Trends Tendances

A quand la lutte contre les enfers fiscaux?

C’est à nouveau une belle unanimité que l’on constate dans les milieux politiques pour fustiger sans nuances ceux qui ont eu recours à des structures offshore, dénoncées par les Panama Papers. La politiquement très correcte “lutte contre les paradis fiscaux” n’est remise en question par personne et les moyens donnés au fisc sont toujours jugés insuffisants.

On n’a pas de mots assez durs pour qualifier les “très riches” qui recourent à l’évasion fiscale, tout en relevant par ailleurs que la plupart des bénéficiaires économiques de ces sociétés ressemblent plutôt au boucher et au boulanger du coin…

Il est évidemment exact que nombre de comptes offshore appartenaient à des dictateurs présents ou passés, ou à des criminels. L’évolution rapide des législations internationales a toutefois eu comme conséquence que la plupart des banques sérieuses ont évincé depuis longtemps ce genre de clients, et d’ailleurs aussi ceux qui utilisent des sociétés de paradis fiscaux exclusivement dans un but de fraude.

Mais c’est un coupable amalgame que de présenter comme comparables ces situations et celles de nombreuses personnes ou familles qui n’ont enfreint aucune loi, fiscale ou autre.

Lorsque, plutôt que de jeter en pâture, sans distinction, des noms, comme le font certains journaux, des administrations approfondiront leurs recherches, elles constateront souvent qu’il n’y a rien à reprocher. Aujourd’hui, beaucoup de gens craignent, à tort ou à raison, que la situation politique ou économique instable en Europe constitue un danger pour leur patrimoine, et choisissent de l’investir ailleurs, ce qui rend parfois utile ou nécessaire l’utilisation de structures exotiques. D’autres ne font plus confiance au système financier européen et préfèrent investir une partie de leurs avoirs dans d’autres pays. Ces choix ne sont peut-être pas économiquement fondés, mais sont légitimes, et ils n’impliquent une obligation de déclarer au fisc belge les structures utilisées que depuis 2013.

S’il est exact que nombre de comptes offshore appartenaient à des dictateurs ou à des criminels, c’est un coupable amalgame que de présenter comme comparables ces situations et celles de nombreuses personnes ou familles qui n’ont enfreint aucune loi.

D’autres recourent à ce type de sociétés uniquement en raison de conflits familiaux ou commerciaux ; s’ils les déclarent au fisc, ainsi que les revenus, il n’y a rien à leur reprocher.

Enfin, il est fort probable qu’après les opérations de DLU I, II et III, la plupart des structures litigieuses, et non déclarées dans le passé, ont été régularisées, avec le paiement des impôts et des pénalités requises par la loi. Les règles de l’OCDE en matière d’échange automatique d’informations bancaires impliquent de toute façon que le fisc belge connaîtra en 2017 la situation bancaire de tous les résidents belges pour les comptes dans plusieurs pays (tels le Luxembourg ou le Liechtenstein), et que pour la quasi-totalité des autres, y compris la Suisse, il en sera de même en 2018. Ceux qui n’ont pas encore régularisé leur situation auront donc tout intérêt à le faire en bénéficiant de la nouvelle DLU IV qui est annoncée.

Pour le reste, il est étonnant que tous les commentaires sur cette situation stigmatisent l’évasion, licite ou non, de capitaux, comme une espèce de nuisance universelle. Il semble qu’aux yeux de certains, les lois fiscales, de quelque pays que ce soit, soient parées de vertus morales indiscutables. Lorsqu’elles sont fiscales, les lois de la Chine communiste, de la dictature du Zimbabwe, du Venezuela totalitaire, et de nombre de tyrannies africaines, deviennent brusquement l’expression d’une morale planétaire, comme si les prisons, les chambres de torture, et les membres de polices politiques n’étaient pas payés au moyen d’impôts…

Les normes fiscales sont partout édictées par les groupes qui exercent le pouvoir (tyrans, oligarques, ou majorités parlementaires), et répondent aux intérêts de ceux qui soutiennent ce pouvoir. Dans les Etats démocratiques, elles doivent être respectées comme les autres lois, mais il faut les prendre pour ce qu’elles sont : l’expression d’un pouvoir, et non nécessairement celle de la justice.

Et dans ce contexte, il ne faut pas perdre de vue que les paradis fiscaux ne sont pas dirigés par des gouvernements moins légitimes que les autres. Il suffit de consulter leur liste pour constater qu’à de très rares exceptions près, ces Etats s’appuient sur des majorités démocratiquement élues et permettent à leur population de bénéficier d’un niveau de vie que nombre de pays très taxés devraient leur envier. On vit mieux et avec plus de liberté aux Bahamas ou à Saint- Vincent que dans les Dom-Tom français voisins des Caraïbes…

Ne serait-il pas temps de se demander pourquoi il en est ainsi, et de songer à lutter contre… les enfers fiscaux ?

THIERRY AFSCHRIFT

Partner Content