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‘Le problème de la dette grecque est une fiction’

S’il existe une fantaisie, en économie, c’est de parler du remboursement de la dette publique. Même quand elle baisse en termes relatifs, elle augmente. Le cas belge est, à cet égard, révélateur.

En 1993, la dette publique belge atteignait près de 138 % du PIB. Aujourd’hui, le pourcentage est tombé à 107 %. Mais la dette exprimée en euros a presque doublé depuis 1993, passant de 224 à 432 milliards d’euros.

Une dette publique ne se rembourse donc jamais. Au mieux, elle se stabilise en termes relatifs, c’est-à-dire en pourcentage du PIB qui correspond à la richesse crée annuellement dans un pays. Par contre, une dette se refinance, au rythme des échéances des obligations émises. Pour assurer ce refinancement, un pays doit assurer une crédibilité suffisante et s’acquitter d’un taux d’intérêt correspondant au risque du pays.

Sous cet angle, le problème de la Grèce n’est pas sa dette, qui ne sera jamais remboursée, mais son refinancement, c’est-à-dire les échéances régulières qui imposent un remboursement… avant d’emprunter à nouveau la même somme. C’est pour cette raison qu’il faudra transformer formellement cette dette en dette perpétuelle (le cas échéant, avec une clause de retour à meilleure fortune ou une indexation sur le PIB, à l’image de l’Ukraine), ce qu’elle est déjà, puisque financée par un Fond européen et des Etats qui se financent eux-mêmes… grâce à leurs propres dettes publiques qui ne se remboursent jamais.

Le problème de la dette grecque est une fiction: elle ne coûte plus rien, et nous ne perdons rien

En d’autres termes, le problème de la dette grecque est une complète fiction. Cette dette ne coûte plus rien, et nous ne perdons rien, puisqu’elle est déjà diluée dans notre endettement qui se dilue lui-même dans le temps. Les échéances de la dette grecque sont donc les échéances de notre propre dette publique. Incidemment, ce n’est pas maintenant qu’il faut s’émouvoir des dettes publiques grecques. Nous aurions dû le faire au moment du refinancement de la Grèce par notre propre dette ce qui passa complètement inaperçu et non débattu politiquement.

Donc, à un certain moment, il faudra “perpétualiser” formellement la dette grecque. Tout se passera comme si les différentes maturités (qui correspondent à autant d’échéances de refinancement) étaient agrégées afin de les consolider en un emprunt sans maturité. La dette grecque restera donc intacte, mais sa morphologie en sera modifiée. Cette technique s’appelle “reprofilage” dans le jargon financier.

Une consolidation de la dette grecque permettrait de lui conserver sa valeur nominale. De manière apparente, elle garderait la même valeur en euros. Par contre, la valeur de négociation de cette dette chuterait dans une proportion que je situe de 50 % à 70 %.

Comment suis-je arrivé à ce pourcentage ? Une approche consiste à appliquer à la dette grecque le pourcentage de dépréciation théorique de la Drachme si la Grèce avait conservé sa monnaie domestique depuis 2001, année de son entrée dans la zone euro. Cette dépréciation serait de l’ordre de 50-60 %.

Un autre angle d’approche consiste à calculer la “valeur de marché” d’une dette qui assure un taux d’intérêt de l’ordre de 2,5 % (ce qui semble être la moyenne du coût de la dette grecque, malgré l’imprécision des données) dans un contexte de taux d’intérêt à long terme grecs de 11 %. La décote de marché atteint alors environ 80 %.

Mais pour constater cette perte, il faut évidemment que cette dette grecque soit vendue à un tiers, ce qui semble improbable puisque la dette grecque est désormais détenue par les Etats européens de la zone Euro, le FMI et la BCE qui pourraient la conserver à l’infini. Une perpétualisation de la dette grecque permettrait de garder l’apparence des chiffres pour autant que cette dette soit conservée jusqu’à la nuit des temps.

L’infini est donc dans l’infini. Le reste n’est qu’expressions de sentiments moraux ou d’images populistes, bref des distractions à l’aune de l’Histoire.

Ne l’oublions jamais : la monnaie et la dette publique ne sont que des fictions et des symboles auxquels nous accordons naïvement une quelconque valeur puisque cette dernière dépend de la conviction collective. Et nous sommes assez crédules pour avoir inventé le taux d’intérêt, qui est le prix du temps et de la dette, alors que le temps nous est compté et, de surcroît, selon les physiciens, en expansion. La dette publique, c’est comme l’éternité : c’est long, surtout vers la fin.

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