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Pinay, l’homme de l’emprunt

Antoine Pinay fut un des hommes importants des quatrième et cinquième Républiques françaises. Décédé en 1994 à 103 ans et fils d’un chapelier, il était reconnaissable à son couvre-chef qui l’avait fait qualifier de petit homme au chapeau rond. Maire inoxydable (il occupa cette fonction près d’un demi-siècle) de la petite ville de Saint-Chamond dans la Loire, il appartient à cette race d’hommes que le pouvoir ne corrompt pas et qui portent haut la certitude de pouvoir pousser les feux de la conscience politique.

Pourtant ces débuts en politique l’égarent. Il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, dont il se distanciera en 1942, non sans avoir reçu la Francisque. Après la guerre, il est plusieurs fois ministre sous la quatrième République (1946-1958) et c’est là qu’il lance le fameux emprunt Pinay indexé sur l’or.

La situation d’après-guerre française est en effet inflationniste et de Gaulle ne prend pas la mesure de la gravité des problèmes lors de son retour au pouvoir en 1944-1946, d’où son fameux propos apocryphe “L’intendance suivra” lorsqu’on lui parlait d’économie. Mais pour Pinay, l’intendance est en désordre et il importe de canaliser l’épargne nationale vers l’investissement plutôt que d’assister à une inflation ravageuse. La guerre de Corée suscite une vague d’inflation. C’est alors que, président du Conseil, il lance son emprunt indexé sur l’or et accompagné de mesures de contrôle des prix et des salaires destinées à combattre l’inflation.

L’emprunt possède une formulation particulière : il est assorti d’une amnistie fiscale destinée à rapatrier les capitaux placés à l’étranger. Il est souscrit pour une durée de 20 ans et est indexé sur le cours du Napoléon afin d’éviter tout risque de dépréciation monétaire. Cette indexation est complémentaire aux traités internationaux car la France a signé les accords de Bretton Woods de 1944 qui lient les monnaies à l’or. Cette liaison n’empêche cependant pas la crainte d’une perte de pouvoir d’achat de l’épargne que l’emprunt Pinay tente de circonscrire. L’emprunt est aussi exonéré des impôts sur le revenu et sur les successions. Il rapporte 428 milliards d’anciens francs français (soit environ 650 millions d’euros, sans tenir compte de l’inflation), dont 200 milliards d’argent frais. Il va néanmoins se révéler très coûteux pour l’Etat. En 1973, Giscard d’Estaing lance un emprunt, lui aussi indexé sur l’or, en conversion de la rente Pinay.

Le constat de l’Histoire est sévère et implacable : le plan Pinay fut un échec à cause du contrôle des salaires et des prix. Il contribua en effet à contracter l’économie française. Pire, il fut un boulet pour une croissance qui redémarrait : la production et les investissements chutèrent et, malgré des économies draconiennes, le budget fut en déficit à cause des moins-values fiscales.

Le contexte du plan Pinay est désormais dissipé dans les brumes de l’Histoire. Il n’en constitue pas moins l’effrayante répétition de scénarios économiques. En effet, en période de récession, il arrive toujours un moment où les autorités publiques croient trouver dans l’austérité et la rigueur budgétaire les piliers d’une amorce de croissance économique. Ces politiques d’austérité font trébucher l’économie au moment où il est trop tard pour mettre en oeuvre une politique de stimulation budgétaire.

Une telle répétition d’erreurs relève, entre autres, de la mauvaise interprétation des théories keynésiennes et de la notion de déficit budgétaire. De manière sommaire, il existe deux sortes de déficits, usuellement qualifiés d’expansionnistes ou de récessifs. Les déficits publics expansionnistes sont ceux dont la contrepartie se retrouve normalement (ou à tout le moins structurellement) dans des dépenses d’investissements censés contribuer au progrès économique par un phénomène de multiplication. Ces déficits ne sont donc pas à charge des générations suivantes, car si leurs effets sont conformes à leurs objectifs, ils se traduisent en un surcroît de prospérité.

Les déficits récessifs sont, eux, néfastes, car ils financent des dépenses de consommation instantanées, sans les adosser à des financements d’investissements. Ces 30 dernières années ont été caractérisées par ce type de déficits, puisque les dettes publiques ont augmenté alors que le poids de l’interventionnisme public diminuait.

En d’autres termes, la dette publique est utile à la croissance dès lors que les investissements qu’elle finance améliorent les actifs collectifs et les biens publics dont bénéficieront les générations futures. En revanche, l’endettement public est malsain s’il finance outrancièrement des dépenses courantes. Un Etat responsable devrait s’interdire d’alimenter son fonctionnement courant par l’emprunt et devrait limiter ses dépenses d’investissements à ses capacités de remboursement.

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