La victoire de la Roja dopera-t-elle l’économie espagnole ?

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Dirigeants politiques et acteurs économiques espagnols veulent croire aux retombées positives de la victoire de l’équipe nationale au Mondial de football. Au-delà de l’euphorie ambiante, le taux de chômage élevé et le plan de rigueur continuent cependant de peser sur le pouvoir d’achat des ménages.

L’Espagne a remporté dimanche la Coupe du monde de football 2010 en Afrique du Sud. Une victoire suivie par près de 14 millions de téléspectateurs espagnols et fêtée tout au long de la nuit. Oubliés la récession, le chômage, le plan de rigueur, les baisses de salaires : l’heure est à la joie en Espagne. La victoire de la Roja éclairera-t-elle le ciel gris de l’économie espagnole ? Pas sûr.

“Devenir champions du monde améliore le moral collectif, ce qui conduit à davantage de dépenses de consommation et pourrait avoir un impact positif de 0,25 à 0,5 point de PIB”, estime Jan Hommen, CEO d’ING. En 2006, ABN Amro avait revu sa prévision de croissance pour l’Italie de 0,2 point à 1,7 %, après la victoire de la Squadra Azzura au Mondial en Allemagne. Au final, l’Italie a enregistré en 2006 une forte croissance de 2 %.

Un gain de 0,25 à 0,5 point de PIB serait providentiel pour l’économie espagnole, sortie timidement de deux ans de récession (hausse de 0,1 % du PIB au premier trimestre), mais qui devrait terminer l’année 2010 sur un recul de 0,3 % du PIB, selon les dernières prévisions du gouvernement Zapatero.

Un effet “one-shoot” sur la consommation

Gagner le Mondial sera “bon pour le PIB”, a assuré Elena Salgado, ministre de l’Economie espagnole, au lendemain de la victoire de la Roja. Miguel Sebastián, ministre de l’Industrie, avait quant à lui indiqué au lendemain de la victoire de l’Espagne sur l’Allemagne qu’il faudrait revoir à la hausse le produit intérieur brut espagnol pour 2010 en cas de victoire au Mondial. Des prédictions qui semblent bien optimistes au regard de plusieurs économistes.

Concrètement, deux postes peuvent bénéficier de la victoire espagnole : la consommation des ménages et le tourisme. “Lorsqu’une société est heureuse, cela se répercute toujours sur la consommation, a déclaré à l’AFP Miguel Angel Fraile, secrétaire général de la Confédération espagnole du commerce. Il est sûr que la consommation augmentera mais nous ne savons pas dans quelle mesure.”

“L’effet principal d’un tel événement sportif sur les dépenses de consommation des ménages se voit avant, avec l’achat de télévisions, et pendant, avec une hausse de la fréquentation des bars, tempère Sylvain Broyer, responsable du département économie de Natixis. Mais c’est un effet succinct et peu durable.

“Les Espagnols vont peut être boire plus de bière et manger plus de tapas pendant une semaine, mais la joie de la victoire n’entraînera pas pour autant les ménages espagnols à acheter une voiture ou un bien immobilier, renchérit son collègue Jesus Castillo, responsable Espagne chez Natixis. Ceux qui n’avaient pas les moyens de consommer avant la victoire ne l’auront pas plus après.”

Le tourisme pénalisé par la crise en Europe

Les ménages espagnols ont en effet peu de marges de manoeuvre en termes de pouvoir d’achat. Leur endettement s’élève à 178 % du PIB, un niveau à haut risque de défaillance, d’autant que cet endettement est essentiellement constitué de prêts immobiliers, fragilisés par l’éclatement de la bulle de ce secteur en 2008.

Le revenu des Espagnols est par ailleurs plombé par un taux de chômage de 20 %, l’un des plus élevés de la zone euro. Par ailleurs, dans le cadre du plan de réduction du déficit public, le gouvernement espagnol baissera de 5 % les salaires des fonctionnaires et les gèlera en 2011.

Il y a peu de chances, donc, que la victoire de la Roja dope suffisamment les dépenses de consommation des ménages au cours du deuxième semestre pour tirer le PIB espagnol vers le haut. A moins que les 23 champions du monde ne décident de dépenser sans compter leur prime de vainqueur, à savoir 600.000 euros chacun.

Sur le front du tourisme, qui représente près de 10 % du PIB espagnol, “la victoire est très positive”, a déclaré à l’AFP Marcio Favilla, directeur exécutif de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), basé à Madrid. La victoire au Mondial, “c’est comme une campagne de publicité gratuite”, estime Juan Carlos Martinez Lazaro, économiste à l’IE Business School.

Certes, mais “l’Espagne est déjà dans le Top 3 des destinations touristiques mondiales, tempère Jesus Castillo. Difficile de faire mieux, d’autant que la majorité des touristes qui viennent en Espagne sont des Européens, durement touchés par la crise et qui auront plus tendance à rester dans leur pays cet été.”

Conclusion de Philippe Sabuco, économiste chez BNP Paribas : “Cette victoire n’aura aucun effet macroéconomique positif.”

Emilie Lévêque, L’Expansion.com

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