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Le manager est-il un animal nuisible ?

Comme le dit Joan Magretta, la “discipline” du management est probablement l’innovation la plus importante de ces deux derniers siècles.

Isaac Getz ne mâche pas ses mots : “En ce qui concerne les collaborateurs d’une organisation, je préfère ne plus parler de management. Le management du personnel, de sa motivation, se résume fondamentalement à un maniement plus ou moins subtil de la carotte et du bâton. Cette méthode a fait ses preuves : elle génère des résultats… qui sont loin d’être impressionnants. Au contraire, les entreprises libérées de ce type de management génèrent, elles, année après année, des résultats exceptionnels.”

Getz n’est pourtant pas un soixante-huitard attardé, ni un chantre tardif des entreprises autogérées qui n’ont d’ailleurs jamais eu de succès. Professeur de psychologie à la business school parisienne très prisée, l’ESCP-Europe, il a parcouru le monde entier ces dernières années pour analyser la recette miracle de ces entreprises qu’ils appellent “libérées” et qui affichent des performances autant exceptionnelles que pérennes. Parmi ces sociétés, il y en a des grandes et très sophistiquées comme Gore (fabricant entre autres du célèbre “Goretex”, qui emploie 9.000 personnes) ou de plus petites à l’image de Favi, la fonderie picarde de 500 personnes qui exporte jusqu’en Chine. Certaines sont même dans des secteurs a priori peu sophistiqués, c’est le cas de Sol, une firme de nettoyage de bureau finlandaise.

Trois “règles de vie”

Dans leur livre, Freedom, Inc., dont la traduction française paraîtra bientôt, Isaac Getz et son collègue Brian Carney résument à trois les simples “règles de vie” qui caractérisent les environnements de travail bâtis par les leaders de ces entreprises, et leurs conséquences directes :

1. Chacun est traité en tant qu’intrinsèquement égal, c’est-à-dire sans discrimination aucune, avec confiance, respect, équité (pas de privilèges spéciaux pour les “managers”, pas d’a priori sur qui peut avoir des idées…) : les collaborateurs ont “envie”de prendre des initiatives ;

2. Chacun peut se développer (comme il pense devoir le faire pour réaliser ses initiatives, pas comme certains “managers” pensent qu’ils devraient se développer selon des schémas préétablis) : les collaborateurs sont “capables” de mener à bien leurs initiatives ;

3. Chacun peut s’auto-diriger (comme le résume Ricardo Semler, les “managers s’occupent de ce que le collaborateur contribue à l’entreprise et de rien d’autre – certainement pas de problème de l’école primaire tels l’heure d’arrivée, la manière de s’habiller, l’heure de départ ou où est la personne) : les collaborateurs ont la “possibilité” de réaliser leurs initiatives.

Ces trois règles paraissent tellement simples et évidentes. Elles n’ont d’ailleurs rien de nouveau à bien y réfléchir. Si elles permettent aux entreprises qui les appliquent tranquillement des performances aussi remarquables depuis des décennies, pourquoi donc sont-elles encore si peu répandues ? La réponse est tout aussi simple : c’est extrêmement exigeant et dur de créer un tel environnement. Bob Davis, président d’un des meilleurs vignobles californiens, le résume de façon colorée : “Une goutte d’urine suffit à gâcher toute la soupe. Il faut vider la casserole, la désinfecter et tout recommencer.” Bâtir un tel environnement demande donc une volonté et une discipline à toute épreuve. Discipline qui n’a pourtant rien à voir avec des procédures strictes et des structures rigides. Au contraire. Il s’agit plutôt d’une discipline de vie, ancrée dans une vision particulière de l’homme et du travail.

Devenir un “patron-philosophe”

Ce n’est donc pas un hasard si tous les leaders, femmes ou hommes, de ces entreprises “libérées” soient des “managers-philosophes”. Pas dans le sens où ils auraient lu Platon, Kant ou Spinoza dans le détail mais dans le sens où ils ont tous réfléchi profondément sur la nature humaine, sur le sens de leur activité et de leur travail en commun et sur la façon de traduire en acte ces idées au quotidien.

Comme le dit Joan Magretta, la “discipline” du management est probablement l’innovation la plus importante de ces deux derniers siècles, celle qui a facilité une myriade d’autres innovations fondamentales. Soutenue par une vision mécanique de ce qui motive les êtres, elle peut malgré tout se révéler contreproductive, voire carrément nuisible. Au contraire, ce qui fait la beauté paradoxale d’approches managériales orientées vers la “liberté”, c’est qu’elles permettent d’atteindre, comme le montre Getz, une performance forte et pérenne alors même que la performance n’est pas ou n’est plus le premier objectif recherché par les “managers-philosophes” qui les promeuvent.

Si vous en doutez, réfléchissez un instant à ce qui vous motive vraiment au travail. En doutez-vous encore ?

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