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“L’ampleur du défi budgétaire n’incite pas les partis à se précipiter dans la cabine de pilotage et à former un gouvernement”

Après les élections de 2010, ce sont les agences de notation qui ont débloqué la situation. La dégradation de la note de la Belgique et son impact sur les charges de la dette ont poussé les partis vers la voie du compromis. Dix ans plus tard, l’économie va-t-elle à nouveau bousculer la politique ? Pour l’heure, c’est plutôt l’inverse.

La croissance, quoique molle, est supérieure à celle de la zone euro, le taux d’emploi vient de dépasser les 70%, le chômage n’a jamais été aussi bas (5,4%), le pouvoir d’achat a connu sa plus forte hausse depuis la crise de 2005 (+ 2,5%) et la dette publique est redescendue sous les 100% du PIB. Pourquoi s’alarmer face à un tel bulletin ?

En présentant pareils résultats dans le rapport annuel de la Banque nationale, le gouverneur Pierre Wunsch aurait logiquement dû être radieux. Il le serait sans doute s’il se contentait d’observer la situation à court terme, sans trop se soucier de la durabilité de la croissance. Si l’économie belge ne se porte pas trop mal, c’est que les robinets sont grand ouverts. La diminution du coût du travail et de la pression fiscale a soutenu la création d’emplois (encore 74.000 l’an dernier) mais elle a aussi creusé le déficit structurel des finances publiques. Il a glissé de 1,8 à 2,4% du PIB l’an dernier, effaçant ainsi tous les efforts d’assainissement des années précédentes.

A politique inchangée, le budget de l’Etat continuera à dériver dangereusement et ce n’est évidemment pas tenable à terme. Il faut se rendre à l’évidence : notre modèle est structurellement déséquilibré. Contrairement à une conviction bien ancrée, les recettes générées par les créations d’emplois ne suffisent pas pour assumer les coûts du vieillissement de la population. Notamment en raison des baisses de cotisations sociales (qui ont permis ces créations d’emploi). Ce dérapage est d’autant plus inquiétant que, grâce aux taux bas, les charges d’intérêt diminuent d’année en année. Et pas un peu : entre 2015 et 2019, elles sont passées de 2,9 à 1,9% du PIB, soit un gain de plus 4 milliards d’euros pour les finances publiques. Un tel gain aurait normalement dû permettre, au moins, d’équilibrer les comptes…

L’équilibre n’est de toute façon pas suffisant. La Banque nationale pointe en effet la faiblesse des investissements publics en Belgique, en particulier ” ceux qui soutiennent le potentiel de croissance de l’économie “, que ce soit en finançant la recherche, une meilleure mobilité ou la transition vers une économie dépendant moins des énergies fossiles. Bref, il faudra non seulement assainir mais en prime investir massivement. L’ampleur de ce défi budgétaire – pour lequel les réponses de la droite, de la gauche et du centre ne sont pas les mêmes – n’incite pas les partis à se précipiter dans la cabine de pilotage et à former un gouvernement fédéral. Or, plus on attend, plus le déficit croît et plus l’ajustement sera brutal.

Cette perspective alimente l’hypothèse d’un gouvernement d’urgence, susceptible de replacer le budget dans des balises plus strictes. Cela implique de s’entendre sur la compression de certaines dépenses (y compris sans doute de dépenses sociales, qui représentent plus de la moitié de la hausse des dépenses de ces 20 dernières années) et les possibilités d’augmentation des recettes, par exemple du côté de la fiscalité environnementale. Soit, pour les uns comme pour les autres, avaler une partie de ses engagements électoraux les plus fermes. L’expérience de ces derniers mois nous indique que sans contrainte extérieure – qu’elle vienne de la Commission européenne, des marchés financiers ou d’ailleurs – les partis sont encore loin d’y être prêts. La dérive budgétaire de la Belgique a encore de beaux jours devant elle.

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