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La Belgique, au nord de la Grèce

Lorsqu’en janvier, le président de la FEB, Thomas Leysen, a avancé que la Belgique pourrait devenir la Grèce de l’Europe du Nord, son objectif était de frapper les esprits par un postulat médiatique. Il s’est donc délibérément trompé.

Lorsqu’en janvier, le président de la FEB, Thomas Leysen, a avancé que la Belgique pourrait devenir la Grèce de l’Europe du Nord, son objectif était de frapper les esprits par un postulat médiatique. Il s’est donc délibérément trompé. Il avait tort, notamment parce que la Grèce est une économie d’extrémité géographique tandis que la Belgique est un territoire de transit, bien enclavé entre ses trois partenaires économiques principaux.

Cette situation privilégiée protège complètement notre pays d’une difficulté monétaire. Elle lui permet aussi de conjuguer les forces de trois principaux pays européens. C’est d’ailleurs cette situation géographique qui conduisit à la création du Benelux, en 1947, et beaucoup plus tard à resserrer la parité monétaire entre le franc belge, le florin hollandais et le deutsche mark avant l’entrée dans la zone euro. La Belgique ne sera donc jamais la Grèce du Nord.

De surcroît, les problèmes budgétaires de la Grèce, fondés sur une comptabilité falsifiée et des systèmes de recouvrement d’impôts archaïques, sont très étrangers à la Belgique, dont les finances publiques sont bien contrôlées. Du reste, la Grèce est demeurée une économie étatisée, avec un secteur public occupant 40 % de la population active. Cette réalité révèle, une fois de plus, l’incongruité d’essayer de conjuguer un choix monétaire de libre échange de marché (l’euro) avec des économies quasiment nationalisées.

Pas de scénario à la grecque chez nous

Mais Thomas Leysen avait, en même temps, philosophiquement raison. Son message, certes trop provocateur, avait pour objectif d’attirer avec emphase la nécessité d’une indispensable rigueur budgétaire. La Belgique ne sera pas plongée dans un scénario à la grecque, mais ses dirigeants, présents ou futurs, doivent être extrêmement attentifs aux écueils économiques, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la capacité fiscale marginale du pays, c’est-à-dire la marge de manoeuvre qui reste disponible pour alimenter les recettes fiscales, est devenue faible. Voici quelques années, nos gouvernements ont placé le royaume dans une équation financière compliquée, espérant trouver dans la croissance et la démographie futures le remboursement d’un endettement public significatif. Ce ne sera pas le cas. La croissance d’hier a précisément été exaltée par l’endettement public et les travailleurs actifs de demain ne voudront pas honorer une dette fiscale dont ils n’ont pas été les bénéficiaires. Il faut donc impérativement reformuler le modèle de redistribution belge.

Ensuite, la Belgique a perdu l’intimité économique avec ses banques. Certaines sont des filiales d’institutions étrangères (Fortis, ING). Les établissements de crédit qui sont restés belges sont, d’une manière ou l’autre, organiquement aidés par les pouvoirs publics. Les banques belges ne pourront donc pas, sauf à aggraver des problèmes de concentration de risque et de dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, servir de réceptacle aux emprunts d’Etat qu’un alourdissement violent de l’endettement public ne manquerait pas d’entraîner. Cette situation va forcer l’Etat à une grande discipline. Enfin, la troisième raison, et sans doute la plus délicate à formuler, relève de la posture politique. En 2007-2008, nous nous sommes inventé des frayeurs d’éclatement du pays alors que le système bancaire mondial s’effondrait. Un peu comme si nous avions choisi de nous réfugier dans des réflexes connus, afin de dissiper notre attention des phénomènes plus tragiques. Avec le recul, ces difficultés institutionnelles – d’ailleurs inabouties – furent un acte hasardeux. Elles ont distrait l’attention des cataclysmes financiers. Le monde était à quelques centimètres du gouffre systémique et, en même temps, notre pays devenait introverti. Il entretenait une vulnérabilité narcissique.

La nécessité d’une cohérence budgétaire visionnaire

Aujourd’hui, ce sont les Etats qui sont fragilisés. Le pays doit donc compenser son instabilité institutionnelle par une cohérence budgétaire visionnaire et très stricte. Si des scénarios d’éclatement de la dette devenaient d’actualité, cela poserait de sérieux problèmes monétaires que la Belgique importerait par contamination au sein des pays d’Europe du Nord. Au-delà des scénarios de séparation territoriale, il faut un engagement irrévocable fédéral de stabilité financière. Il ne peut pas y avoir deux ou trois dettes publiques régionales, mais une seule dette fédérale. La rigueur budgétaire doit donc être réaffirmée avec force.

La crise grecque est un violent rappel des règles de l’économie de marché. L’opinion des agences de rating et le coût de la dette sont des mesures de la crédibilité financière. Les bienveillants prêteurs d’hier peuvent devenir des créanciers exigeants. La Belgique est une économie forte et solide. Il ne faudrait pas que des égarements budgétaires s’assimilent au pari faustien de Goethe, où la créature humaine reçoit puissance pendant un court instant, en échange de son âme abandonnée à l’éternité.

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