Le père que l’on se rêve

La stupéfaction saisit Régis Jauffret quand, à la télévision, l’écrivain croit reconnaître son père dans un documentaire sur la police de Vichy. L’archive cadre un homme menotté et emmené par deux gestapistes dans une voiture. Il s’agit bien du bas de l’immeuble marseillais où vivaient les Jauffret. Et pourtant, personne dans la famille ne semble se souvenir de la scène qui semble avoir bénéficié d’un dispositif quasi cinématographique (plans en champ/contrechamp) pour être immortalisée. Débute alors une enquête dans la mémoire de ses aïeuls mais aussi de la sienne. Qui était vraiment Alfred Jauffret ?
» On a le droit de rêver de son père « , affirme Régis Jauffret, pour cerner ce qui lui semble devenir tout à coup être un personnage de roman, ayant été prêt à quelque acte héroïque (de résistance ?) pour se retrouver dans pareille situation. A-t-il caché des personnes poursuivies par les nazis ? Etait-il en possession d’informations sur la résistance ? Un » rêve » ? Parce que, dans les souvenirs de son fils, Alfred ne correspondait pas à la définition que l’on se fait du héros…
Faute de preuves
Touché par une surdité suite à une méningite mal soignée, l’homme s’était enfermé dans un profond mutisme. Il reste en mémoire du jeune Régis un quotidien où dominait davantage sa mère, Madeleine. Le père, bipolaire et dépressif, n’avait qu’à de très rares reprises fait preuve d’un geste paternel auquel tout fils peut s’attendre. Bien que présent physiquement, Alfred avait ainsi quelque peu disparu de la vie de son unique enfant.
Face à ce qui semble être une incohérence, le romancier enquête, rassemble les pièces d’un puzzle familial et aboutit au constat de sa méconnaissance de l’histoire de ses parents, couple de la classe moyenne marseillaise, répondant a priori à tous les standards de leur temps. On ne se racontait pas, à l’époque…
Face au manque d’indices, » la réalité justifie la fiction « , écrit-il. Et la plume de notre détective de l’intime de s’aventurer sur des terrains beaucoup moins certains. » A force de ne pas avoir été celui de mes rêves, mon père me fait rêver. » Et le ton du roman Papa de glisser d’une certaine forme de colère envers ce père absent vers le récit d’une admiration jusqu’alors non assumée, qu’il lui adresse directement. » Papa ! Ha ! Ha ! Faut-il mépriser la souffrance de ce gosse en moi toujours vivant pour t’affubler de temps en temps de ce titre usurpé. Je voudrais tellement rendre les armes pour avoir de toi un souvenir qui ne me tienne pas froid. » Avec le sentiment, au final, d’une volonté de rendre justice à un incompris. Romancier du réel, habitué à s’inspirer du fait divers, du scandale sexuel (l’affaire DSK dans La Ballade de Rikers Island) à l’horreur de la séquestration et de l’inceste (l’affaire Fritzl dans Claustria), Régis Jauffret applique à sa propre histoire sa méthode : un monologue fin, parfois cru, avec de légères notes d’humour dans la description du couple parental, qui ne s’interrompt que par des réflexions, relances et questions incises comme si lui-même suivait cette petite voix intérieure qui nous triture, nous torture parfois.
Faut-il être reconnaissant à son père de vous avoir aimé ?
Alors, Alfred Jauffret était-il un héros ou pas ? Peu importe. Cet hommage tendre d’un fils de 60 ans à son père décédé fait oeuvre de réhabilitation de tous ces pères que l’on pense absents parce que muets ou peu démonstratifs. Le comprendre, c’est une nouvelle fois saisir, comme on peut le ressentir à l’adolescence, les faiblesses de nos géniteurs, celles qui font d’eux des êtres touchants d’humanité.
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