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‘À qui nuit vraiment la fraude fiscale?’

Par nature, l’estimation de la fraude fiscale est une chose difficile, puisqu’elle porte sur des comportements et des valeurs cachés. Différentes études citent toutefois des sommes de l’ordre de 24 à 30 milliards d’euros, ce qui est considérable mais guère surprenant.

Des hommes politiques, de gauche mais aussi de droite, font souvent remarquer que si cette fraude n’existait pas, les contribuables qui payent leur dû seraient moins taxés, parce qu’une recette constante serait distribuée entre un nombre plus important de cotisants. C’est une manière pour eux de tenter d’obtenir l’appui d’électeurs qui ne fraudent pas, ou fraudent peu, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de le faire, en raison de la nature de leur activité professionnelle le plus souvent. L’argument, facile, consiste à affirmer que si les 15 % des impôts actuellement éludés étaient régulièrement payés, cela permettrait de réduire d’une proportion analogue l’impôt payé par ceux qui ne fraudent pas. On trouve un tel argument, très explicite, par exemple dans l’ouvrage Zwart en wit de John Crombez, ex-secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude et président du sp.a.

L’argument ne serait exact que si l’on pouvait être certain que nos gouvernants, à supposer que la fraude disparaisse, réduisent effectivement les impôts d’un montant égal à cette recette nouvelle.

Malgré toutes les dénégations, les dépenses de l’Etat augmentent toujours, d’année en année…

Pourtant, dans la réalité des choses, il n’en est jamais ainsi. Tous les ans ou presque, le budget comporte un poste de “lutte contre la fraude fiscale” et une estimation, en général arbitraire et dépourvue de justification, de son rendement. Il s’agit toujours, du point de vue budgétaire, de recettes supplémentaires et il n’a jamais été prévu de les ristourner à l’ensemble des contribuables par la voie d’une réduction d’impôt.

Le fait est que malgré toutes les dénégations, les dépenses de l’Etat augmentent toujours, d’année en année, et que toutes les augmentations de recettes, y compris celles résultant de la lutte contre la fraude fiscale, sont affectées à l’augmentation des dépenses de l’Etat.

Il n’est donc pas vrai qu’une disparition, bien sûr illusoire, de la fraude, entraînerait un allégement des impôts pour les contribuables qui respectent la loi. La manière d’élaborer les budgets incite plutôt à penser que toute nouvelle recette entraîne une nouvelle dépense. Voltaire le disait déjà : “L’art de gouverner consiste à prendre le plus d’argent possible à une catégorie de citoyens afin de le donner à une autre.” Quels que soient les partis formant un gouvernement, ils ont toujours plus tendance à répondre aux revendications de groupes réclamant une augmentation des dépenses, ou résistant à une diminution de celles-ci, qu’à une demande de l’ensemble des contribuables de réduire le montant total des impôts. Il en est ainsi tout simplement parce qu’une dépense d’un milliard au profit d’un petit groupe représente un avantage important pour celui-ci, tandis qu’une réduction des impôts de un milliard répartie entre tous les contribuables serait à peine perceptible par chacun d’eux. Lorsque l’Etat lutte – et c’est bien sûr légitime puisque tel est son rôle – contre la fraude, il ne le fait donc pas dans l’intérêt des contribuables respectant la loi, mais dans son intérêt à lui, parce que cette lutte lui procure des recettes supplémentaires qui lui permettront de consacrer davantage de ressources aux dépenses qui constituent l’essentiel de sa politique. En d’autres termes, le fraudeur nuit à l’Etat, mais non aux autres contribuables.

Le fraudeur nuit à l’Etat, mais non aux autres contribuables

On avance aussi l’argument de l’inégalité que cause le fraudeur du fisc, puisque par hypothèse, il paye moins d’impôts, toutes autres conditions égales par ailleurs, que celui qui respecte la loi. Cet argument-ci est évidemment exact et reflète une injustice. La question est toutefois de savoir où se situe l’injustice. Si l’on part du principe que l’Etat a le pouvoir de réclamer tout ce qu’il veut, sans aucune limite, et que les lois fiscales représentent une justice incontestable, il va de soi que le fraudeur est responsable de cette injustice puisqu’il ne respecte pas la loi.

En revanche, si l’on accepte de se poser la question de savoir si la loi fiscale est juste, il faut alors se demander si le fait de réclamer au contribuable respectant la loi des impôts parmi les plus élevés au monde est bien un acte juste. Dans ce cas, il faut alors accepter l’idée que ce ne sont pas nécessairement les fraudeurs qui agissent de manière injuste, et que les contribuables respectant la loi sont injustement spoliés. Dans cette hypothèse, lutter contre la fraude ne revient qu’à généraliser l’injustice qui frappe ceux qui respectent la loi.

Les considérations qui précèdent ne remettent évidemment pas en cause l’idée qu’il appartient à l’Etat d’exiger le payement des impôts prévus par la loi, parce que dans un Etat de droit, les lois, justes ou injustes, doivent être respectées. Mais ce n’est pas parce qu’une loi est une loi qu’elle est l’expression de la justice.

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