L’homme aux mille vies

Guillemette de Sairigné, " Pechkoff, le manchot magnifique ", éditions Allary, 600 pages, 23 euros. © PG

Le 2 décembre 1966, Louis Aragon rend hommage dans la revue Les Lettres françaises au général Zinovi Pechkoff qui vient de décéder à l’âge de 84 ans. Le poète regrette que l’on n’ait pas rendu les hommages militaires à ce ” soldat modeste “, mais qui fut tout de même ambassadeur de France au Japon, intercédant auprès de Tchang Kaï-chek et incitant le général de Gaulle qu’il servit loyalement à reconnaître la Chine populaire. Figure étonnante ayant traversé tout le 20e siècle, Pechkoff aura été cette sorte de trait d’union entre des champs politiques a priori opposés. Sa vie, que Guillemette de Sairigné retrace dans le détail, s’avère ainsi une sorte de synthèse de l’Histoire du siècle dernier. Né Sverdlov en 1884, dans une famille juive de Nijni- Novgorod qui connaît les exactions antisémites de la Russie tsariste, cet orphelin de parents va toucher Maxime Gorki qui l’adopte, le sortant de la rue. ” Gorki était déjà un géant, le grand écrivain prolétarien, resitue Guillemette de Sairigné. Il suffit de voir les mouvements de foule que suscitaient ses sorties. ”

De sa vie, il disait : “Je n’y comprends rien moi-même”.

Parcours hors norme

Le protégé est ainsi aux premières loges des combats politiques, littéraires et théâtraux du maître. Il suivra même l’auteur des Bas-Fonds dans son exil italien, à Capri précisément, après avoir accompli un aventureux tour du globe pour éviter la conscription, et qui le fait prendre contact avec un monde qu’il ne connaît pas, celui du rêve américain. Après son séjour italien, il s’engage dans la Légion étrangère, perd un bras lors la Première Guerre mondiale, ce qui lui vaut son surnom de ” manchot magnifique “. Après le conflit, il poursuit diverses missions militaro-diplomatiques au Maroc, aux Etats-Unis, au Liban. En 1941, il rejoint Charles de Gaulle à Londres et gagne sa confiance. ” Son évolution politique est assez rapide. Féru des idées révolutionnaires et opposé à l’autocratisme du tsar, il est ému aux larmes par l’avènement de sa chère révolution. Il sera par contre écoeuré par les Soviets et leurs crimes sanglants “, raconte Guillemette de Sairigné. Ces mutations s’expliquent par un parcours hors norme, un caractère dont la biographe avance les lignes de force : ” Pechkoff, c’est une volonté indéfectible, celle d’être capable de décider de sa propre vie. Il fait preuve aussi d’un don d’admiration exceptionnelle parvenant à se mettre dans le sillage de gens admirables qu’il a eu le génie de séduire “.

La vie de Pechkoff était déjà écrite dans les annales officielles. Pour enrichir son ouvrage (une somme de 600 pages, tout de même !), la biographe a eu la chance d’avoir accès aux archives diplomatiques remises par Pechkoff et restées jusqu’à ce jour inédites. L’Institut Gorki lui a permis de consulter une riche correspondance, sans oublier cette ” chance inouïe ” de recevoir du beau-fils de Pechkoff ” un sac gris ” plein de documents, de lettres et autres trésors en révélant davantage sur son sujet. ” Il n’a pas écrit beaucoup de bouquins, mais il était un véritable graphomane. Si ses lettres ne sont pas toujours d’une densité folle, elles sont toutefois de beaux documents “, reconnaît Guillemette de Sairigné.

Déjà écologiste

Charles de Gaulle lui écrira : ” Vous avez été au moment où il le fallait, l’homme qu’il fallait, là où il le fallait, j’ajoute que vous y avez mis le style “. D’une autre époque, le personnage n’en était pas moins moderne, selon l’écrivaine : ” Il connaissait les êtres dans leur âme. C’était aussi un écologiste avant la lettre avec cette imprégnation quasi orientale dans son rapport à la nature “. Un polyvalent de l’Histoire dont on ne connaît pour le moment aucun équivalent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content