut-être des parlementaires plus regardants sur la réglementation du chômage et le niveau des allocations.”

Congés de maladie intégralement payés

Venons-en à un deuxième volet de la couverture sociale des mandataires: la santé. Les élus ont évidemment droit au remboursement des soins de santé grâce à des cotisations payées par l’assemblée, la commune ou eux-mêmes s’ils ont conservé une activité d’indépendant. Les assemblées paient également une assurance hospitalisation, qui couvre le paiement des soins après intervention de la mutuelle.

La situation des élus devient particulière en cas de maladie de longue durée ou de congé de maternité. Là où le salarié lambda ne reçoit plus que 60% de son traitement après un mois d’absence, le député, le bourgmestre ou l’échevin continue à percevoir l’intégralité de sa rémunération. Deux exceptions: en Wallonie, les émoluments du président de CPAS (mais pas des échevins! ) sont réduits de moitié après quatre mois d’absence ; à Bruxelles, le bourgmestre ou l’échevin ne percevra plus son salaire après trois mois d’absence pour maladie, en vertu d’une ordonnance votée l’an dernier en réponse à la situation du bourgmestre de Forest.

Pourquoi un tel traitement de faveur par rapport aux autres travailleurs malades? Peut-être parce que la vie politique impose parfois aux parlementaires de siéger en dépit de leur état de santé afin d’atteindre un quorum. Il y a des exemples dramatiques de députés atteints d’un cancer et qui devaient absolument venir au Parlement . Ou d’autres, plus amusants, comme la présence au Parlement wallon de la députée-bourgmestre de Jurbise Jacqueline Galant (MR) la veille de son accouchement car la majorité tenait à une voix près au moment de voter la confiance au gouvernement Borsus à l’été 2017. “J’ai quitté la séance à 1 h du matin et le lendemain j’accouchais, se souvient-elle. Rien n’est prévu au niveau des congés de maternité pour les élues mais – les féministes vont peut-être me maudire – je ne réclame pas de nous aligner sur le secteur privé. Un mandat public, c’est full time. L’électeur nous confie ce mandat pour un temps donné, nous devons l’assumer pleinement. Après mon accouchement, je n’ai jamais arrêté d’exercer ma fonction de bourgmestre.”

MANU DISABATO (ECOLO) s'est retrouvé sans emploi après les élections de 2014.
MANU DISABATO (ECOLO) s’est retrouvé sans emploi après les élections de 2014.© BELGA IMAGE

Si elle ne réclame pas de dispositions spécifiques pour les congés de maternité, Jacqueline Galant estime en revanche qu’il serait sain que les députés, bourgmestres ou échevins malades de longue durée ne perçoivent plus qu’une fraction de leur rémunération durant leur absence, comme c’est le cas pour n’importe quel salarié. “Nous devons nous rapprocher du statut qui régit le CDI d’une employée, abonde la députée bruxelloise Gladys Kazadi (Les Engagés) qui a également accouché durant son mandat parlementaire. J’ai continué à toucher l’intégralité de mon salaire alors que j’ai été absente pendant 15 semaines (le règlement prévoit ce laps de temps d’absence “justifiée”, Ndlr). Ce n’est pas correct vis-à-vis des autres travailleuses.” Gladys Kazadi précise cependant qu’elle a continué à suivre ses dossiers depuis chez elle, notamment en participant en visioconférence à des séances de commission. Elle n’était donc pas totalement absente durant son congé de maternité. L’octroi de vrais congés de maladie aux mandataires politiques n’est pas simple. On pourrait remplacer temporairement les élus malades ou en repos d’accouchement par leur suppléant, comme c’est déjà le cas pour les conseillers communaux. Sauf que le parlement, c’est un mandat à temps plein. Les suppléants ne mettront a priori pas leur job entre parenthèses pour y sièger deux ou trois mois, à moins qu’ils n’exercent déjà une fonction politique (cabinet, groupe parlementaire, etc.).

Une autre solution serait de se dire que deux ou trois malades n’empêcheront pas une assemblée de 75 ou 150 personnes de fonctionner correctement. L’exemple de Jacqueline Galant a montré qu’une majorité pouvait dépendre d’une voix et c’est encore plus vrai dans les réunions de commission. “L’immunité parlementaire a été créée pour défendre l’institution, qui a besoin de tous ses membres, pas pour défendre les personnes, rappelle Jean Faniel. Sur la durée d’une législature, on ne peut évidemment pas empêcher que des gens soient malades à un moment ou un autre mais le principe est bien d’avoir toujours une assemblée correctement constituée.” Jacqueline Galant avance une piste de solution: le vote à distance, qui avait déjà permis aux assemblées de fonctionner, certes avec parfois quelques bugs, pendant le confinement.

GLADYS KAZADI (LES ENGAGÉS) a accouché en avril 2021, pendant son mandat de députée au Parlement bruxellois.
GLADYS KAZADI (LES ENGAGÉS) a accouché en avril 2021, pendant son mandat de députée au Parlement bruxellois.© PG/ DPHOTOGRAPHY / 50 MM

Des pensions à plus de 6.000 euros

Enfin, troisième volet de la couverture sociale des mandataires: les pensions. Ici, les mandataires publics sont clairement avantagés par rapport au reste de la population. Ils ne sont rattachés à aucun des trois grands systèmes de pension (fonctionnaires, salariés, indépendants). Chaque parlement et chaque niveau de pouvoir organise sa propre caisse de pension, alimentée par des cotisations qui oscillent entre 7,5 et 9,5% du traitement brut selon les instances. Le montant de la pension est calculé à partir d’une formule mêlant notamment 75% du traitement de base et le nombre de mois prestés. Les conditions de carrière ont été relevées ces dernières années (il faut désormais avoir siégé 45 ans, et non plus 20 comme autrefois, pour avoir droit à la pension complète). Cela conduit à des sommes de 5.000 à 6.000 euros, soit quatre fois le niveau de la pension moyenne. Jean Faniel souligne par ailleurs une belle incongruité: alors que toute notre législation (votée par les parlements) organise une retraite par répartition, les mandataires publics jouissent, eux, d’une retraite par capitalisation avec les caisses de pension de chaque institution. “Ces caisses doivent être gérées comme des fonds de pension, dit-il. Cela peut poser des problèmes éthiques: faut- il investir dans telle entreprise ou dans tel secteur afin d’avoir la rentabilité souhaitée?” Un alignement sur le droit commun permettrait d’éviter ces problèmes… mais se traduirait par une baisse sensible du niveau des pensions des mandataires publics. “Mais nous ne sommes pas là pour l’argent, rassure Gladys Kazadi. Nous devons accepter de réfléchir à une évolution des statuts, même si certains ont peut-être peur de perdre des privilèges.”

“En tant que parlementaires, nous devons définir nous-mêmes notre propre rémunération et nos propres avantages, ajoute Manu Disabato. Admettez que cela peut parfois être délicat comme situation.” Cela n’incite manifestement pas à la réforme, sauf quand le dossier est poussé par la révélation de l’une ou l’autre situation particulière. Le statut social se construit ainsi “plic-ploc”, à coups de lois, ordonnances et décrets entre lesquels on peine à trouver de la cohérence.

Jacqueline Galant est partisane d’une remise à plat du cadre social des fonctions politiques. “Veillons cependant à ce que la fonction demeure attractive, précise-t-elle. Je ne dis pas qu’il faut tel et tel avantage mais un certain statut me semble logique. Un mandat de bourgmestre, ce sont de grandes responsabilités, y compris sur le plan pénal.” Elle préconise une réflexion en profondeur, qui intégrerait aussi le traitement fiscal des revenus des élus, qui sont contrôlés par un service spécifique du SPF Finances. Les parlementaires bénéficient de l’exonération de 28% de leur indemnité. “C’est un statut fiscal absolument unique, conclut Jean Faniel. Il est quand même curieux de constater que les pouvoirs publics organisent une moindre fiscalité des revenus des parlementaires et des ministres, qu’ils alimentent d’une certaine façon des niches fiscales.”

JACQUELINE GALANT (MR) a accouché en 2017, alors qu'elle était députée-bourgmestre de Jurbise.
JACQUELINE GALANT (MR) a accouché en 2017, alors qu’elle était députée-bourgmestre de Jurbise.© BELGA IMAGE

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