Opération Levis à Charleroi

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Une action de marketing du fabricant de peinture Levis apporte une touche de couleur à quelques quartiers ternes de Charleroi. La marque rompt ainsi radicalement avec ses campagnes précédentes. Ce projet d’envergure a été présenté en huit épisodes sur la RTBF, mais le nom de la marque était à peine visible. Un exemple de marketing du XXIe siècle ?

Vous vous souvenez certainement d’elle : cette dame qui paradait dans une robe de peinture rouge, sous le slogan Fashion for walls dans une publicité de Levis. Aujourd’hui, le département du marketing belge de Levis n’imaginerait plus une telle campagne “haut de gamme”. La marque de peinture, qui appartient au groupe néerlandais Akzo Nobel, a en effet décidé de changer de cap.

Non seulement Levis revoit sa tactique, mais elle a aussi changé Charleroi et ses habitants cet été. Ainsi, le château d’eau gris du producteur de câbles Nexans s’est transformé en torche jaune qui, grâce à des éléments de verre incorporés, change de couleur selon la position du soleil. L’hôpital Notre-Dame a été égayé de teintes de rouge, tandis que la place du Nord – autrefois tristounette – est désormais flanquée de maisons rouges, oranges, bleues et vertes.

Aucun artiste n’est intervenu, contrairement aux habitants, qui avaient décidé que leur ville, proclamée la plus laide du monde il y a trois ans par un sondage en ligne du journal néerlandais De Volkskrant, méritait bien une touche de couleur. Au total, 750 Carolos ont manié brosses et pinceaux, avec le soutien financier et matériel de Levis, leader sur le marché belge de la peinture.

La marque ne voulait pas se borner à copier la campagne internationale Let’s Colour d’Akzo Nobel, qui a mis en couleur, ces deux dernières années, des murs, des gares et des bâtiments à l’abandon à Soweto, Rio de Janeiro, Paris, Istanbul, Cracovie, Amsterdam et Londres. A Charleroi, elle voulait inscrire cette action dans la vie quotidienne des Carolos.

Une histoire portée par de nombreux acteurs

Trois entreprises ont uni leurs forces pour l’occasion : Sqills, l’éditeur de revues d’entreprise de Sanoma, qui collabore depuis déjà quatre ans avec Levis ; la maison de production Sancta, qui a coordonné le projet et s’est chargée des émissions télévisées ; Levis, enfin, qui a fourni les moyens. Deux autres partenaires importants – le collège des échevins de Charleroi et la RTBF – ont été convaincus par un argument de poids : ce n’est pas Levis, mais la ville et ses habitants qui joueraient le premier rôle. Aucun d’entre eux ne voyait l’intérêt d’un coup publicitaire ordinaire : il fallait raconter une histoire.

Aussi l’entreprise a-t-elle décidé de procéder à une réduction draconienne des outils de marketing traditionnels. Pas de spot télé classique, moins de pubs dans les journaux et les magazines, suppression des petites activités et présence de la firme aux deux seuls grands salons Batibouw et Sfeer. Cette décision n’a pas été facile, se souvient Greet Boonen, à l’époque manager du marketing belge et aujourd’hui directrice du marketing consumer brands pour la zone EMEA. “On peut mesurer l’impact d’un spot de 30 secondes, tout comme celui des autres publicités et actions. En revanche, ce projet était difficilement quantifiable ; le défendre en interne et devant les clients B2B n’a pas été une mince affaire”, estime-t-elle. Le budget de la campagne s’élève à 1 million d’euros, ce qui correspond en gros à cinq semaines de publicité à la télé. Les 15.000 litres de peinture nécessaires à l’opération sont une broutille à côté de cela : chaque année, Levis écoule 6,8 millions de litres en Belgique. La maison de production, les collaborateurs, la sécurité et les infrastructures – notamment les échafaudages – ont entraîné des dépenses bien plus importantes.

Accord d’échange avec la RTBF

Même si le spot de 30 secondes est passé à la trappe, le projet ne pouvait voir le jour sans la télévision. C’est elle qui permettrait de convaincre les directions et d’attirer les visiteurs sur le site web. “Cette histoire se “vend” bien à la télévision”, explique Kristoff Leue, producteur chez Sancta. “La RTBF a dû se dire qu’il était intéressant d’acheter le programme – dans notre cas, en échange de services techniques plutôt que d’argent comptant.” Pendant huit dimanches, La Une a diffusé à 22 h 30 une émission d’une demi-heure consacrée à l’opération. La chaîne est satisfaite de l’audimat moyen (90.000 téléspectateurs), qui s’améliorera peut-être encore en septembre, avec l’émission marathon qu’elle projette.

Pour Levis, il était clair qu’il ne fallait pas verser dans le placement de produit. Si le fabricant de peinture paie pour être visible dans pratiquement toutes les émissions de bricolage, il a fait preuve ici d’une plus grande réserve. Ces quatre dernières années, il s’est en effet rendu compte, grâce à son magazine promotionnel Paint !, que le contenu est plus efficace que la communication de marque pure. C’est la raison pour laquelle l’autocollant Let’s Colour a recouvert le logo de Levis sur les pots de peinture. Ce n’est que sur les T-shirts et les petits pots que le nom de la marque apparaissait encore.

Et la sauce a pris, si l’on peut dire. L’authenticité est ressortie fortement dans l’épisode au cours duquel 99 surfaces brunes sous les fenêtres de l’hôpital Notre-Dame ont été peintes en rouge. Chacun des 99 peintres était né dans cet hôpital et avait une histoire émouvante à raconter. Un couple attendait enfin des jumeaux après quatre années d’espoirs, une femme avait accouché la veille, une autre avait perdu son petit garçon…

Toute l’entreprise mobilisée

Contrairement à une nouvelle campagne télévisée, cette action a dû être soutenue par tous les travailleurs. Le chef du personnel et le directeur de la production ont ainsi donné un coup de main. “Nous avons rassemblé nos 500 collaborateurs à l’avance”, se rappelle Greet Boonen. “Ils ont eu droit à une présentation, un mot du CEO et un verre. L’équipe des ventes chargée de soumettre le concept aux clients B2B est ensuite allée humer l’atmos-phère à Charleroi. Et le département de la production était prêt à livrer rapidement des couleurs à la demande. Nous nous sommes efforcés de réaliser un maximum de choses dans le cadre habituel, mais parfois, des heures supplémentaires ont été nécessaires. Ce n’était pas une obligation, mais il n’y avait pas non plus de rémunération supplémentaire à la clef.”

Levis se tient bien en retrait dans les émissions télévisées. “Pour un responsable du marketing, c’est difficile de lâcher prise”, admet Greet Boonen. “Mais nous avons décidé de prendre le risque et de choisir essentiellement des partenaires à qui nous faisons confiance.” Le producteur le confirme : “Nous décidons ensemble de la version finale. Nous montrons quelques extraits à l’avance. Nous nous sommes entendus sur les valeurs de la marque et sur la suppression des éventuelles erreurs de peinture des participants.”

Le concept s’étale dans toutes sortes de médias sociaux ou classiques, comme le magazine Paint !, que Levis diffuse à un million d’exemplaires en janvier. Si l’effet escompté sur les ventes n’est pas connu ou n’est pas communiqué, l’entreprise attend néanmoins beaucoup de ce nouvel investissement. La responsable marketing estime qu’inspirer le consommateur aura un impact plus grand sur les ventes qu’un bon de réduction. “Ce n’est pas parce que vous avez reçu une remise que vous allez pour autant vous mettre à peindre ce soir : le temps vous manque, vous n’êtes pas motivé…” En revanche, si vous êtes inspiré, vous mettrez peut-être plus facilement la main à la pâte.

Les options restent ouvertes

Il n’y a pas que quelques Carolos enthousiastes à vouloir poursuivre ce projet. Levis pense aussi qu’il n’a pas livré tout son potentiel. Après six semaines intensives de peinture, l’entreprise ne se résout pas à mettre fin à Let’s Colour. “Pourquoi ne pas tirer une ligne de couleur à travers la Belgique en partant de Charleroi ? Ou peindre des écoles dans une couleur pimpante ? Ou encore monter un projet dans chaque grande ville belge ?” Il est déjà acquis qu’à terme, Let’s Colour et Levis ne feront plus qu’un. Le logo sera modifié à l’automne. “Nous passerons d’un logo de produit à un logo d’expérience, avec éventuellement Let’s Colour comme signature”, annonce Greet Boonen. “Charleroi peut être considérée comme le coup d’envoi.” Comme elle est responsable de la zone EMEA, Greet Boonen pourra transmettre cette expérience à d’autres pays en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

HANS HERMANS

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