Hydrogène vert: une source d’énergie du futur, mais pas encore la panacée

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Charly Pohu Journaliste

Le 14 octobre, le permis d’environnement a été donné pour une usine d’hydrogène vert. Une première sur l’ensemble du Benelux.

Qu’est-ce que l’hydrogène vert? Quelles seront ses fins d’utilisations? Quelles sont les limites de ce gaz qui ne produit pas d’émissions de gaz à effets de serre? Pourquoi préférer des usines de petite taille? Explications avec des experts.

Vlissingen / Flessingue. Le long de l’Escaut, à hauteur de son embouchure dans la Mer du Nord. C’est dans cette localité dans la province néerlandaise de Zeeland, à une vingtaine de kilomètres de la frontière belge, qu’une usine d’hydrogène vert va voir le jour, mais une date , n’est pas encore connue, selon le porte-parole de Sweco Geert Cools. L’autorité compétente a donné le permis d’environnement à la société de conseil en ingénierie Sweco, à la demande de VoltH2.

Pour Joris Proost, professeur en génie des matériaux et procédés à l’UCLouvain et représentant de la Belgique au sein de la commission technique pour l’hydrogène auprès de l’Agence internationale de l’Energie, le choix d’emplacement de l’usine est bien réfléchi. “Il y a un parc éolien offshore non loin, qui va alimenter la production. Il y a aussi des entreprises qui transforment de l’hydrogène qui sont dans les environs, comme Yara à Sluiskil à côté de Terneuzen, qui pourra immédiatement avoir l’hydrogène pour en faire de l’ammoniac. De plus, il s’agit d’une usine à 25 megawatt, ce qui est la taille idéale.”

Voici, résumée en trois points, toute la problématique de l’hydrogène. Décortiquons.

Hydrogène “vert”

L’hydrogène, de son doux nom chimique appelé H2, est produit sous différentes méthodes, qui ont reçu différentes appelations: le vert, le bleu, et le gris. Joris Proost et Francesco Contino, professeur en énergétique à l’UCLouvain, nous expliquent.

L’hydrogène dit “vert” est issu de l’eau – H2O, hydrogène et oxygène, de par sa composition chimique. Cette eau n’est pas de l’eau classique, mais de l’eau purifiée, à laquelle on ajoute des acides ou des bases pour une meilleure conductivité. L’eau entre dans un électrolyseur, où elle est excitée par deux pôles électriques, appelées électrodes: l’un produit alors l’hydrogène, et l’autre l’oxygène, et tous deux peuvent être récupérés sous forme de gaz, oui ou non pressurisés.

L’appellation “vert” s’applique par effet de mimétisme, sur l’énergie verte. “Actuellement, les électrolyseurs sont en général branchés “sur le réseau”. C’est donc la qualité “vert” du réseau qui détermine le caractère “vert” de l’hydrogène”, explique Joris Proost. L’engagement des usines futures est alors de se brancher sur des réseaux d’énergie renouvelable. “Actuellement, il n’y a quasi pas d’usines d’hydrogène vert”, ajoute encore Francesco Contino.

Au gré des vents et des marées (et des rayons de soleil), l’énergie verte est une des limites de la production. Faute de vent ou de soleil, la production sera contrainte de ralentir, et restera dépendante de ces éléments.

Pour avoir l’hydrogène qu’on qualifie de gris ou de bleu, un autre procédé est utilisé. L’hydrogène est issu du méthane, un gaz naturel – CH4, carbone et hydrogène, de par sa composition chimique. “Le procédé s’appelle le vapo-réformage”, explique Joris Proost. Le gaz est chauffé à haute température, pour libérer l’hydrogène, pour casser la molécule. Le hic: pour produire une tonne d’hydrogène de cette manière, l’on va émettre huit à neuf tonnes de CO2. Voilà pour l’hydrogène “gris”. L’appellation “bleu” s’applique lorsque des procédés interviennent, dans la même production, pour capter le dioxyde de carbone, afin de le transformer ou de le stocker ; pour ne pas le lâcher dans la nature.

Quelle utilisation?

“L’industrie consomme des grandes quantités d’hydrogène”, explique Francesco Contino. Un des produits principaux est l’ammoniac (hydrogène + azote), utilisé à différentes fins, notamment pour des engrais. L’hydrogène est utilisé pour la production de certains plastiques aussi.

Et pour la mobilité? D’aucuns voient l’hydrogène comme le carburant du futur. Actuellement, la part des voitures à hydrogène est encore marginale ; l’électrique semble pour l’heure plus mis en avant par les décideurs politiques. Le prix des voitures à hydrogène est également encore assez élevé. Pour avoir un ordre de grandeur, un kilo d’hydrogène permettrait à une voiture de faire 100 km.

Pour les poids lourds, les moteurs à batterie électrique semblent être une option impossible ; où des moteurs avec des piles à combustion tournant à l’hydrogène semblent une alternative viable. Toujours en termes de mobilité, l’ammoniac est à l’étude pour devenir le carburant futur pour bateaux à conteneurs – en tenant compte de la toxicité de ce produit.

Ensuite, il faut encore acheminer l’hydrogène de l’usine jusqu’à l’usine d’ammoniac ou la station de recharge pour voitures.

Le problème du stockage et du transport

“Il s’agit d’une grosse problématique”, explique Francesco Contino. “On peut l’avoir comprimé, en bouteilles, à 350 ou 700 bars, comme on l’utilise respectivement pour les bus ou les voitures. Il s’agit d’une pression énorme.” Le risque d’explosion existe également, mais est maîtrisé. Sous forme liquide, le gaz doit être et rester constamment à faible température: -200 degrés Celsius, ce qui représente un souci logistique.

Il est compliqué aussi de le transporter dans des gazoducs prévus pour le gaz naturel, par exemple, car l’hydrogène est beaucoup plus léger, pas très dense, et peut alors rester dans des trous et recoins. De plus, il a beaucoup moins d’énergie et avance donc moins bien dans les tuyaux”, ajoute encore Francesco Contino.

Pour Joris Proost, le problème est aussi d’ordre symbolique: il serait contradictoire de créer de l’hydrogène vert, sans émettre de gaz à effet de serre, pour ensuite le transporter loin, avec des camions. Il opte alors pour une autre solution: installer des électrolyseurs à de nombreux endroits stratégiques.

Quelle taille d’usine?

Joris Proost plaide pour dépasser le cliché de la grande usine de productions, d’où partent grand nombre de livraisons, dans toutes les directions (comme c’est le cas pour l’hydrogène bleu/gris). “Il faut installer les électrolyseurs là où il y a des besoins, directement.” Il donne l’exemple d’une société de transport. Un électrolyseur, branché à une seule éolienne, peut produire assez d’hydrogène pour alimenter 20 à 40 bus, en fonction du vent.

“Le Green Deal européen prévoit de construire des usines à hydrogène vert, pour une production totale de 40 gigawatt. Au lieu de construire 40 usines à un gigawatt, il vaut mieux en faire 2000 à 20 megawatt, et les installer là où le besoin se trouve“, souligne-t-il encore, en ajoutant que c’est également la ligne que la Belgique défend au sein de l’Agence internationale de l’Energie.

De l’hydrogène pour de l’électricité – une mauvaise idée

Une idée qui existe est d’utiliser l’hydrogène pour fabriquer de l’électricité. En d’autres mots, brûler de l’hydrogène pour faire tourner une turbine, qui crée de l’électricité, le même procédé que pour les centrales à gaz ou à charbon. Une idée qui laisse nos deux chercheurs perplexes.

“Utiliser de l’électricité pour créer de l’hydrogène, pour ensuite brûler de l’hydrogène pour créer de l’électricité, ça me semble en effet une mauvaise idée. Sauf si par moments, vraiment, il y avait un surplus”, estime Joris Proost. Il pense aux limites de l’énergie verte, un défi de taille pour la production d’hydrogène vert. Instabilité des vents et du soleil, et moins d’énergie que les ressources fossiles. Il faudrait alors déjà arriver à combler toutes les demandes des autres secteurs avant de pouvoir penser à produire de l’électricité.

Francesco Contino estime que la capacité à produire de l’électricité, pour une même quantité de gaz, est également moindre pour l’hydrogène. “Il faut d’abord remplacer tous les éléments qui sont produits avec de l’hydrogène gris, avec de l’hydrogène vert, avant de vouloir faire de l’électricité”, analyse-t-il.

De nombreuses voix pointent l’hydrogène, surtout vert, comme un élément de taille pour contribuer à diminuer les gaz à effet de serre, qui restera dans les décennies à venir le défi principal des sciences comme des politiques.

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