La Sogepa explique sa stratégie: « Un fonds d’investissement, même public, est là pour prendre des risques »

Philippe Buelen et Renaud Witmeur, respectivement premier vice-président et président du comité de direction de la Sogepa. © JULIEN LEROY (BELGAIMAGE)

Cet outil économique wallon est accusé de dilapider l’argent public dans les dossiers NLMK, Durobor ou Thunder Power. Ses dirigeants s’en défendent et expliquent leur stratégie.

Le plus bel argument de la Société wallonne de gestion et de participations, c’est son livre de comptes. Cet outil économique a en effet dégagé l’an dernier un boni de 7,5 millions d’euros et de 11 millions l’année précédente.  » Et nous ne recevons aucun subside de fonctionnement, précise Philippe Buelen, premier vice-président du comité de direction. Nous vivons grâce à la rentabilité de nos dossiers.  » La faillite de Durobor, dans laquelle la Sogepa a perdu 2,8 millions d’euros, a fait beaucoup de bruit. Mais d’autres investissements rapportent, comme ArcelorMittal (6 millions d’euros), Hamon (1 million, en dépit des déboires boursiers), Ajemo (350.000), etc.

 » Nous communiquons peu sur nos succès, concède Renaud Witmeur, président du comité de direction. La Sogepa est assimilée aux entreprises en difficulté, qui n’ont pas très envie qu’on le rappelle. Donc, quand ça va bien, on ne se montre pas trop.  » La société est pourtant fière d’avoir contribué à relancer Cara- Duchatelet (voitures blindées), les fonderies de Couvin, l’hippodrome de Wallonie ou CP Bourg, cette entreprise qui vendait hier des accessoires pour photocopieuses et qui négocie désormais avec Amazon. La Sogepa a investi l’an dernier 165 millions d’euros dans 53 entreprises et elle en est déjà à 150 millions au premier semestre 2019. Elle gère un portefeuille de plus de 150 entreprises wallonnes, via des prêts ou des participations.

La sidérurgie, ce n’est pas le passé

A l’origine, cet outil devait surtout servir à la reconversion des sites sidérurgiques. La mission fut rapidement étendue à la sauvegarde d’un tissu industriel en Wallonie.  » Qui lance un appel pour investir dans l’industrie ? , interroge Renaud Witmeur. Les biotechs ou le numérique, c’est sexy. Mais l’industrie… En Wallonie, on l’associe au passé, au déclin. Il y a un a priori négatif, comme si c’était d’office une erreur d’investir dans l’industrie. Or, dans la sidérurgie, les produits changent du tout au tout en 10 ans, il y a énormément de recherches et d’innovation. Mais chez nous, on ne veut pas le voir.  »

Nous communiquons peu sur nos succès. La Sogepa est assimilée aux entreprises en difficulté, qui n’ont pas très envie qu’on le rappelle. Donc, quand ça va bien, on ne se montre pas trop.

Cette image désuète de notre tissu industriel provient d’un long désinvestissement. Les équipements n’ont guère évolué et leur remise aux normes de compétitivité internationale a nécessité des investissements colossaux (150 millions chez NLMK, 140 chez ArcelorMittal, etc.). Il est alors bien utile de trouver un partenaire public prêt à partager les risques.  » Un fonds d’investissement public n’a de sens que s’il couvre un certain volume et qu’il ose prendre des risques, insiste Renaud Witmeur. Nous sommes là pour prendre des risques, en faisant évidemment très attention à ne pas dilapider l’argent public. Qui dit risques dit parfois échec, nous devons alors l’assumer. Durobor, c’est un investissement qui a raté. Nous perdons 2,8 millions dans l’aventure mais, globalement, la Sogepa dégage un boni. Notre action est donc fructueuse pour l’économie wallonne.  » Et elle le sera encore plus si Durobor parvient une nouvelle fois à se relancer.

Repaire d’ex-chefs de cabinet

La Sogepa intervient essentiellement en missions déléguées, c’est-à-dire sur décision gouvernementale. Sur décision, pas sur ordre.  » Nous procédons à une analyse approfondie et nous la soumettons à notre conseil d’administration, explique Philippe Buelen. Ce n’est pas une chambre d’entérinement, il y a une vraie culture du débat au CA – ce qui, je le reconnais, n’a pas toujours été le cas par le passé. Quand on décide d’investir dans Hamon, dans NLMK ou dans Thunder Power, c’est après des discussions parfois longues.  »

Ce CA reflète évidemment les rapports de forces politiques en Wallonie mais, à sa tête, on retrouve une personnalité du monde entrepreneurial : Laurent Levaux (Aviapartner), qui a succédé l’an dernier à Thierry Castagne (Technifutur). La politique intervient aussi au comité de direction, exclusivement composé d’anciens chefs de cabinet de ministres wallons. Le changement de coalition n’y a rien changé puisque le chef de cabinet du ministre de l’Economie Pierre-Yves Jeholet (MR), Jean-François Robe, vient de rejoindre ce cénacle… On peut s’étonner d’une telle  » tradition  » mais, au vu des résultats de la Sogepa, il faut convenir que le casting n’est sans doute pas trop mauvais.

Tiers investisseur énergétique

Surtout ne dites pas que ces gens viennent  » pantoufler  » à la Sogepa. Ils ont, au contraire, réussi à impulser un certain dynamisme managérial dans cette équipe d’une quarantaine de personnes. Il y a tout d’abord la rapidité d’intervention : dans les dossiers de moins d’un million d’euros, l’entreprise en reconversion peut attendre une réponse dans la semaine. Une vingtaine de dossiers de ce type ont été acceptés l’an dernier. Ensuite, il y a l’anticipation. Une équipe de la Sogepa était récemment à Londres pour rencontrer les dirigeants de Liberty Steel qui vont bientôt reprendre les usines de Tilleur et Flémalle (soit 700 personnes) d’ArcelorMittal.  » Nous leur avons exposé notre vision des forces et faiblesses de ces sites et notre disponibilité pour accompagner de futurs investissements, dit Renaud Witmeur. Le patron de Liberty Steel n’en revenait pas : c’est la première fois qu’un fond public venait le voir de manière proactive. Accompagner les investisseurs étrangers, c’est aussi dans nos missions.  »

Enfin, il y a la souplesse dans les modalités d’intervention, qui sortent des prêts et participations classiques. La Sogepa utilise désormais l’outil immobilier, elle devient propriétaire de terrains qu’elle loue ensuite aux entreprises. Celles-ci évitent alors les risques liées à des pollutions antérieures. L’arrivée imminente de la Spaque (société publique spécialisée dans l’assainissement des sols) devrait renforcer ce pôle immobilier.

La Sogepa se préoccupe aussi de plus en plus d’énergie, souvent le premier coût des entreprises industrielles. Elle a fondé Demainvest avec Luminus, pour intervenir en tant que tiers investisseur pour aider des entreprises à produire elle-même une partie de leur électricité.  » Quand vous êtes en reconversion, vous n’avez ni le temps ni les moyens de vous déployer dans ces secteurs, explique Philippe Buelen. Nous prenons tout en charge pour les entreprises.  » Avec des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, le circuit de Spa-Francorchamps pourrait ainsi devenir autonome en énergie (tant que les voitures électriques ne disputent pas le Grand Prix en tout cas…). Cette diversification énergétique pourrait à l’avenir se coordonner avec la société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW), dans le cadre des rapprochements et synergies entre les outils économiques régionaux. Enfin, le fonds Wallonie-Santé, créé par la Sogepa pour financer les infrastructures hospitalières, vient d’être doté d’une enveloppe supplémentaire de 30 millions d’euros en vue d’améliorer la performance énergétique des hôpitaux.

130 millions réinvestis chez NLMK

 » En 2014, tout le monde était convaincu que la sidérurgie était morte à Clabecq et La Louvière. Cinq ans plus tard, nous sommes toujours là.  » Renaud Witmeur se réjouit de voir que l’usine de La Louvière a renoué avec les profits et emploie 600 personnes. Un investissement de 100 millions d’euros va permettre de doubler la vitesse du train à chaud et donc d’améliorer encore la compétitivité du site. Le bémol, c’est que ce lourd investissement ne créera que très peu d’emplois.  » Si nous voulons maintenir un tissu industriel, il faut entrer dans cette logique d’amélioration opérationnelle permanente, résume Renaud Witmeur. Cela pérennise l’emploi et l’activité.  »

A Clabecq, en revanche, les ventes de plaques en acier ne répondent pas aux attentes et le propriétaire russe doit éponger 50 millions de pertes par an.  » Après cinq ans, je peux comprendre que l’entreprise estime que ce n’est pas tenable « , dit le patron de la Sogepa. Plusieurs options sont sur la table : la fermeture du site qui emploie encore 400 personnes ; l’arrêt de la production de plaques mais le maintien de l’activité Q&T (acier trempé et revenu, ce qui permet la fabrication d’acier à très haute valeur ajoutée) avec 100 travailleurs ; un réinvestissement d’une trentaine de millions d’euros, avec la Sogepa, en vue d’un reprofilage industriel crédible avec le maintien de 200 emplois. Cette dernière tient la corde et est actuellement en négociation avec les syndicats.  » Je comprends que le choc de la disparition de la moitié de l’emploi soit terrible, concède Renaud Witmeur. Mais la Sogepa ne finance pas un plan social, elle finance une relance crédible qui confortera 200 emplois industriels. Une entreprise qui est constamment en perte, elle finit par disparaître. Je préfère pérenniser un outil, même réduit.  »

Au total, c’est donc 130 millions qui seront réinvestis sur les deux sites. La Sogepa y contribuera en injectant 100 millions dans le capital de NLMK-Europe. Un investissement peu risqué puisque l’accord prévoit une possibilité de sortie après six ans, avec un rendement minimum garanti de l’ordre de 4% par an.

Durobor prêt à repartir ?

La Sogepa a repris le fabricant de verre sonégien en 2017, mais elle n’a pu éviter le dépôt de bilan, avec une ardoise de 2,8 millions d’euros. L’histoire ne s’arrête peut-être pas là. La Sogepa a en effet reçu une marque d’intérêt  » très sérieuse  » émanant d’un fonds d’investissement d’un Etat souverain du golfe Persique, déjà présent en Wallonie. La relance de l’entreprise passerait notamment par des exportations vers le Moyen-Orient, orchestrées par le repreneur. Les représentants de ce fonds souverain viendront en Belgique début juin (un ancien cadre de Durobor est dans leur équipe) et l’affaire pourrait se concrétiser rapidement.  » Il faudra décider rapidement car le maintien en activité du four coûte 5.000 euros par jour, explique Renaud Witmeur. Le candidat s’est engagé à en payer la moitié, ce qui atteste de son intérêt réel pour la reprise. Si cela échoue, ce sera la fin de la production de verre à Soignies.  » Les précédents projets de reprise ont buté sur des questions de financement (on parle d’un montant de 30 à 40 millions pour moderniser l’usine) mais le candidat de dernière minute semble, lui, disposer de fonds très importants.

L’énigme Thunder Power

En Chine, Thunder Power finalise sa première ligne de production.
En Chine, Thunder Power finalise sa première ligne de production.© JULIEN LEROY (BELGAIMAGE)

Est-ce le coup de bluff du siècle ? Une start-up chinoise qui n’a jamais produit la moindre voiture parviendra-t-elle effectivement à fabriquer d’ici deux ans des voitures électriques citadines sur l’ancien site de Caterpillar à Gosselies ?  » Oui, c’est un risque « , répond Renaud Witmeur, en rappelant toutefois qu’à ce stade, la Sogepa n’a pas encore injecté le moindre euro dans cette aventure.

Il revient de Chine et a pu vérifier sur place le développement de Thunder Power. Sa première voiture, une Sedan, a réussi les tests d’homologation en Chine. L’entreprise peut maintenant finaliser sa ligne de production qui devrait être opérationnelle en fin d’année. Thunder Power a déjà enregistré 15.000 préventes en Chine pour ce modèle. Quand cette étape sera franchie, l’entreprise avancera sur le projet Chloé, la petite citadine qui doit être produite à Gosselies. Cela prendrait à nouveau une année de tests et d’homologation avant de passer à la production. A moins que la production ne démarre simultanément en Chine et en Europe…  » C’est plus risqué mais nous gagnerions une année et pourrions produire à Gosselies dès 2020, dit Renaud Witmeur. Nous pourrions aussi choisir de démarrer à petite échelle, en lançant la Chloé dans une ou deux grandes villes européennes et de monter progressivement en puissance après.  » Cette anticipation du calendrier présenterait l’avantage d’ancrer irrémédiablement la firme chinoise en Wallonie, mais sans plus pouvoir profiter des éventuelles erreurs de jeunesse sur le marché chinois… Les représentants de Thunder Power seront en Belgique en juin. Des décisions quant au calendrier de production de la Chloé pourraient être prises à cette occasion.

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