Bernard Keppenne (CBC) : “Le monde politique belge ne prend pas la pleine mesure des défis actuels” 

Karine Lalieux (Pensions, PS), David Clarinval (Classes moyennes, MR), Alexander De Croo (Open VLD), Pierre-Yves Dermagne (Economie et Emploi, PS) et Frank Vandenbroucke (Affaires sociales, Vooruit). © Belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

“La situation de la Belgique est extrêmement dramatique, dit Bernard Keppenne, le chief economist de CBC. En outre, comme nous entrons dans une année électorale, plus rien ne va bouger.” Un carton rouge, au cœur d’une Europe qui résiste pourtant bien, un an après le début de la guerre en Ukraine.

Bernard Keppenne est chief economist de CBC. Il tire les leçons économiques, un an après le début de la guerre en Ukraine.

A-t-on, tant bien que mal, mieux résisté que prévu ? La croissance demeure, bien que réduite, et le prix de l’énergie a diminué…

Bernard Keppenne: Très clairement. Même s’il faut bien distinguer l’Europe, les Etats-Unis et la Chine. L’Europe a extrêmement bien résisté parce qu’elle a été capable, assez rapidement finalement, de trouver des pistes de diversification pour son énergie. C’est pour cela que le prix du gaz est revenu aujourd’hui à son niveau du mois d’août 2021. Cette capacité de réaction européenne est un élément extrêmement positif. C’est en grande partie cela qui explique le regain de confiance auquel on assiste. Le deuxième élément, c’est que les gouvernements ont encore joué leur rôle. En bien ou en mal, on peut disserter à ce sujet, parce que cela pose le problème de l’endettement des Etats, en plus du fait que c’est aussi un facteur inflationniste, ce qui n’est pas toujours positif, mais au niveau de la croissance, cela a joué son rôle.

Aux Etats-Unis, malgré les hausses de taux, on a un marché de l’emploi qui reste extrêmement robuste, ce qui soutient la consommation. Les aides du gouvernement y ont également contribué. C’est pour cela que l’on a une résistance de l’économie américaine qui a été bien meilleure que prévu.

Et puis on a l’Asie, en particulier la Chine, où l’on a eu une très mauvaise année en termes de croissance puisque la Chine a réalisé un taux de 3%, ce qui est un des pires jamais connus. C’est la résultante de la politique zéro Covid et la sortie de cette politique donne de l’espoir, même si l’on sait que cette reprise de l’activité va être freinée par le marché immobilier et un ralentissement global de l’économie.

La conjonction de tout cela fait que l’on va probablement éviter la récession au niveau mondial.

Le résultat de cette guerre n’est-il pas une forme de démondialisation et de repli des économies sur elles-mêmes ? Cela pourrait-il avoir un impact à plus long terme ?

Il y a énormément d’impacts attendus à plus long terme. En Europe, la guerre en Ukraine et la crise du Covid ont mis en évidence la nécessité de réduire notre dépendance vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Il s’agit de diversifier les sources d’approvisionnement. Cela nous oblige aussi à repenser à une recentralisation de la production en Europe et ne pas croire que la solution viendra des Etats-Unis.  La réponse européenne à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden sera fondamentale. Sous un couvert de mesures anti-inflationniste, on parle davantage d’un retour du protectionnisme. La dépendance que nous avons par rapport aux Etats-Unis pour un certain nombre de technologies n’est pas tenable sur le long terme.

Le deuxième élément fondamental, qui n’a rien avoir avec l’Ukraine, c’est que 2022 est l’année la plus chaude que l’on ait jamais connue, on ne doit pas l’oublier, et l’Europe est particulièrement affectée par la remontée des températures : notre réponse à ce défi climatique doit être beaucoup plus rapide. Le Green Deal européen prend tout son sens et la position européenne, qui est peut-être avant-gardiste, ne doit pas être naïve, mais doit rester dans cette logique.

Il y a énormément de changements à gérer.

Les tensions géopolitiques induisent des changements majeurs, mais il ne faut pas oublier la lame de fond ?

Exactement. On peut évidemment comprendre la préoccupation au sujet de la guerre et quand on entend le discours de Poutine, il y a de quoi s’inquiéter d’une fuite en avant. Mais sans nier la souffrance du peuple ukrainien, nous faisons face à un autre défi plus important encore. Si on ne le prend pas à bras-le-corps aujourd’hui, il sera encore beaucoup plus dramatique que la guerre en Ukraine.

Et la Belgique dans tout cela ? Nous sommes un pays complexe, qui doit se réformer… Nos perspectives sont-elles encourageantes ?

Je n’ai pas une vision très positive sur la Belgique et sur 2022. Le gouvernement n’a pris que des mesures de saupoudrage, qui ne sont pas ciblées : elles ne sont pas efficaces et ne réduisent pas les inégalités sociales. On a aggravé le déficit budgétaire alors que l’on devait, au contraire, tout faire pour l’éviter. On ne prend pas la pleine mesure sur la nécessité d’une réforme de l’Etat. Avec les discussions qui sont en train de s’enliser au sujet de la réforme des pensions, on pourrait même ne pas bénéficier des fonds européens qui sont pourtant indispensables.

Bernard Keppenne est chief economist de CBC
La situation de la Belgique est extrêmement dramatique. En outre, comme nous entrons dans une année électorale, plus rien ne va bouger.

Cela risque d’être une nouvelle année perdue : cela bloque en Flandre, à Bruxelles et au Fédéral. Le monde politique belge ne prend pas la pleine mesure des défis que nous devons relever, non pas dans un an, mais tout de suite.

C’est tout le contexte que vous venez de décrire : nous ne sommes pas une île… 

Nous ne sommes pas du tout une île. On va me répondre que grâce à l’indexation des salaires et les aides du gouvernement, le pouvoir d’achat des ménages n’a pas été trop affecté. C’est vrai, mais en termes de perte de compétitivité, ce n’est pas bon pour la Belgique et cela ne solutionne pas le problème de l’endettement de l’Etat.

Avec l’endettement des Etats et la remontée des taux, le signal est-il à l’orange ?

Il est plus qu’à l’orange. La Commission européenne et le FMI ont tiré tous les deux la sonnette d’alarme sur le problème de l’endettement et du déficit en Belgique. Il y a des discussions au sein de la Commission sur une réforme du traité de Maastricht et des critères que l’on va appliquer aux Etats : inévitablement, la Belgique va être pointée du doigt, en tant que mauvais élève de la classe. A un moment donné, elle devra réagir, mais réagir sous la pression, ce n’est jamais la bonne façon de le faire. Ce manque de prise de conscience du monde politique belge est inquiétant.

Une crise de la dette telle qu’on la connue peut-elle resurgir ?

Je ne crois pas à ce scénario. On avait parlé de tension sur les taux italiens avec l’arrivée de Giorgia Meloni au poste de Premier ministre, ce n’est pas du tout ce qui est arrivé, car elle a, aussi, donné des gages à la Commission européenne. Qui plus est, la remontée des taux se fait sur le long terme et ceux-ci n’ont pas retrouvé des niveaux tels qu’on l’avait connu au moment de la crise de la dette.

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