“Le Brexit peut être une bénédiction”: voici les 10 atouts sous-estimés de l’UE

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L’Europe copie depuis bien trop longtemps le modèle commercial anglo-saxon, et son économie est bien plus compétitive qu’on ne le croit. L’Union européenne devrait donc prendre conscience de ses atouts et en jouer. Le groupe de réflexion CEPS explique dans son rapport comment procéder.

L’Europe calque depuis bien trop longtemps le modèle commercial anglo-saxon alors que son système juridique, ses modes de financement, sa bonne gouvernance et ses systèmes de brevet sont nettement supérieurs. Encore faut-il qu’hommes d’affaires et politiques du continent en soient conscients et les développent pour créer un capitalisme à l’européenne et un statut de Société Européenne. Telles sont les conclusions du rapport du groupe de réflexion CEPS (Centre for European policy studies) récemment publié.

” Ne pas exploiter ce potentiel reviendrait à nier la compétitivité européenne “, affirme Donald Kalff, entrepreneur néerlandais et ex-membre de la direction de KLM, qui a co-écrit le rapport avec l’Italien Andrea Renda, chercheur au CEPS. Le Brexit pourrait être un cadeau du ciel, selon les auteurs. ” Il n’est question que des inconvénients du Brexit mais, à terme, l’Union européenne a tout à gagner, assure Kalff. Dès la sortie du Royaume-Uni de l’Union, l’Europe pourra enfin progresser dans les domaines où elle était freinée par les Britanniques. ”

Le rapport énumère 10 atouts qui pourraient booster l’économie européenne. ” L’Union européenne pourra se positionner plus clairement dans les 10 domaines que nous avons analysés “, assure Andrea Renda.

1. Système juridique : la confiance est d’or

Les traditions et les systèmes juridiques européens constituent un atout de taille, conclut le rapport. ” Il a fallu intégrer le droit commun britannique au droit civil européen “, explique Andrea Renda. Ce qui a entraîné l’hybridation des directives et des ordonnances européennes, d’où un certain flou et l’instauration du plus petit dénominateur commun.” Le Brexit devrait mettre un terme à cette dilution juridique.

Dès la sortie du Royaume-Uni de l’Union, l’Europe pourra enfin progresser dans les domaines où elle était freinée par les Britanniques.

Le système juridique européen est basé sur la confiance, soulignent Donald Kalff et Andrea Renda. Le principe de bonne foi dans le droit contractuel européen en est un bel exemple. Il suppose que les signataires du contrat se comportent de façon juste et équitable, sans abuser des droits découlant de l’accord conclu. ” Ce principe facilite les relations commerciales entre entreprises et constitue la base même des partenariats “, dixit Andrea Renda. En tant qu’entrepreneur, Donald Kalff en fait régulièrement l’expérience. ” Dans les contrats conclus avec des partenaires anglais, je dois préalablement exclure tous les comportements indésirables possibles, explique-t-il. Une opération très coûteuse et qui prend un temps fou. ” La législation contractuelle européenne est nettement plus efficace et moins onéreuse.

Cet atout n’est pas estimé à sa juste valeur, d’après les auteurs. Les avantages sont indéniables : plus grande efficacité des tribunaux et facilité d’accès des PME au système juridique.

2. Financement des entreprises : le mix idéal

Etonnamment, le rapport chante les louanges du modèle de financement européen des entreprises. Il se fonde essentiellement sur les banques tandis qu’aux Etats-Unis, les capitaux proviennent généralement des marchés financiers. En 2018, en Europe, le financement des entreprises était assuré à 55% par les banques. Aux Etats-Unis, il l’était à 30%. La Commission européenne prône donc un financement davantage axé sur le marché et moins sur les banques. Mais c’est à tort, estime Donald Kalff. ” La diversité des sources de financement fait la force de l’Europe. Elle combine les avoirs propres via l’actionnariat, le financement de la dette par les prêts et les subsides. ”

Par ailleurs, le réseau européen des entreprises n’est en rien comparable à son homologue américain. Notre continent est essentiellement une économie de PME. En effet, 82% des entreprises européennes emploient moins de 10 personnes et 13% entre 10 et 50 personnes, contre respectivement 67% et 25% au pays de l’Oncle Sam. Cette différence se retrouve aussi dans les chiffres de l’emploi. Aux Etats-Unis, les grandes entreprises de plus de 250 travailleurs représentent à elles seules 64% de l’emploi, contre 45% dans l’Union. Une économie de PME aussi intensive a d’autres besoins de financement.

Le secteur bancaire européen, plus développé et plus diversifié que l’américain, a donc un rôle important à jouer. ” Notre modèle d’activités bancaires relationnelles est plus à même d’assurer la mixité des sources de financement. Le modèle américain se base essentiellement sur les transactions, poursuit Donald Kalff. Autrement dit, l’Europe est moins dépendante des actionnaires. ”

TECHNOLOGIE
TECHNOLOGIE ” L’Europe fait figure de leader mondial en ce qui concerne la réglementation en matière de technologie. “© getty images

3. Bonne gouvernance : la Société Européenne

Depuis des décennies, l’Europe prend exemple sur le modèle anglo-saxon de bonne gouvernance qui place l’actionnaire au premier rang. A tort. ” Son seul but est le bénéfice par action, précise l’entrepreneur néerlandais. Ce qui met constamment les entreprises sous pression et les oblige à réduire leurs coûts, racheter leurs propres actions au lieu d’investir car cela pourrait nuire au bénéfice à court terme. Le fait que toutes les entreprises européennes cotées en Bourse ont adopté ce modèle est significatif. Heureusement, chez nous, tout ne se joue pas en Bourse. ” Pour résumer, ce modèle basé sur l’actionnariat se révèle d’abord profitable aux marchés financiers, pas à l’économie.

La ” Société Européenne ” (SE), avec son statut propre, est une alternative. ” Il faut réexaminer le concept, le développer et l’ancrer dans les principes d’honnêteté, d’équité et de confiance, explique Andrea Renda. L’Europe a tout à y gagner en termes d’efficience et de croissance. ” La SE est le cadre permettant aux entreprises européennes de tout miser sur la valeur économique, la mixité des sources de financement, la décentralisation du pouvoir décisionnel, les critères qualitatifs et les normes professionnelles comme fil rouge. ” Le modèle de gestion doit être suffisamment souple pour convenir aux petites entreprises également, précise toutefois le chercheur. Un tel modèle de gestion univoque est de nature à accélérer l’intégration du marché intérieur car il permettra aux entreprises d’opérer plus facilement par-delà les frontières. ”

4. Innovation : la force collective

L’Union européenne peut devenir un moteur d’innovation à condition de fixer un cadre politique ad hoc, notent les deux hommes. Le fossé qui existe entre les Etats-Unis et le Vieux Continent n’est pas aussi grand qu’on pourrait le croire. Les Etats-Unis doivent essentiellement leur réputation de leader en ce domaine aux géants de la technologie comme Google et Apple. ” Mais 475 des 500 entreprises du S&P500 n’ont pas enregistré le moindre gain de productivité. Zéro ! “, insiste Donald Kalff.

475 des 500 entreprises du S&P500 n’ont pas engrangé le moindre gain de productivité ces dernières années. Zéro !

Certes, l’Union européenne ne fait pas beaucoup mieux mais elle met tout en oeuvre pour changer les choses. Selon les auteurs, l’Europe encourage ainsi – à juste titre – les partenariats entre petites et grandes entreprises, entre les entreprises et l’Etat, afin d’optimiser les résultats de l’innovation. ” Si vous voulez aller vite, faites le chemin seul. Si vous voulez aller loin, faites-vous accompagner “, rappellent-ils pour résumer la différence entre les approches européenne et américaine. Il convient donc d’éliminer les obstacles à la collaboration génératrice d’innovation. Il faut notamment consolider les fonds d’innovation européens et les organismes de financement.

5. Brevets : seule la technologie doit être protégée

Le système européen de brevets est un autre trésor caché. Seule est prise en compte la différence de demandes de brevets en Europe et aux Etats-Unis, estiment les auteurs du rapport. ” Leur nombre est moins élevé en Europe et c’est tant mieux, assure Donald Kalff. Les Etats-Unis en émettent davantage mais la définition des brevets est tellement large qu’ils ont pour effet de saper l’esprit d’entreprise. Ajoutez-y le goût immodéré des Américains pour les procès et vous comprendrez pourquoi les brevets asphyxient l’économie. ”

D’autant que la qualité des brevets européens est supérieure, à en croire le rapport CEPS. ” En Europe, chaque brevet doit comporter un volet technique, soumis à l’appréciation des experts du bureau d’expertise européen EPO, explique Donald Kalff. Ce volet technique doit être tout spécialement protégé par un brevet vu l’importance des investissements en jeu. Les investisseurs veulent être sûrs de leur coup. Pour le reste, la protection importe moins. ”

Le rapport pointe toutefois une lacune importante : l’absence de brevet européen unitaire. Les Etats-membres n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur un tel brevet. Or, il pourrait faire figure de label de qualité mondial, insiste le rapport CEPS. Deux conditions importantes : il doit être accessible aux PME et l’EPO doit disposer de moyens plus importants pour en garantir la qualité. Par ailleurs, les petites entreprises doivent disposer d’outils juridiques plus performants pour défendre leur propriété intellectuelle, d’après les auteurs.

6. Concurrence : protéger les petits

” Le droit de la concurrence européen est un atout de taille, explique Andrea Renda. L’Europe a une tradition de marchés fragmentés constellés de petites entreprises. Voilà plusieurs décennies que nous copions le modèle américain de grands acteurs économiques alors que la vision européenne de structure appropriée pour notre économie est radicalement différente. ” Grâce à sa politique de concurrence, la Commission européenne protège le consommateur des abus de pouvoir des grandes entreprises. A juste titre, estiment les auteurs. Il s’agit à présent de protéger les petites entreprises également. ” En économie, la valeur ajoutée est générée non seulement dans les rapports entre entreprises et consommateurs mais aussi dans les rapports entre entreprises tout le long de la chaîne d’approvisionnement, dont font partie de nombreuses petites entreprises “, explique Donald Kalff. On obtient ainsi une saine concurrence. Pas comme aux Etats-Unis où elle se résume à mettre des bâtons dans les roues des petites entreprises innovantes, à les absorber ou à les traîner devant les tribunaux.”

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ” La qualité des brevets européens est supérieure à celle des Etats-Unis. “© getty images

7. Impôts : la sécurité juridique est un avantage

Le système fiscal des Etats-membres européens est très performant dans de nombreux domaines mais un cadre global fait cruellement défaut. ” Dans de nombreux Etats, une entreprise peut négocier des accords avec le fisc, un avantage non négligeable, assure Donald Kalff. Elle sait ainsi exactement à quoi s’en tenir et bénéficie d’une certaine sécurité juridique, indispensable pour fonctionner efficacement. ”

Une plus grande harmonisation de la fiscalité des entreprises permettrait d’atteindre un niveau d’équité plus élevé, explique le rapport. Petites et grandes entreprises doivent en effet être traitées de la même manière, et un volet fiscal doit être ajouté au statut de Société Européenne. Certes, la Commission européenne a déjà proposé l’instauration d’une taxe européenne sur les entreprises mais les Etats-membres y sont opposés. Or, cette mesure aurait pour effet d’accroître les investissements dans l’Union de 3,4% et la croissance économique de 1,2%, d’après le rapport. Notons que selon le CEPS, les multinationales qui expatrient leurs bénéfices dans des paradis fiscaux devraient être sanctionnées.

8. Corruption : renfort de la surveillance

Les récents scandales de blanchiment d’argent dans le secteur bancaire européen et les indices de perception de la corruption de l’ONG Transparency International montrent que, contrairement à ce qu’on croit, la corruption est également un problème sur le territoire de l’Union. Les pays européens les plus corrompus ne représentent qu’une petite partie de son économie et certains Etats-membres comme le Danemark et la Suède sont plutôt bien cotés mais la moyenne européenne est par exemple inférieure à celle des Etats-Unis et du Japon.

La Commission européenne défend le consommateur contre les abus de pouvoir des grandes entreprises. Il s’agit à présent d’également protéger les petites entreprises.

” La corruption coûte 120 milliards d’euros par an à l’UE selon les estimations de la Commission, argue Donald Kalff. Il s’agit essentiellement d’investissements peu judicieux : la construction d’un pont pas vraiment indispensable, la création d’un nouveau poste politique inutile, etc. ” Ceci étant, la réglementation européenne contre la corruption a été durcie. ” Mais il faut que les budgets pour le maintien de la surveillance soient considérablement accrus “, explique l’entrepreneur.

9. Commerce et marché intérieur : une plus grande intégration

Le summum de l’intégration économique européenne est le marché intérieur et la libre circulation des marchandises. ” Mais il n’existe toujours pas de directive assurant la libre circulation des services, c’est très regrettable “, insiste Donald Kalff. Le marché intérieur actuel offre pourtant d’innombrables avantages, dont le plus important : la création d’emplois. Chaque milliard d’euros de marchandises européennes exportées correspond à 14.000 nouveaux emplois. Grâce au marché intérieur, l’ensemble de l’Union profite des champions de l’exportation, l’Allemagne et l’Italie en tête. ” Plus grande est l’intégration, plus vous devenez attractifs pour les partenaires commerciaux. C’est primordial, surtout pour les PME “, assure le Néerlandais.

Autre source de richesse : les accords commerciaux, une compétence européenne exclusive. ” L’Union européenne a conclu des dizaines d’accords commerciaux et d’associations, les Etats-Unis nettement moins “, constate Donald Kalff. Les mesures protectionnistes de Trump n’ont fait qu’accélérer la cadence des nouveaux accords conclus.”

10. Technologie : leader mondial en matière de réglementation

En ce qui concerne le développement des technologies du futur comme l’intelligence artificielle, les systèmes informatiques quantiques et l’Internet des objets, l’Europe accuse un certain retard sur les Etats-Unis et la Chine. Selon le rapport, sa force est toutefois ailleurs, à savoir dans sa politique et sa réglementation. ” L’Union est numéro un mondial en ce qui concerne la réglementation en matière de technologie, constate Donald Kalff qui en souligne l’importance pour les entreprises. Nous sommes aveuglés par les géants de la technologie comme Facebook et Google alors que l’activité commerciale inter-entreprises est incommensurablement plus importante. ”

Pour les auteurs du rapport, l’Union européenne doit fixer les normes mondiales et détient tous les atouts pour ce faire : une machine juridique performante, un marché intérieur le plus riche du monde, un leadership en durabilité sociale et écologique. Les données sont indispensables pour assurer cette durabilité mais la collecte et le traitement des données n’en sont encore qu’à leurs premiers balbutiements. L’Union doit donc saisir cette opportunité pour s’imposer comme le leader mondial en matière d’utilisation des données pour la durabilité de la société. Cela lui permettra en outre de jouer un rôle de premier rang à l’ère du numérique.

D’autant que l’Europe en est parfaitement capable comme elle l’a prouvé en instaurant le RGPD, le règlement général sur la protection des données personnelles. Une norme mondialement agréée.

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