La BOMBE bleue

Le Bombay Sapphire fut, en 1985, à la base de l’engouement actuel pour le gin. Trends Style a visité la distillerie de la marque à Laverstoke, non loin de Londres.
Qui ne connaît l’emblématique bouteille bleue du Bombay Sapphire ? Autrefois, bien avant la vogue actuelle, les gins pouvaient facilement se catégoriser selon la couleur de leur bouteille ou de leur étiquette – bleu, vert et jaune. Aujourd’hui, on a le choix parmi plus de 200 gins différents, dont certains contiennent les ingrédients les plus improbables – fraise, pomme de terre, mandarine, olive, voire ver de terre.
Fort heureusement, cette offre comporte aussi des gins d’excellente qualité. Pour rappel au début des années 1980, ce spiritueux semblait condamné à l’oubli. Jusqu’à ce qu’apparaisse, en 1985, la belle bouteille bleue du Bombay Sapphire, lequel a ouvert involontairement la voie à un autre gin réputé, contenu, lui, dans une bouteille noire. Le coup d’envoi de la course des gins était donné.
Star of Bombay » réfère à un saphir gigantesque ayant jadis appartenu à l’actrice américaine Mary Pickford.
La distillerie de Bombay Sapphire est située à Laverstoke, non loin de Londres. Bombay y a pris ses quartiers dans un complexe d’édifices imposant, sur les rives du Test, la rivière la plus limpide d’Angleterre. Dans la cour intérieure, on ne peut qu’être impressionné par les serres les plus spectaculaires que l’on puisse imaginer : deux globes en verre colossaux en forme d’entonnoir où sont cultivées des plantes méditerranéennes et tropicales. Ces monuments qui semblent tout droit sortis d’une oeuvre de science-fiction se composent très exactement de 794 plaques en verre parfaitement imbriquées suivant un design signé par le Britannique Thomas Heatherwick. Pour le bien-être des plantes et la réputation de la rivière, les vitres sont nettoyées par osmose inverse, sans détergents. La chaleur provient de la distillerie elle-même. Les serres abritent tous les végétaux intervenant dans la composition des produits Bombay.
Etape suivante : le lieu où les ingrédients végétaux révèlent leurs secrets. Tout peut y être vu, touché, humé et goûté. Mieux encore : le visiteur est invité à marquer son herbe favorite à l’aide d’un poinçonneur et à la reporter sur un guide interactif. Lequel est en réalité un plan des bâtiments de la distillerie. Il contient une puce électronique donnant accès à certains endroits du complexe et fournissant des explications les concernant. Elle recèle également une carte des arômes qui analyse les gins Bombay selon des éléments végétaux. Un cocktail précis est alors suggéré selon l’arôme de prédilection du visiteur et lui est servi au bar à l’issue du parcours.

Troisième escale : le bureau de Sam Carter, le Senior Ambassador de Bombay, qui se révèle être un bar gigantesque pouvant accueillir sur vingtaine de personnes au moins. Baptisé » The Empire Bar « , il sert de cadre à des ateliers et à des formations, allant de simples initiations à l’univers des cocktails aux séances professionnelles les plus pointues pour parfumeurs, herboristes, maîtres distillateurs et meilleurs barmen du monde (dont Alex Kratena de The Artesian à Londres, nommé meilleur barman du monde pour la cinquième fois consécutive). Le décor des lieux ? A gauche du bar se dresse une » armoire » contenant pas moins de 165 gins différents et ce, malgré ses petites dimensions comparées à celles de l’arrière-bar. Impossible de compter les bouteilles alignées sur celui-ci. Les panneaux garnissant la face avant du bar peuvent être relevés et former des tables ou des stations de travail. Le mur opposé est une paroi en verre à surfaçage numérique comportant, en son centre, une énorme roue aromatique. On se croirait dans un auditorium high-tech d’une université – la Bombay Booze University.
LES INDES VIA LES ÉTATS-UNIS
La distillerie elle-même ne compte qu’un peu plus d’une dizaine d’années. Auparavant, le gin Bombay était distillé à Warrington. Avant les années 1950, il s’appelait d’ailleurs non pas Bombay mais Warrington. Bombay Sapphire n’a vu le jour qu’en 1985 – chose surprenante car les années 1980 font un peu figure d’âge sombre du gin.
A l’époque de Guillaume le Conquérant (l’homme de la bataille de Hastings en 1066), ce site accueillait déjà un moulin à eau. Sous l’empire britannique et à l’ère victorienne, il faisait office de moulin à papier qui produisait tous les billets pour la banque d’Angleterre, y compris les billets destinés aux Indes. Pour une marque qui arbore la reine Victoria dans son logo et qui s’appelle Bombay, la coïncidence était trop belle. On peut y voir davantage le signe du destin que l’effet du hasard. Autre détail amusant : Laverstoke Mill accueille de nombreux nichoirs destinés non pas aux oiseaux mais aux chauves-souris, ce qui forme le lien avec le groupe Bacardi-Martini, propriétaire de la marque Bombay.
Ce gin est singlegfold : il est réalisé en une seule fois à base d’alcool de grains neutre.
L’histoire de Bombay débute en 1761 lorsque le jeune Thomas Dakin, 24 ans, ouvre à Warrington une distillerie – l’une des premières implantées loin de Londres. Warrington se situe non loin de Liverpool dont le port contribue fortement au développement de la marque – Warrington Gin à l’époque. Vers 1830, Mary Dakin introduit la technique à infusion de vapeur au moyen de l’alambic Carterhead. Jusqu’alors, les herbes et autres ingrédients végétaux (botanicals) étaient cuits avec l’alcool dans les alambics. Dans la technique à infusion de vapeur, la vapeur d’alcool traverse les éléments botaniques et s’imprègne de leurs arômes. L’alambic Carterhead a été conçu spécialement à cette fin. Le procédé peut être comparé à la cuisson de légumes à la vapeur, opposée à la cuisson à l’eau. Cette façon révolutionnaire d’introduire des éléments botaniques a fait la réputation de la marque Warrington Gin. Dans les années 1860, la famille Dakin vend l’entreprise aux distilleries Greenall. Mais il faudra attendre 1950 pour que le Warrington Gin soit réintroduit sur le marché américain par Alain Subin. Celui-ci est passionné de tout ce qui a trait à l’Empire britannique. Il décide de relancer Warrington sous le nom de Bombay Dry Gin en référence à la colonie britannique des Indes, où le gin-tonic avait vu le jour comme remède contre la malaria. Le Bombay Dry deviendra rapidement très populaire en Amérique, notamment comme base pour la confection du Dry Martini.

Dans les années 1980, la vodka connaît une popularité inédite. Le gin disparaît alors presque intégralement de la carte jusqu’à ce qu’un Américain du nom de Michel Roux décide de créer un gin à base du Bombay Dry original et de le proposer en guise d’alternative aux amateurs de vodka. Grâce à l’infusion de vapeur, il produit un gin relativement léger auquel il a fait ajouter deux éléments botaniques supplémentaires. Il conserve et renforce le thème colonial britannique et redéfinit la marque en référant à une pierre précieuse célèbre – le gigantesque saphir Star of Bombay ayant appartenu à Mary Pickford, la star du cinéma muet. Le saphir a également inspiré l’emblématique bouteille bleue. Le Bombay Sapphire était né.
RETOUR À LA BAIE DE GENIÈVRE
La particularité du Bombay Sapphire ? Il s’agit d’un gin singlefold c’est-à-dire réalisé en une seule fois à base d’alcool de grains neutre et non coupé a posteriori d’alcool neutre ordinaire. La majorité des gins actuels sont produits à partir d’une petite quantité d’alcool de grains à laquelle sont ajoutées des herbes, et qui est ensuite distillée avant d’être complétée par de l’alcool neutre. Un processus relativement simple que l’on peut reproduire chez soi si l’on dispose d’une colonne de distillation. Chez Bombay, en revanche, c’est le volume entier d’alcool qui est infusé d’herbes : grâce à la technique à infusion de vapeur, les arômes ne sont jamais excessifs.

Pour l’élaboration de nouveaux produits et compte tenu du développement gigantesque du marché, les producteurs recourent de plus en plus au coeur sacré du gin : la baie de genièvre. Bombay ne fait pas exception. Son dernier produit en date, le Star of Bombay, est un breuvage solide titré à 47,5 % dont la saveur dénote une présence marquée de la baie de genièvre. Il se présente dans une bouteille bleue et sur son logo trône non plus la reine Victoria mais un saphir.
Le Star a tout d’un gin premium : du genièvre, du caractère, du corps et des arômes subtils qui le distinguent des autres. Tchin-tchin ! ?
TEXTE ROLF SCHOLLAERT
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici