Un électrochoc, avec le PS dans l’opposition?

Le contexte budgétaire imposera de sérieux sacrifices après le scrutin du 9 juin 2024. © Getty Images
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le président socialiste Paul Magnette n’exclut pas une cure d’opposition après le scrutin du 9 juin 2024. Un positionnement stratégique face à la N-VA, ou une manière de reculer face à un obstacle budgétaire dantesque. Mais au fond, pourra-t-on vraiment se passer des socialistes?

“Franchement, nous nous sommes tous demandé pourquoi il avait fait cette sortie…” Thierry Bodson, président de la FGTB, n’en revient toujours pas. Le leader du syndicat socialiste s’est posé bien des questions après cette interview de Paul Magnette, président du PS, dimanche 28 mai à la télévision: “Je ne vais pas au pouvoir juste pour le plaisir d’y aller. Il faut un projet et pouvoir réaliser des choses. Sans cela, je n’exclus pas d’aller dans l’opposition”.

“Sans doute est-ce un positionnement stratégique alors que l’on évoque sans cesse, dans les médias, un dialogue avec la N-VA, analyse Thierry Bodson. C’est une façon de dire qu’il ne montera pas dans une majorité à tout prix, a fortiori si la famille socialiste est la première du pays et si le PS est incontournable.”

Une autre hypothèse, non avouée, serait une façon pour le PS d’échapper à un contexte budgétaire dantesque au début de la prochaine législature. “La première année, on devra économiser entre cinq et dix milliards d’euros”, détaille Giuseppe Pagano, professeur émérite à l’UMons et spécialiste de la dette. “Précisément, dans ce cas, je ne vois pas comment on pourrait faire sans le PS car un grand pacte socioéconomique s’imposera”, estime l’économiste Bruno Colmant (ULB, UCLouvain). Revue de ces enjeux politico-économiques d’une importance déterminante…

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Ce serait difficile d’imaginer, après le scrutin de 2024, que les deux principaux partis du pays ne soient pas de la majorité fédérale.” THIERRY BODSON (FGTB)

“Un lien N-VA – PS logique”

Pour justifier son étonnement au sujet de cette possible cure d’opposition du PS, Thierry Bodson évoque tout d’abord la piste la plus plausible pour l’après 2024, au vu du rapport de forces actuel: “Ce serait difficile d’imaginer, après le scrutin de 2024, que les deux principaux partis du pays ne soient pas de la majorité fédérale, explique le syndicaliste. Que l’on aime ou pas la N-VA, là n’est pas la question. Il est vraisemblable que des contacts plus ou moins importants aient lieu entre PS et N-VA. Qui plus est, pour un parti, il est toujours plus facile de rester aux affaires que d’en sortir, ne fût-ce que pour le personnel engagé. J’ai donc du mal à comprendre la stratégie de Paul Magnette”.

Sauf s’il s’agit effectivement d’une stratégie calculée visant à rassurer les électeurs sur le fait qu’une alliance avec la N-VA n’est pas une fatalité, tout en mettant en évidence la volonté socialiste de peser sur le cours des choses. En clair: avec nous, pas de dérive confédérale, ni de bain de sang social. Le PS pourrait, ce faisant, se faire désirer alors qu’il risque d’être tout simplement… indispensable mathématiquement: l’éclatement des voix et la montée des extrêmes risquent de nécessiter davantage que sept partis, comme c’est le cas dans la Vivaldi actuelle.

“La déception Vivaldi”

“Cela dit, on ne va pas se le cacher: pour nous, FGTB, le résultat de la Vivaldi est mitigé, prolonge son président. Pour le dire de façon diplomatique, nous n’avons pas l’impression que les travailleurs en ont vraiment bénéficié. Il y a bien eu l’augmentation de la pension minimum ou un refinancement structurel de la Sécu, mais le bilan se mesure surtout à ce à quoi ils ont échappé. C’est étonnant de voir à quel point la droite – les deux partis libéraux et le CD&V – ont réussi à marquer des points dans un gouvernement où ils ne sont pas majoritaires.”

Pour Thierry Bodson, la remise en cause du droit de grève par le projet du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), sur les sanctions visant à lutter contre les “casseurs” est une “déclaration de guerre”. De même, les travailleurs regrettent que le traitement des allocataires sociaux durant la crise du covid ait été moins intéressant fiscalement que le droit passerelle des indépendants. Voilà ce que l’on rumine dans les syndicats. Sous-entendu: le PS n’a pas été assez ferme durant cette législature. “Georges-Louis Bouchez, président du MR, bloque la réforme fiscale pour protéger les riches et obtenir un chômage à durée limitée”, illustre encore Thierry Bodson.

Au sein du monde socialiste, reconnaît le syndicaliste, certains se disent aujourd’hui qu’aller au pouvoir pour obtenir un bilan comparable à celui de la Vivaldi, cela ne vaut pas la peine. Certains seraient même enclins à dire qu’il ne serait pas inutile de tirer la prise pour éviter de nouvelles “agressions” venues de droite. Cela grogne. Et cela risquerait de s’irriter d’autant plus fort que le contexte budgétaire imposera de sérieux sacrifices après le scrutin du 9 juin 2024. Une raison objective pour le PS de ne plus prendre ses responsabilités?

“Cinq à dix milliards”

“Que ce soit clair, je ne sais pas ce que Paul Magnette compte faire et je ne sais pas dans quelle mesure ce contexte budgétaire influencerait sa décision.” Ce préambule posé, le professeur émérite Giuseppe Pagano, référence en la matière au sein de l’UMons, ne se voile pas la face: “L’effort budgétaire à accomplir sera conséquent au début de la prochaine législature. On parle d’un montant de cinq à dix milliards d’euros la première année. Une politique budgétaire plus restrictive, de désendettement, va s’imposer. Et cela ne tient pas compte du fait que plusieurs dépenses vont augmenter de façon substantielle durant la même période, celles relatives au vieillissement de la population, les efforts en matière de défense dans un contexte géopolitique tendu, sans oublier les mesures à prendre en matière climatique.” Gérable? Oui, mais moyennant de sérieux sacrifices.

Tout dépendra bien sûr du nouveau cadre budgétaire en gestation au sein de l’Union européenne, précise Giuseppe Pagano. Mais un tour de vis est garanti. “La clause dérogatoire générale, en vertu de laquelle on n’appliquait plus les critères de Maastricht, se termine le 31 décembre 2023, explique l’économiste. Cela signifie qu’à partir de 2024, on revient dans le cadre antérieur, en ce compris le fétiche d’une dette à 60% du PIB. Plusieurs pays étant loin du compte – la France est à 120% et la Belgique à 105% – , cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais il y aura une pression de la Commission pour que les pays réduisent leur endettement, en tenant compte du rapport dette sur PIB, et les sanctions seront de retour. Le tout sera de voir à quel rythme ce désendettement sera exigé. Les économies à réaliser dépendront aussi de notre taux de croissance.”

Une certitude: la pilule sera amère. “Ce sera incontestablement un enjeu majeur de la prochaine législature, acquiesce le professeur montois. Entre nous, ce n’est pas nécessairement une nécessité économique immédiate parce que le taux qui s’applique à la dette reste nettement moins important que dans les années 1990 et que l’inflation élevée contribue à la grignoter. Il faut arrêter de faire peur aux gens et parler de faillite: c’est loin d’être le cas. Mais on ne sait pas si cette situation va durer et il faut s’y préparer.” Pour le PS, ce n’est pas une perspective joyeuse.

Risque de tsunami

La volonté de mener des réformes structurelles en matière de fiscalité, d’emploi ou de pensions reste au menu de la Vivaldi et un accord reste possible cet été. Ces ambitions de la majorité sont toutefois malmenées par les positionnements des partis, les luttes d’ego et une campagne électorale ayant débuté un an avant le scrutin de 2024. La montagne risque d’accoucher d’une souris. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, ne cache plus son désir de porter sur les fonts baptismaux, après les élections, une coalition plus cohérente de centre-droit avec la N-VA. Objectif? Réformer plus en profondeur.

Bruno Colmant
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Je ne peux pas imaginer le PS dans l’opposition à l’heure de mettre en œuvre une réforme fiscale ou des pensions.” BRUNO COLMANT (ULB, UCLOUVAIN)

“Quand on réfléchit bien, il me semble difficile d’avoir une refondation du pacte socioéconomique régissant notre pays sans avoir les deux principales familles politiques à bord, estime l’économiste Bruno Colmant, professeur à l’UCLouvain et l’ULB. Or, cela me semble indispensable de mener à bien cette transformation, qui ne pourra plus qu’être esquissée durant cette législature. Je ne peux pas imaginer le PS dans l’opposition à l’heure de mettre en œuvre une réforme fiscale ou des pensions.”

La négociation d’un pacte socioéconomique renouvelé est d’autant plus vitale qu’un tsunami risque de submerger notre économie, prolonge Bruno Colmant. “L’intelligence artificielle va démanteler des pans entiers de notre économie, craint-il. On le voit déjà aux Etats-Unis où de nombreuses entreprises sont en train de restructurer. Cela pose la question du juste partage des gains de la productivité. L’économie numérique, combinée à l’intelligence artificielle, s’approprie les gains de productivité de l’économie des services, tout comme la délocalisation industrielle l’avait fait pour l’industrie manufacturière. Dans cette économie basée sur les flux plutôt que sur les stocks, il y a un danger de réduire la valeur du travail à une prestation physique de moindre valeur ajoutée.”

Toute réforme devra tenir compte de cette évolution, selon lui. “Il faut repenser les choses en profondeur. C’est LA question cruciale: comment va-t-on être taxé à l’avenir ? Va-t-on s’en prendre aux robots ? Via les entreprises qui les utilisent ? Il faut tout le monde à bord pour repenser de la sorte notre contrat social, comme cela avait été le cas après-guerre ou dans les années 1980. D’autant qu’il ne faut évidemment pas oublier le défi climatique, plus brûlant que jamais.” Or, jusqu’ici, la Belgique version 2023 peine à être à la hauteur des enjeux.

Confédéralisme: oui ou non?

En toile de fond se pose inévitablement la question institutionnelle, dans notre pays de plus en plus complexe. “On ne trouvera jamais aucun accord à ce sujet avec la N-VA”, soulignait Paul Magnette au moment d’évoquer la cure d’opposition, comme pour exorciser les longues discussions de l’été 2019 avec Bart De Wever. “Il y a une part de stratégie dans ces propos, c’est sûr, mais il ne faut rien exclure, analyse Bruno Colmant. Peut-être qu’une part de cette réforme majeure passera par une dose supplémentaire de fédéralisme.”

Ancien patron de la FGTB wallonne, régionaliste wallon convaincu mais désormais à la tête du syndicat national, Thierry Bodson confie: “Cette perspective d’une autonomie accrue, cela ne vit pas du tout au sein de la FGTB, même pas dans notre courant régionaliste. Si le prix à payer est une déstructuration de la sécurité sociale pour obtenir quelques avancées en matière de politique économique, cela ne nous intéresse pas.”

Le PS dans l’opposition? Après tout, l’après-élections en 2024 risque surtout de se caractériser par un long blocage et un jeu de dupes à l’issue duquel tous les partis participeront à la majorité fédérale en raison du score des extrêmes. A la clé, une nouvelle période d’inertie…

Retrouvez l’ensemble des articles de notre dossier “L’avenir de la Belgique se joue en 2024”

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