Philippe Ledent

Il n’y a pas de vaccin contre la guerre

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La guerre en Ukraine risque de modifier pour longtemps les relations géopolitiques mondiales, et donc les relations économiques.

Dès le début de la pandémie de covid comme de la crise financière, beaucoup se sont mis à réfléchir au “monde d’après”. Comme j’ai déjà pu l’écrire il y a deux ans, je n’ai jamais adhéré à cette idée, qui procède davantage du wishfull thinking que d’une représentation de la réalité. Car une économie évolue tout le temps, le changement vers “un monde d’après” est permanent. Et la crise peut au maximum agir comme un accélérateur d’évolutions et de ruptures déjà en place. Ce fut le cas pour le covid: la digitalisation, l’e-commerce ou le télétravail ne sont pas les produits de cette crise. Ils ont simplement été accélérés par celle-ci.

Pour le reste, et contrairement à ce que certains pensaient il y a deux ans, on ne peut pas dire qu’un re-shoring massif ait été observé. Les échanges mondiaux ont déjà dépassé leur niveau d’avant la crise. Et ni les problèmes logistiques, ni les coûts de transport multipliés par cinq, ni les productions perturbées par des foyers de covid ou par des coupures d’électricité en Chine ne nous ont massivement détournés de leurs produits. Oui, bien sûr, on trouvera des situations qui contredisent ce que je viens d’écrire. Mais il s’agit plutôt de cas isolés et non d’un mouvement de grande ampleur. Bref, le monde post-covid poursuit son évolution permanente, sans révolution.

Tout ceci s’applique-t-il au choc que nous sommes en train de vivre? Il est encore trop tôt pour répondre à ces questions. La situation peut évoluer dans de multiples directions. Ceci étant, on ne peut pas exclure qu’il y ait bien, cette fois, un “monde d’après”, au sens d’une rupture profonde provoquée par la crise. Nous sommes en effet potentiellement face à un choc permanent pour l’économie mondiale et face à une rupture des conditions de son fonctionnement, sans qu’il ne soit possible de revenir en arrière.

Lorsque le marché immobilier américain s’est effondré, provoquant une perte de confiance globale sur des centaines de milliards d’actifs financiers, on savait que la crise s’arrêterait à un moment. Les prix n’allaient pas tomber à zéro. Il y aurait forcément un point d’arrêt, permettant à l’économie de repartir… De même, aussi fort qu’ait été le choc du grand confinement de 2020 pour les économies, il était peu probable que le virus du covid nous gâche la vie pour une décennie. Et on ne remerciera jamais assez la science pour cela… Mais lorsqu’il s’agit de la guerre en Ukraine, force est de constater qu’elle risque de modifier pour longtemps les relations géopolitiques mondiales, et donc les relations économiques. Cette fois, on ne peut pas espérer que, subitement, un vaccin vienne nous permettre de “revivre comme avant”.

La mondialisation est peut-être bel et bien morte. L’organisation du commerce international mais aussi des processus de fabrication, fondée sur le multilatéralisme, laisserait alors la place à un monde polarisé où les échanges sont concentrés entre les membres d’un même bloc et où ces blocs se regardent en chiens de faïence. On parlera alors vraiment de re-shoring et d’indépendance économique. Mais on n’aura probablement pas fini de parler d’inflation et de problèmes d’approvisionnement: la démondialisation n’est pas nécessairement quelques chose de positif…

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