Les mensonges qui tuent

Choisir, c’est renoncer, et Véronique Verbruggen n’y parvient pas. Editrice reconnue et exigeante, elle mène une » vie de mensonges « , une double vie partagée entre Daniel, son mari depuis 20 ans, celui qui a reconnu sa fille Mina et a toujours été à ses côtés, et son amant Titus avec qui elle entretient de longue date une passion amoureuse mais aussi intellectuelle pour les » petits maîtres de la peinture flamande « , ces artistes » condamnés à jouer les figurants dans les cours d’histoire de l’art « . Daniel est ophtalmologue à Paris, soutien indéfectible de sa femme ; Titus est un réalisateur de documentaires qui vit reclus dans un hameau au milieu des Cévennes et qui implore la femme qu’il aime de renoncer à ses » rêves de sainteté « . » Elle ne veut pas faire souffrir et elle a l’impression que le choix va tuer celui qui n’est choisi. Mais au fond, c’est peut-être ce qu’elle se raconte… « , écrit l’écrivaine belge Nathalie Skowronek qui signe avec La carte des regrets, son quatrième roman. Un texte qui se lit d’une traite et dans lequel on replonge volontiers pour en saisir tous les mouvements sensibles et les réflexions sous-jacentes.
Que savons-nous de l’existence de ceux qui nous entourent ?
Ce qui empêche
Au fond, qui éprouve des regrets dans ce triangle amoureux ? » Je pense qu’au final, tout le monde a de quoi regretter, explique l’auteure. J’ai voulu montrer des personnages avec des ressources économiques, psychologiques, créatives et qui, malgré tout cela, ne vont pas y arriver. » Car Véronique meurt de manière brutale dès le début du roman. » Une partie d’elle essayait de disparaître. Elle n’est pas là pour donner sa version » et nous, lecteurs, rebondissons entre ces deux hommes. » Elle n’a pas trouvé la troisième voie, malgré l’émancipation des femmes, la simplicité du divorce de nos jours, poursuit Nathalie Skowronek. Je ne voulais pas faire de cette histoire un drame bourgeois. Il y a ici quelque chose de l’ordre de la tragédie : partout où elle cherche, il n’y a que des obstacles. » Et l’on ressent profondément ces obstacles, tout comme on peut facilement se glisser dans la peau de chacun des personnages. Nous voici alors, comme la fille de Véronique, à faire ces allers-retours, au milieu d’une carte éclatée, entre le passé et aujourd’hui, entre Paris, les Cévennes et Gand. Parce que » Mina a besoin de savoir « , indique l’auteure.
Ce qui fait mémoire
Le fantôme de Véronique plane. Une bataille pour la mémoire s’est engagée entre les deux hommes qui l’aimaient : l’un prépare un documentaire, l’autre une soirée d’hommage. Est-ce la vérité qui leur importe ou sont-ils dominés par la peur que leur propre histoire aux côtés de Véronique disparaisse ? » Au moment de la mort, la mémoire ne se transmet jamais dans son entièreté, nous explique l’écrivaine. Les regrets arrivent précisément là, au moment de la mort réelle ou symbolique. Au moment où on ne peut plus changer. » Cette question de la mémoire, de ce qu’on veut oublier ou taire pour ne pas faire souffrir, de ce qui reste malgré tout, traverse les romans de Nathalie Skowronek ainsi que, bien sûr, son essai paru chez Gallimard, La Shoah de Monsieur Durand (2015) : » La mémoire, sa survivance, le rapport à la mort, tout ça est toujours là : qu’est-ce qu’on a reçu ? que font les survivants de cela ? J’ai passé 10 ans à écrire sur des histoires familiales juives. Ici, le noyau dur reste la même obsession et, en même temps, avec La Carte des regrets, je me déplace avec elle dans un roman pur que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire « . Plaisir que vous prendrez à la lecture et, si vous ne la connaissez pas encore, à découvrir l’ensemble de l’oeuvre, importante dans le paysage des lettres belges, de Nathalie Skowronek.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici