Comment rendre la politique de la BCE plus écoresponsable

Christine Lagarde (ici avec Mario Draghi, l'ancien président de la BCE) entend faciliter les objectifs européens en matière de durabilité. © BELGAIMAGE

La Banque centrale européenne envisage de se lancer dans la bataille contre le changement climatique. A raison: elle détient un levier important pour rendre l’économie plus verte, selon un récent rapport de deux ONG.

Depuis sa nomination en novembre 2019, l’actuelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde n’a cessé de répéter que la BCE devait en faire plus pour le climat. Elle entend aligner la politique monétaire sur la politique économique de l’Union. Le Pacte vert européen de la Commission a en effet donné un coup d’accélérateur à l’ “écologisation” de l’économie européenne. La Commission tient également à rendre la relance d’après-crise sanitaire la plus durable possible en réservant un tiers des aides européennes aux dépenses et aux investissements verts. La BCE réfléchit donc actuellement à la meilleure stratégie à suivre pour faciliter la réalisation de ces objectifs européens en matière de durabilité.

Plus de 1.700 milliards d’euros sont déjà tombés dans l’escarcelle des banques grâce aux prêts bon marché. Pareille générosité justifie amplement quelques restrictions.”

Jens van ‘t Klooster, coauteur du rapport de l’ONG Positive Money Europe et du Sustainable Finance Lab

Les chercheurs néerlandais Rens Van Tilburg et Jens van ‘t Klooster (qui travaille en étroite relation avec la KU Leuven) ont rédigé un rapport expliquant comment elle pourrait procéder, au nom de Positive Money Europe et de Sustainable Finance lab, deux ONG qui promeuvent l’établissement d’un secteur financier plus durable. En voici les grandes lignes.

La Banque centrale européenne pour financer un vaste plan de relance ? Pas forcément nécessaire en Belgique, selon Pascal Delwit.
La Banque centrale européenne pour financer un vaste plan de relance ? Pas forcément nécessaire en Belgique, selon Pascal Delwit.© GETTY IMAGES

Rachats peu respectueux

A première vue, les programmes de rachats de la BCE constituent le principal instrument d’ “écologisation” de sa politique. Depuis 2015, la BCE a racheté des obligations publiques pour quelque 2.500 milliards d’euros, et d’obligations privées pour quasi 250 milliards d’euros. Or, ce programme de rachat des obligations privées a des répercussions négatives sur le climat car les entreprises les plus polluantes se financent sur les marchés obligataires. Elles profitent de la générosité de la BCE qui se porte acquéreur de leurs titres. “Il s’agit de secteurs dont l’impact négatif sur le climat est supérieur à la moyenne, comme l’industrie automobile, la production et la distribution d’énergies fossiles, explique Jens van ‘t Klooster. Ce sont généralement de vieilles entreprises possédant de nombreux actifs physiques tels que des sites de production qu’elles peuvent apporter en garantie pour lever des fonds à des tarifs préférentiels sur les marchés obligataires.”

“La BCE se justifie en prétextant le peu d’obligations durables disponibles. Reste la question très controversée: quelles sont les obligations réellement vertes?”, s’interroge Jens van ‘t Klooster.

Le levier vert de la BCE

Selon le chercheur, la politique monétaire habituelle est en fait un outil d'”écologisation” bien plus efficace que ce programme de rachats. On le sait, le principal outil de la BCE est l’intérêt réclamé sur les prêts consentis aux banques européennes. Depuis 2014, elle accorde un taux plus avantageux sur certains prêts à condition que ces dernières consacrent cet argent aux crédits à la consommation et d’exploitation et non aux hypothèques. Ces prêts bon marché ont pour but d’encourager les banques à favoriser les investissements et les dépenses visant à relancer l’activité économique en Europe. Mais en croire les deux chercheurs, ces prêts BCE peuvent aussi se révéler efficaces pour rendre la politique monétaire plus verte.

A l’heure actuelle, le tarif le plus avantageux auquel les banques peuvent emprunter à la BCE est de -1% alors qu’il ne leur en coûte que 0,5% pour confier leurs surplus de liquidités à l’institution. “Cela revient tout simplement à subsidier le secteur bancaire, résume Jens van ‘t Klooster. En attendant, plus de 1.700 milliards d’euros sont déjà tombés dans l’escarcelle des banques grâce aux prêts bon marché. Pareille générosité justifie amplement quelques restrictions.”

Pour les deux chercheurs, des conditions plus strictes devraient donc être imposées. En matière de durabilité, par exemple. Les banques ne pourraient dès lors emprunter à des taux préférentiels que si elles s’engagent à utiliser ces fonds pour des crédits servant à financer des investissements verts d’entreprises ou des dépenses durables de particuliers. “Cela inciterait davantage les banques à financer ce type de projets. Pour les entreprises et les ménages, ce serait un stimulant supplémentaire pour rendre leurs investissements et leurs dépenses les plus durables possibles”, raisonne Jens van ‘t Klooster.

Comment rendre la politique de la BCE plus écoresponsable
© Getty Images/iStockphoto

Respect de la mission

Principal obstacle: ces objectifs de durabilité ne cadrent pas avec la mission première de la BCE, à savoir assurer la stabilité des prix. A en croire Jens van ‘t Klooster, ces prêts verts bon marché de la BCE contribuent pourtant davantage aux objectifs de l’institution en matière d’inflation que les prêts classiques. “Actuellement, cet argent bon marché permet aux banques de financer certains investissements non durables. S’ils doivent être amortis plus vite que prévu, cela pourrait provoquer des chocs inflationnistes ou déflationnistes”, assure-t-il. Comme les investissements durables perdront moins vite de leur valeur, ils assureront plus longtemps la stabilité des prix dans le système économique.

Autre obstacle: les conditions de durabilité risquent de rendre la politique monétaire plus sélective. La BCE outrepasserait ses attributions en privilégiant les activités économiques durables. Mais pareil raisonnement ne tient pas la route, selon Jens van ‘t Klooster. “La politique monétaire actuelle avantage certains secteurs, précise-t-il. Avec sa politique de taux préférentiels, la BCE encourage certains investissements qui n’auraient pas pu se faire autrement.”

Toute la difficulté pour la BCE consiste à jauger la durabilité des crédits accordés par les banques grâce aux fonds bon marché de l’institution. “La BCE rechigne à se prononcer sur ce qui est vert et ne l’est pas”, lance Jens van ‘t Klooster. La nouvelle taxonomie européenne d’activités durables pourrait être une solution, à l’en croire. “Cet outil de classification a pour but d’aider les investisseurs à identifier les investissements durables, explique le chercheur. Il définit les conditions auxquelles plus de 600 activités économiques doivent répondre pour être considérées comme investissements durables. Les banques devraient se conformer à la taxonomie européenne, autrement dit prouver que les crédits qu’elles allouent avec l’argent bon marché de la BCE sont effectivement durables. Si toutes les conditions sont remplies, elles pourront emprunter à la BCE à des tarifs préférentiels.”

La politique monétaire de la BCE est très controversée depuis quelques années. Jusqu’à présent, elle se limitait à une politique plus ou moins souple et des taux d’intérêt plus ou moins bas. Si la banque décide de se lancer elle aussi dans la bataille contre le changement climatique, elle suscitera plus que probablement une nouvelle vague de critiques. Pour Jens van ‘t Klooster, l’affaire est pourtant entendue: la BCE s’engagera dans cette voie. “De l’avis unanime, le climat est appelé à jouer un rôle plus important dans la politique monétaire. Toute la question est de savoir comment, dit-il. L'”écologisation” des prêts bon marché est une des possibilités, en tous points conforme au mandat légal de la BCE.

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