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Le monde selon Zemmour a-t-il un avenir ?

L’histoire peut parfois être cruellement ironique. La rédaction de Charlie Hebdo est assassinée au lendemain de la visite mouvementée d’Eric Zemmour à Bruxelles. Sa vision d’une France devenue violente parce que déconstruite par les élites est-elle confortée par ce drame ? Ou, comme le pense Noël Mamère (qui a rédigé une réponse au livre du polémiste), le monde de Zemmour n’a-t-il aucun avenir?

Eric Zemmour était mardi à Bruxelles. Le polémiste venait pleurer chez nous la disparition de l’âme de la France, dépeinte dans les 540 pages de son ouvrage à succès “Le suicide français” (Albin Michel) .

Eric Zemmour défend l’idée d’une France, celle portée par Bonaparte et De Gaulle, où l’homme était encore viril, la femme soumise, le Français de souche et l’immigré hors de France. Mais le libéralisme économique, les événements de Mai 68 et une immigration suscitée par un patronat désireux d’importer une main d’oeuvre à bas prix, bref ce que Zemmour appelle “le complot des élites”, ont perverti en 40 ans cette belle âme de la France, “pays de soldats et de paysans”.

Ce jeudi, au lendemain de l’attentat, dans sa chronique sur la radio française RTL, le polémiste a sauté à pieds joints dans sa mare idéologique : pour lui, le drame de Charlie symboliserait la fin de ce monde libertaire né en 68. ” Le 7 janvier 2015 est notre 11 septembre, dit-il. Le jour où la guerre est revenue, comme jadis, comme toujours. (…) Les Wolinski, Cabu, Maris et le nom même de Charlie Hebdo héritier de l’ancien Hara Kiri symbolisaient précisément cette volonté d’oublier le tragique de l’histoire.” Mais l’histoire s’est vengée en ciblant Charlie Hebdo, organe de presse héritier de la pensée des enfants du baby-boom, celle où l’on gomme les différences, où l’on prône un monde hédoniste et où l’on imagine le monde comme une grande farandole où chacun se donne la main, dit encore Zemmour pour qui les assassinats de mercredi marquerait la fin de cette parenthèse.

“Zemmour trafique l’histoire”

La France rêvée par Zemmour a-t-elle un jour existé ? Ne serait-elle pas le seul fruit d’un imaginaire travaillé par les vieilles idées conservatrices, celles de Charles Maurras et de l’Action française, et mûries au terreau de la période bénie des Trente Glorieuses ? Quand on le lui demande, Eric Zemmour s’échauffe: “Il ne faut pas en rire. L’Etat français est un état nation qui date de 1000 voire 1500 ans. Il y a une grandeur à vouloir pérenniser ce modèle qui est admirable. Laissez-moi le droit de le pleurer . Il n’y a pas que la prospérité économique des Trente Glorieuses, ajoute-t-il. Les peuples ont une âme, et l’âme de la France est en danger. On ne parle pas seulement de niveau de vie.”

Reste que le monde selon Zemmour paraît être, à bien des égards, une reconstruction. “Zemmour trafique l’histoire, affirme le député écologiste Noël Mamère, qui a écrit un ouvrage avec Patrick Farbiaz (Contre Zemmour, réponse au suicide français, aux Editions Les Petits Matins). “. Un exemple ? “Il présente le général De Gaulle comme le gardien de l’âme de la France, et vilipende mai 68 comme la source de tous les maux”. Eric Zemmour estime en effet que Mai 68 comme le libéralisme économique aurait sournoisement contribué à la dévirilisation du mâle français afin de le rendre plus malléable aux désirs consuméristes des femmes et des enfants et aux nécessité du productivisme… “Mais, soulignent Noël Mamère et Patrick Farbiaz, celui qui détruisit le plus efficacement la France rêvée de Zemmour, c’est De Gaulle lui-même, pas Mai 68. C’est son idole qui introduisit le vote des femmes et, de fait, la “féminisation” de la vie politique. C’est De Gaulle qui autorisa la contraception, qui libéra le corps des femmes bien avant le droit à l’avortement, qu’il n’aurait sans doute pas combattu. C’est De Gaulle qui, de fait, favorisa l’entrée des femmes sur le marché du travail. Car, pour lui, le relèvement de la France n’était pas seulement institutionnel et moral, mais d’abord économique.”

Le Général De Gaulle est aussi à la base des grandes industries françaises (EDF, Renault, Bouygues,…) et de l’urbanisation du pays qui ont bouleversé ce monde paysan que pleure Zemmour .

“Nous n’avons pas eu le siècle des Lumières pour en arriver là”

Noël Mamère ajoute : “Aujourd’hui, l’on voudrait nous présenter le monde sous forme simplifiée. Certains, comme Sarkozy, choisissent de présenter un monde binaire : le chômeur contre le travailleur, l’islam contre la république, travailler plus pour gagner plus,… Et les médias choisissent la facilité en s’inscrivant dans cette vision du monde : dans les débats, on oppose les néo-conservateurs du genre Zemmour contre l’extrême gauche.” Il n’y aurait pas de place pour ceux qui pensent que le monde est plus complexe, avance encore le député écologiste, qui poursuit : “Les événements que nous vivons en France depuis mercredi matin montrent que la seule manière de résister est justement de montrer à ces marchands de peurs, qui renforcent les divisions, que nous n’avons pas peur et que nos valeurs triompheront.”

Et Noël Mamère conclut : “Le monde selon Zemmour, monde replié sur lui-même, monde du rejet et de la discrimination, n’a aucun avenir. Nous n’avons pas eu le siècle des Lumières et ni tous les combats en faveur de la liberté et la démocratie pour en arriver à cela.”

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