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Est-ce le rôle de l’Etat de réglementer les loisirs des enfants?

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

La nouvelle est commentée partout: la République populaire de Chine a décidé de limiter l’accès aux jeux vidéo par les mineurs à trois heures par semaine, un peu plus pendant les vacances scolaires. Et bien sûr, elle utilise la reconnaissance faciale pour vérifier l’identité des joueurs.

Ceux-ci doivent utiliser leur carte d’identité pour se connecter et l’on vérifie que c’est bien le titulaire de la carte d’identité qui joue effectivement. Pas question que les parents aident leurs enfants à “tricher” ou à contourner les règles.

Rien n’étonnera plus de la part d’un régime non seulement autoritaire, mais aussi totalitaire dans le sens précis du terme: le régime chinois s’occupe de tout, réglemente tout et surveille tout. Et le progrès technologique, à la portée du régime, rend cette surveillance efficace. Le motif de la mesure est bien sûr de mieux éduquer les enfants, et d’en faire plus tard des travailleurs plus performants le jour où ils entreront dans la vie professionnelle.

Il faut lire les commentaires de nos médias occidentaux. Tous se posent exclusivement la question de savoir si c’est une bonne idée que de limiter l’accès aux jeux en ligne, et peut-être un jour à internet, aux mineurs d’âge. Un grand quotidien belge pose même froidement la question: “Et si la Chine avait raison?”. Et de répondre, certes avec quelques nuances, en s’appuyant sur les avis de sociologues, qu’elle n’a peut-être pas tout à fait tort, vu l’abus des jeux vidéo par certains enfants et ados.

Il faut bien chercher pour trouver quelqu’un qui se pose la question qui paraît pourtant d’emblée essentielle. Est-ce bien le rôle de l’Etat que de réglementer dans le détail les loisirs de nos enfants? Affirmer cela, c’est considérer que les enfants sont “les enfants de l’Etat” et que c’est celui-ci qui serait chargé de leur éducation. L’Etat fixe les règles, dit ce que les enfants doivent faire, et à quelle heure, et on empêche les parents d’aider les enfants à contourner les règles étatiques.

C’est pourtant cela, précisément cela, qui fait de la Chine un Etat totalitaire. Et il est très inquiétant de constater que presque personne ne s’en inquiète. Peut-être parce que cette doctrine de l’Etat éducateur a déjà fait beaucoup de progrès – et de dégâts – dans notre propre système, avec ses programmes de plus en plus uniformes, ses écoles de plus en plus semblables, ses “troncs communs” de plus en plus longs, ses écoles libres étroitement mises sous tutelle. Les tentatives du système d’éviter le plus possible tout ce qui peut se faire à la maison sous l’influence, que l’on veut absolument réduire, des parents.

Est-ce bien le rôle de l’Etat que de réglementer dans le détail les loisirs de nos enfants?

Il serait temps d’affirmer qu’au contraire de ce que soutiennent les communistes chinois, ce sont les parents qui sont chargés et responsables de l’éducation de leurs enfants, et qu’il leur appartient de choisir éventuellement, par le biais de l’école, à qui ils acceptent de déléguer une partie de cette éducation, soit par exemple tout ou partie de l’enseignement.

Et par la même occasion, il faut rejeter toute conception de “l’Etat stratège”, notamment dans ce domaine: les enfants doivent être éduqués pour leur épanouissement personnel – ce qui peut impliquer, bien sûr, que les parents, et eux seuls, décident de limiter l’accès à certaines activités – et non pour qu’ils deviennent des bons rouages d’un système collectif, sinon collectiviste.

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