La défense est-elle l’oubliée des plans de relance?

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Le secteur de la défense ose de plus en plus s’affirmer comme un acteur à part entière de la réindustrialisation de la Belgique. Analyse en trois points avec le patron de WE, l’un des investisseurs du secteur.

Quelque 15.000 personnes travaillent en Belgique dans le secteur de la défense, d’après les données de la fédération de l’industrie technologique Agoria. Un chiffre surévalué disent les uns, pointant le fait que les entreprises concilient souvent les productions civiles et militaires. Un chiffre sous-évalué, rétorquent les autres, insistant sur les fournisseurs, les sous-traitants et les prestataires de services qui gravitent autour du secteur. Retenons donc ces 15.000 emplois, un socle a priori suffisant pour constituer une base industrielle.

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Les initiatives de soutien à la défense se multiplient, en Belgique pour renforcer l’autonomie stratégique et catalyser l’innovation.”

OLIVIER VANDERIJST (WE)

Ce socle n’a pourtant pas attiré les autorités politiques qui n’ont pas inclus de chapitre “Défense” dans leurs différents de plans de relance, contrairement à la France ou, bien entendu, aux Etats-Unis. “Le secteur de la défense est certes important en Belgique et en Wallonie, mais c’est sans commune mesure avec la France, nuance Olivier Vanderijst, président du comité de direction de Wallonie Entreprendre. En 2021, les licences d’exportation belges de ce secteur atteignaient 1 milliard d’euros pour… 130 milliards en France.”

Cela étant, s’il n’y a pas de chapitre spécifique sur la défense dans le plan de relance de la Wallonie, on relève toutefois un appel aux projets de recherche collaborative (trois entreprises, dont au moins une PME) portant sur des innovations susceptibles de “renforcer un écosystème industriel et économique d’entreprises dans le secteur de la défense”. Sept projets, impliquant des grands noms comme John Cockerill, FN Herstal, Thales ou Safran Aero Boosters ont été retenus dans ce cadre.

1. Défense et industrie se rapprochent en Europe

Les choses commenceraient-elles à bouger? “Depuis plusieurs années, les initiatives de soutien à la défense se multiplient, en Belgique comme en Europe ou via l’Otan, pour renforcer l’autonomie stratégique et pour catalyser l’innovation, la collaboration et l’investissement, répond Olivier Vanderijst. C’est presque une application de la théorie de la mission formulée par l’économiste Mariana Mazzucato.” La mission en question, c’est celle d’Apollo et de l’envoi d’hommes sur la Lune, en combinant les efforts publics et privés.

De fait, nous avons vu émerger le Fonds européen de la Défense (8 milliards investis dans des projets de recherche, impliquant une quarantaine d’entreprises belges), le Fonds Otan (1 milliard dans des start-up utilisant l’intelligence artificielle, l’analyse de données ou les matériaux innovants à des fins civiles et militaires), l’accélérateur d’innovation de l’Otan auquel participeront A6K et l’incubateur WSL, la DIRS (Stratégie de recherche de l’industrie de la Défense du gouvernement fédéral) qui prévoit 1,8 milliard d’euros d’ici 2030, notamment pour développer les munitions du futur, etc.

“Ces initiatives avaient démarré avant la guerre en Ukraine et elles sont devenues plus évidentes depuis, poursuit le patron de WE. Elles s’inscrivent aussi, bien entendu, dans les objectifs de réindustrialisation. Ce n’est peut-être qu’une toute petite pierre pour l’industrie, mais en matière de cybersécurité ou d’intelligence artificielle, la défense élargit le spectre.” L’occasion de rappeler que la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) entend bien travailler avec le secteur privé pour nourrir la nouvelle composante Cybersécurité de l’armée belge, y compris avec des échanges de personnel.

2. Le mouvement pourrait s’amplifier

Un mouvement semble enclenché et les premières retombées en sont peut-être les annonces récentes de l’implication de Coexpair (PME namuroise spécialisée dans les matériaux composites destinés à l’aviation) dans des programmes de recherche des groupes américains Lockheed Martin (avions de combat) et General Atomics (drones), de l’accord entre Sonaca et Orizio pour contribuer ensemble à l’avion de chasse de sixième génération ou, il y a quelques mois, de l’intégration de la Sonaca dans le consortium de développement d’un intercepteur de missiles hypersoniques.

Selon Olivier Vanderijst, une initiative comme la DIRS peut accentuer le mouvement, en favorisant le dialogue entre l’armée, l’industrie et la recherche. “Cette nouvelle dynamique devrait permettre à notre industrie de la défense d’avoir des références sur son marché domestique, ajoute-t-il. C’est vrai pour tous les secteurs, quand une industrie n’a pas de référence sur son marché, ça peut l’affaiblir dans les discussions commerciales avec des clients étrangers.”

Des fleurons comme FN Herstal ou John Cockerill ont souvent regretté un manque d’attention à leur égard dans les commandes militaires ou plus largement des forces de l’ordre. FN Herstal avait, par exemple, perdu le contrat d’équipement de la police fédérale en pistolets mais gagné celui de la police de Los Angeles.

“On se rend compte que la Défense est un acteur économique à part entière, poursuit Olivier Vanderijst. Comme donneuse d’ordres, elle peut orienter certaines tendances industrielles. Car finalement, la politique industrielle, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, c’est certes un soutien de l’offre par des appels à projets ou des financements. Mais aussi une action sur la demande par les achats des pouvoirs publics ou par la politique de normalisation.” Il cite l’exemple de l’écosystème des start-up en Israël qui a pu se développer, notamment grâce aux commandes de l’armée israélienne et aux collaborations avec elle.

3. Mais les banques hésitent à l’accompagner

Wallonie Entreprendre est l’actionnaire unique de FN Herstal. Il détient aussi une participation dans New Lachaussée, un producteur d’outils de fabrication de munitions. Ce sont les deux seuls pure players du secteur de la défense, dans lesquels il a investi. L’invest wallon est aussi présent dans une série d’entreprises qui travaillent notamment pour le secteur de la défense. Les plus connues sont sans doute Sonaca et Safran, mais il y a également des sous-traitants technologiques comme Mecaspring ou Castingpar. “Nous sommes aussi actionnaires d’Euranova, une société spécialisée en analyse de données et en intelligence artificielle, et qui développe un partenariat de recherche avec la FN”, précise Olivier Vanderijst.

L’investissement dans des entreprises d’armement a-t-il encore tout son sens à l’heure des normes ESG? Les banques rechignent de plus en plus à financer le secteur, cela vaut-il pour les investisseurs publics du type de Wallonie Entreprendre?

“Nous n’avons pas eu de dossier concernant la défense récemment mais, oui, c’est un vrai débat, répond le président du comité de direction. Beaucoup d’investisseurs excluent des secteurs tels l’armement, le tabac ou les jeux. J’ai quand même l’impression que, suite au conflit ukrainien, la nécessité d’une industrie de la défense apparaît à tous. Si ce secteur est nécessaire, pourquoi hésiter à le financer? Je constate que, dans d’autres pays, en France notamment, les banques sont plus volontaristes sur le sujet et que cela peut constituer un désavantage compétitif pour les acteurs belges de l’industrie de la défense. Ces entreprises n’ont pas seulement besoin de financement, elles ont aussi besoin de garanties bancaires et des différents services que peut offrir l’écosystème financier. Mais je pense que les choses pourraient évoluer favorablement.”

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