Guerre en Ukraine: “Il y aura un avant et un après dans nos relations économiques avec la Russie”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Gérard Seghers, conseiller commercial à Moscou, exprime son inquiétude. Et précise: “En Russie, il y a des appels à une certaine modération par rapport à ce qui se passe en Ukraine, bien sûr. Le monde des affaires n’est jamais content d’une guerre.”

Gérard Seghers est conseiller économique et commercial de l’Awex à Moscou. Joint par visioconférence depuis la capitale russie, il évoque les relations commerciales entre la Russie et la Belgique et leur dégradation annoncée avec la guerre en Ukraine.

Comment vivez-vous ces moments particuliers à Moscou ?

Nous ne sommes pas à Kiev. Dans les rues de Moscou, aujourd’hui, on a le sentiment de la normalité : nous vivons dans une ville assez prospère, les magasins et les restaurants sont remplis, les gens prennent le métro, vont au boulot… Mais il est vrai que dans mon quartier, au centre-ville près de la place Pouchkine, il y a eu jeudi soir une manifestation réunissant tout de même près d’un millier de personnes pour protester contre la guerre en Ukraine, malgré les avertissements du pouvoir et l’interdiction. Il y a eu beaucoup d’arrestations. C’est une situation particulière.

Par rapport à votre travail, comment gérez-vous cela ?

Quand vous travaillez à la section commerciale de l’ambassade belge à Moscou, je peux vous dire qu’une guerre, ce n’est jamais bon. Cela impacte très clairement notre mission. Nous avons le sentiment que cette situation extrêmement désagréable va avoir un impact sur la longue durée. Il y aura un avant et un après : quelque chose va changer entre l’Europe et la Russie, y compris dans les relations économiques. Nous sommes évidemment dans l’émotion du moment, à raison d’ailleurs, dans le vif de la blessure pour l’Ukraine, mais cela va inscrire un basculement à long terme.

Ce sont des relations qui étaient prometteuses ?

Il faut évidemment remettre la taille des échanges entre les deux pays dans leur contexte. Nous parlons d’un niveau d’exportations et d’importations relativement modeste par rapport à l’ensemble. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente 7 milliards d’euros chaque année d’importations de produits essentiellement énergétiques pour près de 40%, du diamant traité à Anvers pour environ 20%, des produits sidérurgiques spécifiques pour 20% aussi… Inversement, nos exportations représentent bon an mal an quelque 4 milliards d’euros, ce qui n’est pas un chiffre très important. Mais on peut s’attendre un impact important, c’est évident.

Quel sera l’impact des sanctions qui ont été décidées ?

Il est trop tôt pour en juger. Ce qui est annoncé tant du côté américain qu’européen, parce que les sanctions des deux côtés nous concernent, va clairement toucher les produits technologiques, notamment des entreprises belges travaillant sur des logiciels. Les sanctions concernant le monde financier, dont VTB Bank qui est la deuxième banque du pays, auront aussi un impact, de facto, sur nos relations. Ce seront des effets sélectifs, mais l’ensemble des exportations belges vers la Russie va être touchée par la faiblesse brutale du rouble. C’est un impact majeur de ce qui se passe, malgré les interventions massives de la Banque centrale russe qui dispose d’une réserve de devises colossale – on parle de 630 milliards de dollars. Beaucoup d’exportateurs belges vers la Russie sont nerveux.

Il y aura aussi un impact pour la Belgique dans son ensemble au niveau des coûts de l’énergie : si la Belgique n’est pas directement dépendante du gaz russe, on a toutefois une exposition au prix du gaz et du pétrole qui est réelle à travers les marchés mondiaux. Cela aura un impact considérable pour beaucoup d’industries. Une autre incertitude concerne le transport et la logistique. On évoque aussi la possibilité de couper le réseau interbancaire Swift, ce qui est quelque chose d’assez effrayant.

Les Russes avaient anticipé ces sanctions, non ?

C’est évidemment ce qui est discuté aujourd’hui dans toutes les chancelleries : quel sera l’impact réel des sanctions annoncées sur les décisions du Kremlin? Je dois vous avouer qu’à ce stade-ci, on a le sentiment que l’on est, à Moscou, au-delà de ce type de considération au moment de prendre des décisions au sujet de l’Ukraine.

Cela ne veut pas dire que ce n’est pas suivi avec attention. Le monde des affaires russe est très nerveux, il y a eu une réunion importante jeudi au Kremlin avec des acteurs importants qui ont exprimé leur inquiétude. Derrière cette façade d’unité, il y a des appels à une certaine modération par rapport à ce qui se passe en Ukraine, bien sûr. Le monde des affaires n’est jamais content d’une guerre, sauf ceux qui travaillent dans la défense.

Vous devez gérer les relations avec les milieux économiques russes?

Les annonces de Monsieur Sammy Mahdi, secrétaire d’Etat à la Migration, au sujet du fait qu’une interdiction générale des visas ne devrait plus être un tabou, ont été abondamment relayées ici à Moscou, à travers des agences de presse proches de l’Etat. J’ai reçu de nombreux appels de Russe se demandant s’ils pourraient encore se rendre en Belgique – j’ai notamment eu le cas d’un investisseur travaillant en Belgique dans le domaine des sciences du vivant et qui souhaite s’y installer. Oui, il y a une inquiétude réelle. J’ai par ailleurs des entreprises belges qui me contactent pour connaître l’impact des sanctions. Cela crée un climat d’incertitude des deux côtés.

Il y aura un avant et un après, dites-vous. Avez-vous le senetiment que c’était un marché prometteur, avec des enteprises qui misaient là-dessus?

Certains grands groupes industriels belges ont effectivement investi ici avec un certain succès. Dans la sous-traitance automobile, par exemple, ils profitent de coûts moins importants, ils sont protégés s’ils travaillent en rouble par ce qui se passe au niveau du marché des changes. Ceci dit, quand on voit l’impact potentiel de la situation actuelle sur l’économie russe dans les années à venir, on risque en effet d’avoir un marché qui ne sera plus en croissance, voire en récession, alors qu’il était en extension. Ce pourrait être moins intéressant, en effet.

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